Coup de coeur : Doin’It In The Park, un hymne au basket de rue
Le 21 août 2013 à 17:49 par Nathan
Sorti en mai 2013, réalisé par Kévin Couliau, vidéaste et photographe français originaire de Nantes, et Bobbito Garcia, journaliste portoricain multi-facettes installé à New York, Doin’It In The Park est un documentaire qui retrace la pratique et l’impact culturel du basket de rue à NY City. Mais par sa précision, sa pertinence et son esthétique, Doin’It In The Park parle du basket bien au delà des ‘courts’ de Brooklyn, de Harlem ou du Bronx.
Où s’inventent et s’épanouissent les nouvelles formes et les nouvelles techniques qui formeront bientôt le cœur d’un jeu ? Où se créent les styles et les manières qui seront bientôt pour les joueurs des sortes d’arts ? Bien souvent, c’est dans la rue, aux cœurs des quartiers bouillants que naissent les innovateurs. Le basket en est un exemple frappant. On ne s’étonnera pas si on nous prouve par A+B que le crossover d’Allen Iverson, un move qui casse actuellement des chevilles partout dans le monde, a été inventé il y a presque trente ans dans un sombre quartier d’Harlem, lors d’un match entre six gamins même pas encore majeurs pendant les vacances d’été. Car en été à New York, le basket vibre plus que jamais par le biais de 700 terrains de rue (oui c’est beaucoup, ils en ont de la chance). Kevin Couliau (a.k.a “Baguette”) et Bobbito Garcia (a.k.a “Kool Bob Love”) en ont arpenté 180 et pas des moindres : Rucker Park, West 4th Street Courts (ou The Cage), GOAT Park etc. Autant de terrains qui forment ensemble la “Mecque” du basket de rue mondial. Et l’ultime figure du basket de rue New Yorkais, la plus simple mais en même temps la plus riche, c’est le ‘pick-up basketball’. On arrive sur le terrain, seul, juste avec ses chaussures et son talent. Pas d’arbitres, pas de règles : on joue si on est bon, on sort si on ne l’est pas. C’est clair, net et précis.
Doin’It In The Park (sous-titré : Pick-up basketball, New York city) nous offre ainsi une rétrospective de cette pratique devenue mondiale, depuis la création du basket par James Naismith (un génie qu’on chérira à tout jamais), jusqu’aux superstars NBA qui ont fait leurs classes sur le terrain du coin ou en jetant une balle dans une poubelle. Des dizaines d’années sont retracées, et on se rend compte que le streetball ne les quittent jamais. Julius ‘Dr J‘ Erving, Kenny ‘The Jet’ Smith, Richard ‘Pee Wee‘ Kirkland, Brandon Jennings : le casting est en or (mis à part Smush Parker qui à côté des autres tend plus vers le bois, sans vouloir être méchant). Grâce à eux, à des images d’archives et à une tonnes d’anecdotes qui viennent de stars locales ou de témoignages recueillis auprés de centaines de joueurs, Kevin Couliau et Bobbito Garcia font une sorte de sociologie du basket de rue. Ils retracent l’histoire, les comportements, le langage ou même les codes vestimentaires du milieu avec humour et passion. Où est né le “trashtalk”, cette manière d’être si spéciale qu’on affectionne beaucoup, grâce à laquelle les egos s’affrontent sur le terrain en parlant et en chambrant ? Dans la rue. Où se sont développées presque toutes les figures qu’on aime dans le basket moderne (alley-oops, passes aveugles, cross-overs, concours etc.) ? Dans la rue !
Celle-ci est d’ailleurs magnifiquement filmée. Accompagné d’une bande-son du tonnerre (C2C, The Roots, Jurassic 5 par exemple), Doin’It In The Park est sans aucun doute un délice pour les yeux et les oreilles : à travers la caméra, chaque playground ressort dans sa singularité. Pas mal quand on sait que les réalisateurs se sont déplacés uniquement à vélo en emportant le matériel dans le sac à dos. Mais surtout, c’est qu’à chaque minute du documentaire on peut soudain revivre un souvenir d’enfance, ou retrouver les scènes de notre petit terrain local. C’est bien simple, jamais un documentaire sur le basket n’a paru aussi immersif ; si vous êtes un habitué du streetball, chaque instant va vous parler comme si vous aviez été filmé.
Car c’est bien ça qui fait vraiment la force du documentaire : dans le fond et dans la forme, il nous invite à reconnaitre que le basket de rue est une pratique dont la source est floue et complexe ; au carrefour de tout un tas d’inspirations, à NY le terrain est aussi salle de concert, fosse aux lions, défouloir, refuge. Mais bien au-delà de la Big Apple, dans cet espace social, on retrouve les mêmes expériences : faire ses preuves, échouer, recommencer, réussir, gagner. L’humble auteur de ces lignes a lui-même bien connu le moment où, sur le playground une fois le match fini, personne ne vient vous voir en criant le fameux ‘Next ?!’ ; bien connu aussi le temps où le terrain de basket s’étendait de mon lit à mon bureau, et où le panier n’était qu’une corbeille à papier posée tout en haut. Ces deux expériences, “Baguette” et “Kool Bob Love” nous disent qu’elles sont liées. Avec l’essor du pick-up dans le monde, c’est un tissu de vécus communs que les deux compères reconstituent (et estimez-vous heureux, s’être pris un gros block par un plus grand que soi, c’est sûrement la seule expérience commune que vous aurez avec Dr J).
Ils nous permettent de voir que les vibrations du basket de rue new-yorkais se ressentent partout. Avec sa culture qui creuse dans les souterrains du basket professionnel, avec ses manières qui restent si attachées à la pratique courante du jeu, on comprend que le basket de rue soit considéré par certains comme l’essence de ce sport.
“Tu peux jouer au lycée ou à l’université pendant 4 ans. Tu peux jouer en Pro pendant une génération. Tu peux jouer en pick-up…toute ta vie.”
Ce que nous montre Doin’ It In The Park, c’est finalement que le streetball est une nébuleuse, un espace social où s’entrecroisent des codes, des règles toujours différentes et non écrites formant une sorte de manière d’être qui, si elle s’est créée et épanouie dans la deuxième moitié du XXème siècle dans les bas-fonds de la Grosse Pomme, n’en respire pas moins partout. Sur les parquets des salles NBA, sur le bitume des playgrounds d’Europe et d’ailleurs, le basket de rue de NY City transpire de manière unique par le fait même qu’il a mille visages. C’est pourquoi, via leur travail, Kevin Couliau et Bobbito Garcia peuvent se targuer de dialoguer, en l’espace de 84 minutes, avec tous les ballers de la planète. C’est beau le sport.