Mahmoud Abdul-Rauf, entre courage et persévérance : lumière sur un malchanceux qui avait vingt ans d’avance

Le 06 avr. 2019 à 09:15 par Clément Hénot

Abdul Rauf
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Mahmoud Abdul-Rauf peut être considéré comme un précurseur. A la fois sur le terrain, où ses tirs venus de nulle part et ses dribbles assassins peuvent aisément rappeler Stephen Curry de nos jours, mais également en dehors où il n’a pas hésité à afficher ses convictions religieuses au point même d’arriver au conflit avec la NBA. Ici, le parallèle avec le joueur de NFL Colin Kaepernick est difficilement évitable. Mais « MAR », c’est aussi un battant, qui n’a jamais reculé devant rien et qui s’est servi de ses faiblesses comme de véritables tremplins. Retour sur une carrière aussi mouvementée qu’émouvante.

La vie de Chris Jackson est une lutte depuis les premiers jours. Souffrant du syndrome Gilles de la Tourette depuis son enfance, cette maladie neurologique est incurable malgré l’existence de traitements permettant de l’atténuer. Depuis tout petit, Abdul-Rauf fait parfois des gestes incontrôlés et laisse échapper des injures au milieu de nulle part. Cette maladie peut se manifester n’importe quand, à chaque minute voire à chaque seconde. Il n’est pas le seul sportif à avoir souffert de ce mal : l’ancien gardien de l’équipe américaine de soccer Tim Howard a également dû composer avec la maladie de Gilles de la Tourette, mais selon ses dires, il n’a jamais été handicapé sur le terrain, et a même pu être le gardien titulaire des USA pendant des années et passer par Manchester United. Ceux qui connaissent le jeune Chris Jackson savent d’où viennent ces actions incongrues, mais les inconnus, ignorant son état de santé, le prennent, sans chercher bien loin, pour un taré. Les regards pesants des autres auraient pu le détruire. Il n’en fut rien. 

Car ce qui aurait vraisemblablement freiné certaines personnes voire forcé d’autres à abandonner s’est transformé en véritable source de motivation pour le jeune Jackson, s’obligeant ainsi à répéter chaque geste du quotidien pour que tout soit parfait à ses yeux, comme la fermeture de son réfrigérateur ou le laçage de ses chaussures. Cette persévérance au quotidien s’est transposée au basket où il répète méticuleusement chaque geste pour maîtriser le plus possible son corps, cette persévérance en ayant fait l’incroyable shooteur qu’il était dès ses premières années avec un ballon dans les mains, du lycée à la NBA en passant par la NCAA chez les Tigers de LSU, où il était considéré comme le meilleur shooteur du pays. Mais la carrière singulière de ce meneur de poche (1m83) ne se “résume” pas à cette saleté de maladie incurable.

Chris Wayne Jackson est né le 9 mars 1969 dans le Mississippi. Il se convertit à l’Islam en 1991, un an après son arrivée en NBA et sa Draft par les Denver Nuggets, après avoir lu la biographie de Malcolm X, dont l’existence l’a fasciné. Il se fait depuis appeler Mahmoud Abdul-Rauf. Cette conversion intervient dans un contexte où les USA sont toujours aussi fiers et patriotiques, et où ce geste rappelle inévitablement les conversions précédentes de Kareem Abdul-Jabbar (anciennement Lew Alcindor) et Mohammed Ali (né Cassius Clay) qui ont connu beaucoup de controverses dans leurs domaines respectifs car leur changement de religion mais surtout leurs prises de positions ne passaient pas. Abdul-Jabbar ne voulait pas garder “un nom d’esclave” et Ali a refusé de servir son pays lors de la guerre au Vietnam, car aucun vietnamien ne l’a jamais insulté de “nègre” selon leurs dires respectifs.

Mahmoud Abdul-Rauf arrive à surmonter sa maladie qui le handicape au quotidien et cette méfiance du fait de sa conversion à l’Islam en faisant un début de carrière solide chez les Nuggets. Il est même élu MIP en 1993 en scorant 19.2 points par match, en frôlant même le plus haut pourcentage de l’histoire aux lancers-francs en 1994, en tournant à 95,6% sur la ligne de réparation. Mais la maladie se veut très coriace depuis son arrivée en NBA. Qu’il s’agisse de ses coéquipiers, gênés par ses gestes et paroles imprévisibles à répétition dans l’avion, son coach, Paul Westhead, qui ne souhaite pas construire son équipe autour d’un joueur malade, potentiellement instable mentalement et sous traitement, ou même les arbitres qui dégainaient des fautes techniques à certaines de ses invectives incontrôlées et les journalistes ne souhaitant pas lui tendre le micro à cause de son comportement jugé bizarre. La star de NCAA laisse place à un joueur ne laissant pas pleinement exploser son talent et l’image du taré ressurgit bien malgré lui. Mais les soucis ne font hélas que commencer.

En 1996, Abdul-Rauf fait la une des journaux contre son gré, en refusant de se lever pour l’hymne national américain, qui est selon lui un symbole d’oppression et qui est contraire à ses convictions religieuses. Sauf que la NBA n’aime pas ces prises de position et le suspend pour un match à la suite de cet épisode. Plus tard, ils parviendront à un compromis : Abdul-Rauf doit rester debout pendant l’hymne mais a le droit de regarder par terre ou de fermer les yeux. Le joueur récite ainsi dès lors une prière en silence pendant chaque Star-Spangled Banner. Mahmoud Abdul-Rauf a toujours préféré être fidèle à sa personnalité et assumer pleinement ses opinions plutôt que de rentrer dans le rang et renier ses convictions. Toutefois, à la suite de cet épisode, il sera transféré aux Kings de Sacramento, mais il sera bien dans ses baskets et aura sa conscience tranquille, chose qui n’a pas de prix pour lui. Toutefois, lors de la suite de sa carrière, il connait un lent mais continuel déclin, en jouant de moins en moins chez les Kings, en passant par la Turquie, en tentant un retour en NBA chez les Grizzlies de Vancouver et en continuant son tour du monde en Russie, en Italie, en Grèce, en Arabie saoudite et au Japon. Il aimait le jeu et voulait jouer coûte que coûte. 

Cette histoire rappelle forcément l’affaire Colin Kaepernick en NFL, véritable star du football américain chez les 49ers de San Francisco, aujourd’hui sans franchise parce qu’il a “osé” poser le genou à terre pendant l’hymne en signe de protestation face aux violences policières contre les afro-américains. Si le joueur a énormément été soutenu, il a également reçu de violentes critiques, notamment de la part de l’actuel président des États-Unis Donald Trump, et dit même avoir reçu des menaces de mort, à l’instar de Mahmoud Abdul-Rauf, qui a même vu sa maison dans le Tennessee incendiée par des membres du KKK. Ce dernier a réagi à cette affaire en disant que Kaepernick avait gros à perdre, mais que le geste était beau et que cet élan de solidarité serait difficile à stopper.

Curry avant Curry ? Kaepernick avant Kaepernick ? Difficile à juger tout de même, mais si Mahmoud Abdul-Rauf avait fait ces gestes à notre époque, celle de l’Internet et des réseaux sociaux où tout fuse à 2000 à l’heure, alors probable qu’il serait encore plus une icône du sport, mais probable qu’il soit encore plus détesté également… Contentons-nous de saluer le courage d’un homme qui a bravé la maladie et les préjugés pour faire une très honnête carrière, et qui continue aujourd’hui d’étancher sa soif intarissable de jeu dans la Big 3 League fondée par Ice Cube et rassemblant d’anciens joueurs pros pour du 3 vs 3. Intarissable on vous dit.


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