Les 12th Streeters de Washington : le Black Five qui a mis D.C. sur la carte du basketball afro-américain
Le 07 oct. 2022 à 07:22 par David Carroz
Lorsque les premiers Black Fives s’organisent et qu’un semblant de compétition débute, New York et Washington sont les deux villes qui se tirent la bourre pour régner sur le basketball afro-américain. Si l’âge d’or des équipes de D.C. ne dure pas à cause d’une ségrégation bien plus enracinée et prégnante qu’à Big Apple, deux formations ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Tout d’abord les 12th Streeters – du nom de l’emplacement de leur YMCA. Puis Howard University – composée des étudiants de la fac du coin. Deux Black Fives étroitement liés autour du quartier de U Street et symboles du travail de Edwin B. Henderson.
Le contexte de D.C.
En 1909, Edwin B. Henderson est déjà en plein dans son processus d’évangélisation du basketball auprès de la communauté afro-américaine. Mission qu’il mène depuis Washington et qui ne l’empêche pas de tâter lui-même la balle orange lors de son temps libre. L’enseignant lance ainsi son équipe au sein de la Colored YMCA de la Douzième Rue de D.C. Une institution historique car si elle squatte depuis quelques années Twelfth Street, elle est directement issue de la première YMCA pour Afro-américains de la ville. Une organisation fondée au milieu du dix-neuvième siècle par Anthony Bowen, un esclave affranchi. Si ce dernier a pu connaître une période de développement pour sa communauté entre création du Washington Bee – un journal afro-américain – en 1856 et la fondation de Howard University en 1867, les avancées sont rapidement suivies d’un retour de bâton.
Face à une communauté afro-américaine qui trouve sa place à The District, la peur et la colère des Blancs montent. Elles aboutissent à différentes mesures pour maintenir la pression sur les Noirs avec un durcissement de la ségrégation. Les conditions de vie se détériorent. L’emploi se limite aux jobs les moins qualifiés. Dans ce contexte, la Colored YMCA passe en mode veille lors des années 1870, sans perspective de développement. Malgré cela, le noyau dur de la communauté afro-américaine de Washington ne baisse pas les bras, principalement regroupée aux alentours de Howard University, entre U Street et la Quatorzième Rue. Une nouvelle dynamique est insufflée entre la fin du dix-neuvième et le début du vingtième siècle. La construction du True Reformer’s Hall en 1903 sur U Street justement en est la preuve. Ce building est le premier financé, conçu et bâti uniquement par des Afro-américains après la période de Reconstruction.
Twelfth Street Colored YMCA
Quelques années plus tard, avec le soutien du Président Theodore Roosevelt, la Colored YMCA s’offre aussi de nouveaux locaux. Pas de gros déménagement, elle reste sur la Douzième Rue et à proximité du True Reformer’s Hall. Il faut dire que la YMCA se trouve à l’étroit dans le Hall. Son influence et son nombre d’adhérents grandissent. S’il faut attendre 1912 pour voir le bâtiment être inauguré, l’entame des travaux en 1908 marque le début de l’appellation Twelfth Street Colored YMCA. Lorsque la première pierre est posée le 26 novembre, Roosevelt est là en personne et n’y va pas par quatre chemins pour évoquer l’importance de cette bâtisse :
“Quand ce bâtiment sera achevé, il sera une preuve des avancées de la race de couleur mais aussi un monument pour les progrès de la ville de Washington. Quant à l’homme blanc, laissons-le se rappeler dans cette circonstance comme dans toute autre, que rendre justice à l’homme de couleur est nécessaire, non seulement dans l’intérêt de l’homme de couleur, mais aussi dans l’intérêt de l’homme blanc.”
Des propos qui ne passent pas inaperçus au sein de la communauté afro-américaine. Communauté qui voit d’ailleurs des membres éminents être liés à ce lieu. Outre Edwin B. Henderson et ses 12th Streeters, d’autres grands noms sont passés par la 12th Street Colored YMCA de Washington. Langston Hughes, Duke Ellington ou encore Thurgood Marshall sont dans le lot.
Les 12th Streeters d’Edwin B. Henderson
Le décor est donc posé pour que Edwin B. Henderson, au milieu de sa vingtaine, puisse faire exister le basketball de Washington face à New York. En effet, s’il œuvre déjà pour le développement de ce sport auprès de sa communauté, il évolue également en tant que pivot dans une équipe qui cherche sa place, derrière les clubs historiques de Big Apple comme l’Alpha Physical Culture Club, le St. Christopher’s Club mais surtout le Smart Set Athletic Club de Brooklyn.
Ce dernier vient de rafler les deux premiers titres de Colored Basketball World’s Champion en 1908 et 1909. Et c’est au sein de cet effectif de champions que Henderson récupère un coup de main. Hudson Oliver, qui jouait jusque-là un rôle prépondérant avec le Smart Set, bouge à Washington pour poursuivre ses études au sein de Howard University. Comme la fac ne dispose pas encore d’une équipe de basket, il rejoint celle d’Edwin B. Henderson.
Mais il existe aussi un autre avantage à jouer au sein de la YMCA. Si Edwin B. Henderson et les siens auraient très bien pu monter leur équipe à Howard en mettant sur pied un programme basket, ils n’en font rien. Ainsi, ils s’affranchissent du cadre universitaire. Ce qui signifie qu’ils ne dépendent pas de l’Inter Scholastic Athletic Association (ISAA) dont EBH lui-même est un des fondateurs. Cela leur permet d’éviter les contraintes de ce regroupement et de recruter en dehors de la fac. En gros, Henderson a bien compris le modèle des Black Fives new-yorkais qu’il veut concurrencer.
Ce renfort complète une formation principalement composée d’anciens élèves de Henderson. À partir de 1909, l’équipe est sponsorisée par la YMCA de la Douzième Rue, d’où le nom de 12th Streeters donné à ce Black Five. Et pour boucler le tableau, le True Reformer’s Hall accueille les rencontres. Ils attaquent la saison tambour battant avec deux victoires sur les Alpha Physical Culture Club. Des confrontation encore rares, les rencontres entre Black Fives de villes distinctes n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. La première date du 18 décembre 1908, soit une petite année avant, lorsque le Crescent Athletic Club a accueilli à Washington le Smart Set de Brooklyn. C’est d’ailleurs de nouveau la formation de Brooklyn qui est ensuite au menu des 12th Streeters.
Les 12th Streeters au sommet
Un gros test pour Henderson et les siens puisqu’il s’agit de l’équipe qu’ils souhaitent détrôner. Le résultat est plus que concluant puisque les 12th Streeters s’imposent 24-15. Ils mettent ainsi le champion dans les cordes. Mais pas KO puisque le Smart Set réclame sa revanche, cette fois-ci à Brooklyn après cette défaite au True Reformer’s Hall. Selon la légende de l’époque, les New-yorkais n’ont jamais perdu chez eux et espèrent donc capitaliser sur cette confiance pour prouver que la défaite à Washington n’était qu’une anomalie.
Sauf que là encore, les 12th Streeters s’imposent. Certes plus difficilement – 20 à 17 – mais cette double confrontation soldée par deux succès les couronne comme nouveaux Colored Basketball World’s Champion. Cela dès la première saison d’existence de l’équipe. Le Smart Set transmet le trophée sans plus de cérémonie avant de rentrer aux vestiaires. Loin des principes du sport amateur que les Black fives prétendent tous défendre à l’époque.
La saison suivante démarre de belle manière aussi pour les 12th Streeters puisqu’ils enchaînent les victoires. Leur onzième consécutive – à cheval sur les deux exercices – marque tout de même une rupture. Après ce nouveau succès à New York sur les Alpha, Edwin B. Henderson confirme à ses coéquipiers ce qu’il a promis à sa femme épousée la veille : il est temps pour lui de se retirer. Sans Henderson qui en plus de jouer gérait l’équipe, tout le monde s’accorde pour mettre fin à l’aventure des 12th Streeters sur ce bilan immaculé de 11 victoires en 11 matchs.
L’histoire s’arrête là pour les 12th Streeters. Du moins sous cette appellation. Car très rapidement, l’équipe va reprendre sa marche en avant. Cette fois-ci au sein de l’Université d’Howard, où de nombreux joueurs font leurs études.
Source : Hot Potato de Bob Kuska et The Black Fives: The Epic Story of Basketball’s Forgotten Era de Claude