Harlem Globetrotters – Minneapolis Lakers : deux mondes, deux styles, une confrontation pour l’histoire

Le 19 févr. 2022 à 12:22 par David Carroz

Harlem Globetrotters vs Minneapolis Lakers
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“Les Harlem Globetrotters sont la meilleure équipe de basketball au monde.” C’est par ces mots qu’un journaliste du Chicago Tribune est à l’origine d’une rencontre historique entre le Black Five d’Abe Saperstein et les Minneapolis Lakers de Max Winter. Piqué dans son égo, le proprio de la franchise de National Basketball League appelle celui des Trotters – accessoirement son ami – pour le mettre au défi. Challenge accepted par Abe. Comme son pote, il voit bien le potentiel business d’une telle confrontation, bien loin des considérations de l’impact social éventuel dans un basketball où la ségrégation persiste, à l’instar des États-Unis.

Le rendez-vous est pris pour le 19 février 1948, au Chicago Stadium qui présente deux avantages : la Windy City est la ville d’origine des Globetrotters et la star des Lakers, George Mikan, est également du coin. Il est né dans l’Illinois puis a fait son lycée et sa fac sur les bords du Lac Michigan. Le décor est posé. Mais pourquoi ce match a-t-il une place si particulière dans l’histoire ? Les Lakers ne sont même pas champions en titre. Le palmarès est encore vierge pour l’équipe de Minneapolis, même s’ils sont largement en tête et favoris pour aller chercher leur premier trophée en National Basketball League – ce qu’ils feront quelques semaines plus tard. Les Trotters pour leur part se sont déjà frottés à des équipes blanches, dont certaines en NBL. Ligue qui connaît d’ailleurs l’intégration depuis la saison 1942-43 avec les Chicago Studebakers qui avaient fait appel à d’anciens Globetrotters justement pour pallier au départ sur le front de certains membres de leur effectif. Pour autant, cette mixité n’est pas la norme.

Bien sûr, toute la publicité faite par Saperstein autour de cette confrontation fait monter la sauce. Mais un autre homme impacte la portée de cette opposition, un homme qui par la même occasion plonge le boss des Trotters dans le doute, même s’il n’en montre rien en public. Son nom : George Mikan, le premier big man dominant de l’histoire du basket. Certes, il ne fait pas super sexy aujourd’hui au milieu des meilleurs pivots all-time. Entre ses lunettes et un jeu peu spectaculaire mais basé sur un hook efficace, il n’y a pas de quoi se lever de sa chaise d’excitation. Mais à la fin des années quarante, on ne fait pas mieux dans la raquette, ni plus solide. Surtout que la peinture à l’époque est bien moins large, ce qui lui permet de camper dans son jardin à proximité du cercle. Cette stratégie et la supériorité de Mikan entraînent quelques années plus tard des changements de règles, comme l’agrandissement de la raquette et la mise en place des trois secondes. Tout ça après avoir obligé la NCAA à mettre en place le goaltending pour l’empêcher de contrer tous les tirs adverses. Remballe tes sardines George, tu ne peux plus poser ta tente sous le panier. En résumé, s’il est surnommé Mr. Basketball, il y a une bonne raison : il a changé son sport.

À ses côtés aux Lakers – qu’il a rejoint en 1947 après un an aux Chicago American Gears, il n’y a pas que des peintres non plus. Jim Pollard aka Kangaroo Kid, un slasher au jeu plus complet que celui de son pivot, aussi bon dans la raquette qu’en périphérie. Les deux lascars sont à la base de la première dynastie de la NBA avec quatre titres – plus un en NBL et un autre en BAA. Ce règne de la franchise des Lacs porte le sceau du Great White Hope .

Mais revenons-en à l’aspect racial. D’un côté, il n’est jamais évoqué dans la presse – en tout cas les médias blancs – ni de façon publique. D’un autre, difficile de ne pas voir un symbole dans cet affrontement entre le meilleur Black Five de l’époque – les Globetrotters – et l’équipe en route pour s’installer au sommet du basket pour quelques années, entièrement composée de joueurs blancs. Surtout que quelques mois auparavant, Jackie Robinson a fait tomber une barrière en bouclant sa première saison au sein de la Major League Baseball avec les Dodgers. Le lien est évident. Dans la communauté afro-américaine, les attentes sont grandes pour ce match des contrastes. Le barnstorming contre la ligue, le spectacle face au jeu traditionnel, les Blancs versus les Noirs. Le tout résumé dans le duel entre Mikan et son adversaire direct, Goose Tatum.

En effet, le pivot des Trotters est l’antithèse de Mr. Basketball. Bien entendu, lui aussi est un excellent joueur, ce qui a fait de lui la figure de proue des siens. Mais il est avant tout un homme de show, celui qui amuse le public grâce à ses facéties. Surtout, on se demande comment il va réussir à tenir en respect Mikan qui affiche quinze centimètres de plus sur la toise (1m93 contre 2m08). Pour les bookmakers, la question ne se pose pas, il n’en est pas capable, tout comme les Harlem Globetrotters ne peuvent pas laisser de côté les facéties qui les caractérisent et s’imposer face aux Lakers, donnés largement favoris. Des clowns ne peuvent pas battre une équipe aussi bien huilée.

La hype monte à mesure que la confrontation approche, aussi bien à Chicago qu’à Minneapolis. Dans la ville des Lakers, la presse parle de match de l’année. Pourtant, les joueurs ne se sentent pas tous aussi concernés par l’événement qui arrive comme un cheveux sur la soupe en plein milieu de la saison, alors que d’autres échéances sont au calendrier. Le titre pour les hommes des lacs, une série de 103 succès en cours à maintenir pour ceux d’Abe Saperstein qui enchaînent toujours les kilomètres en tournée. Au milieu de ce désintérêt, George Mikan et Marques Haynes font figure d’exception. Le pivot ne souhaite pas décevoir chez lui, la mobylette se rend bien compte de l’enjeu pour sa communauté. Des positions qui tranchent avec celles de leurs coéquipiers. Pollard se rappelle que pour lui il s’agissait d’un match pour les proprios, pas les joueurs. Du côté des Trotters, Ermer Robinson se demande pourquoi se frotter à une formation aussi forte que celle des Lakers.

Peu importe leur avis, le 18 février arrive et la foule se masse dans le Chicago Stadium avec quasiment 18 000 péquins. Une légère majorité de Blancs, mais les Afro-américains venus de South Side – aka Bronzeville, quartier séparé de la population blanche – ne comptent pas bouder leur plaisir. Ils garnissent aussi les tribunes, rêvant de l’exploit des leurs. Autant dire qu’ils sont bien là pour ce match, la première rencontre d’un double header, qui se sert de lever de rideau au match de Basketball Association of America entre les Chicago Stags et les New York Knicks.

Malheureusement, le début de l’affrontement douche les espoirs des supporters des Trotters. Les joueurs d’Abe Saperstein semblent incapables de contenir George Mikan, trop grand, trop fort pour eux. La stratégie mise en place – prise à deux systématique et faire faute si besoin – ne porte pas ses fruits. 9-2 dans le sillage de Big Mike qui roule sur un Goose Tatum pas réputé pour sa défense. Babe Pressley, l’autre intérieur de Harlem, vient au soutien de son coéquipier. Ce qui libère Jim Pollard qui n’en demande pas tant pour prendre le relais au scoring. 32-23 à la mi-temps en faveur des Lakers, le doute dans les têtes des Trotters. Pour revenir, il va falloir revoir sa copie en remerciant Ermer Robinson ainsi que Marques Haynes qui ont évité un plus gros carnage grâce à leur adresse extérieure.

C’est d’ailleurs sur ce point que porte le discours aux vestiaires. Au lieu d’insister dans leur style de jeu traditionnel en passant par Goose Tatum au pivot, il faut accélérer, mettre du rythme et shooter. Haynes insiste : aucune chance de prendre le dessus dans la raquette face aux Lakers plus grands, il veut que la balle arrive dans les mains des gâchettes dont il fait partie avec Robinson et Wilbert King. De toute façon, il n’y a plus trop de choix. Autre changement, les fautes deviennent immédiates sur Mikan. Même s’il est un bon tireur de lancer franc – 78% en carrière – le hack-a-Mike ne peut pas être pire que se faire maltraiter à chaque fois qu’il reçoit la gonfle à proximité du panier.

Cela paie d’entrée, puisque les Harlem Globetrotters collent un 10-2 aux Lakers pour revenir à une unité. Mieux, leur acharnement sur Mikan a des conséquences inespérées. À force de prendre des baffes, il finit par vriller et à envoyer son coude dans le buffet d’un Tatum harceleur. Faute technique. Les Trotters maintiennent alors la pression, s’assurant que chaque faute commise soit bien sentie par le pivot, arrachant au choix ses bras ou ses lunettes. Est-ce l’énervement qui lui fait perdre les moyens ? Possible car avec seulement quatre lancers convertis sur onze tentatives, il est bien loin de ses standards. À force de baffes et avec Goose qui trouve enfin son rythme en attaque, le Black Five prend la tête. Malheureusement, cette stratégie quelque peu brutale a un coût. Trois Globetrotters se retrouvent en foul trouble, dont Tatum et Pressley avant la fin du troisième quart. Pire, Marques Haynes subit quasiment coup sur coup deux chocs lors de duels avec Mikan. Sur le second, il peine même à se relever, restant un moment au sol sans bouger. On craint le pire dans les tribunes, mais Haynes finit par retrouver ses esprits, refusant même de sortir malgré la douleur. Le lendemain, des examens à l’hosto révèlent qu’il a terminé la rencontre avec une vertèbre pétée. Normal.

Les deux équipes sont au coude à coude et l’avantage passe de l’une à l’autre lors de l’ultime période. Alors que les Trotters mènent 50-48, Pressley atteint logiquement son quota de fautes. Il laisse sa place au vieillissant Ted Strong. Envoyé à son tour en mission sur Mikan, il déguste. Les Lakers en profitent pour reprendre une unité d’avance, avant que Haynes et King ne redonnent le lead aux leurs, 59-56 à deux minutes du terme. Suffisant ? Un panier de Pollard suivi quelques instants plus tard à la cinquième et dernière faute de Goose font penser que le match va leur échapper. L’égalisation de Mikan sur un lancer franc confirme cette tendance alors qu’il ne reste qu’une minute.

Heureusement pour les Harlem Globetrotters, la balle est dans leurs mains, et l’horloge des 24 secondes n’existe pas encore. Ils ont donc tout le loisir d’aller au bout du chronomètre pour tenter un dernier tir, en priant pour que celui-ci rentre. Parce que jouer des prolongations alors que Tatum et Pressley sont out et que les Lakers ont bien saisi que les remplaçants des deux gonzes se font encore plus bouger par Mikan que les titulaires, ça ne sent pas très bon. Les secondes s’égrènent. Il est aujourd’hui difficile de dire comment se déroule le match lors de ces instants fatidiques. La mémoire des uns et des autres est soit défaillante, soit sélective, car personne ne garde le même souvenir de ces précieux moments. Une seule chose est sûre, la gonfle atterrit dans les mains d’Ermer Robinson, à une distance proche de la ligne à 3 points actuelle. Il dégaine, avec son tir caractéristique, entre le shoot posé à deux mains de rigueur à l’époque et le jump shot que l’on connaît aujourd’hui. Le ballon s’élève. La trajectoire est bombée. La foule se tait. La sirène résonne. Le filet tremble. Bingo ! 61-59, les Globetrotters s’imposent devant des Lakers incrédules. Certains pensent que le tir a quitté les mains de Robinson trop tard. Que nenni ! Le héros est porté en triomphe, avant que Abe Saperstein le soit à son tour une fois les joueurs de retour aux vestiaires, salués par un George Mikan très classe.

Alors on peut refaire l’histoire, se dire que les Lakers n’étaient pas forcément à fond, pas concernés ou moins motivés que les Globetrotters par le match. Que les arbitres – comme s’en est plaint Johnny Kundla le coach de Minneapolis – ont biaisé la rencontre – ce que rien ne confirme. Ou bien même qu’il s’agit d’un simple coup de bol pour le Black Five. Peu importe, la communauté afro-américaine célèbre l’exploit, fière de cet accomplissement. De leur côté, Mikan et les siens souhaitent une revanche. Chez les Trotters, on a bien envie de prouver qu’il ne s’agit pas que d’un coup d’un soir. Max Winter et Abe Saperstein se mettent d’accord pour une série de rencontres (il y en aura huit en tout sur plusieurs saisons). Rendez-vous dans un an, le 28 février 1949 pour une nouvelle confrontation, toujours à Chicago.

Le contexte diffère un peu. D’une part, les Lakers – désormais les champions en titre – savent ce qui les attend. Ils ont également quitté la NBL pour rejoindre la BAA où ils vont poursuivre la mise en place de leur dynastie. De l’autre, les Globetrotters sont désormais armés dans la raquette puisque Nathaniel Clifton est venu grossir les rangs. Cette fois-ci, la hype est encore plus grande. La renommée des Trotters a pris un énorme coup de boost après leur victoire. Cela reste insuffisant pour faire d’eux les favoris de la confrontation, malgré l’absence de Jim Pollard côté Minneapolis. Vingt mille personnes remplissent le Chicago Stadium. Malgré une nouvelle entame de match compliquée, les Trotters redressent la barre et prennent le large dans le troisième quart-temps en poussant le rythme au maximum.  Les Lakers, George Mikan en premier, ne peuvent pas suivre. Alors qu’ils menaient 23-18 en revenant des vestiaires, ils viennent de manger un 23-6 ! Avec neuf points d’avance, les hommes d’Abe Saperstein abordent la fin de match sereinement. Tellement qu’au milieu de l’ultime période, alors que leur matelas est désormais de 12 unités à six minutes du terme, l’impensable se produit.

Les Trotters, sûrs de leur force, se mettent à faire le show. Marques Haynes dribble dans toutes les directions, toutes les positions. À genou sur le parquet. Goose Tatum réalise ses fameux tricks, entre feintes et spectacle comique, même si cela signifie perdre la balle derrière pour un marché. Toute cette routine, habituellement réservée aux tournées afin de ne pas trop humilier les adversaires, prend une nouvelle tournure. Le faire face à une équipe de la trempe des Lakers – pas les paysans du coin – c’est un véritable camouflet. C’est leur montrer qu’ils ne sont qu’un amusement pour eux, comme n’importe qui d’autre. Forcément, à cause du cirque, l’avantage fond et la victoire n’est que de quatre points, 49-45. Mais personne n’est dupe. Même la presse blanche reconnaît la supériorité du Black Five, soulignant que l’écart ne reflète pas la différence de niveau entre les deux équipes. Il n’y a plus de doute, les Harlem Globetrotters sont bien les plus forts.

Ces succès, ironiquement, causent le déclin des Trotters. Les Afro-américains ayant prouvé qu’ils n’avaient rien à envier aux joueurs blancs, les franchises NBA – lentement mais sûrement – les convoitent. Earl Lloyd, Chuck Cooper et Nat Clifton – soit trois gars ayant porté le maillot des Globetrotters – deviennent les pionniers qui brisent la barrière raciale au sein de la Grande Ligue. Abe Saperstein perd son monopole pour recruter les ballers afro-américains. Les meilleurs lui passent sous le nez et l’équipe, bien que toujours spectaculaire, ne peut plus rivaliser. D’ailleurs, toutes les autres confrontations face aux Lakers se soldent par des échecs. Mais qu’importe, les Globetrotters ont fait le taf. Et de fort belle manière.

Source : Spinning the Globe: The Rise, Fall, and Return to Greatness of the Harlem Globetrotters de Ben Green


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