Pourquoi l’horloge des 24 secondes dure-t-elle 24 secondes ?
Le 20 nov. 2022 à 11:07 par Arthur Baudin
Il est des questions que l’on ne se posera jamais, faute d’un modèle établi depuis la nuit des temps. Des questions qui se présentent à nous comme une aubaine en plein dimanche, quand l’actualité est un peu creuse, et qu’il nous faut trouver des sujets sympas histoire de faire vivre convenablement le site et nos familles. Eh, vous saviez pourquoi l’horloge des 24 secondes dure 24 secondes vous ?
C’est vrai ça, pourquoi 24 et pas 22 ? Pourquoi 24 et pas 26 ? Pourquoi 26 et pas 24 ?
Nous sommes le 22 novembre 1950 à Minneapolis. Il fait tout frisquet, la brume enveloppe les allées, les premiers cafés ouvrent leur volet dépliant. « La gazette, demandez la gazette ! ». Gros titre des pages sports, rubrique NBA, écriture typée Arial Black, noire sur blanc : « Les Lakers reçoivent les Pistons de Fort Wayne à 21h ». Que viennent foutre les Lakers à Minneapolis ? L’équipe y était basée jusqu’en 1960. Là n’est pas le sujet, ellipse d’une journée qui nous paraissait sympathique mais qu’on ne peut pas vous décrire car nous n’y étions pas.
Le soleil a disparu depuis plusieurs heures. Les rues se vident, le Minneapolis Auditorium fourmille. L’entre-deux est donné sous la chaleureuse bronca de 7021 têtes. Un micro de commentateur saturé, une ambiance très ouvrière, l’odeur du charbon et des rails de chemin de fer : la recette idoine pour passer une belle soirée de NBA dans les années 50. Mais voilà, les Pistons se sont déplacés en parfaite connaissance de leur infériorité. Ils se pensent incapables de rivaliser avec George Mikan (et le sont). Quatre jours plus tôt, le Hall of Famer venait de claquer 47 points sur les Rochester Royals. Pour remédier à ce désavantage annoncé, Murray Mendenhall, coach des Pistons, a demandé à son meneur Boag Johnson (et le reste de l’équipe) de conserver le ballon le plus longtemps possible sur les offensives de Fort Wayne. À l’époque, la règle des 24 secondes n’existe pas encore et les joueurs peuvent jouer le chrono sans temps imparti. Le meneur de jeu respecte les consignes de son entraîneur à la lettre, forçant ainsi les Lakers à commettre des fautes s’ils souhaitent récupérer le ballon. Les Pistons mènent 7 – 8 à la fin du 1er quart-temps.
Ce n’est rien, juste un quart-temps très très défensif, pas super sport, la suite sera meille… non.
À la pause, les Lakers mènent 13 – 11 après un second quart-temps remporté 6 – 3. Le Minneapolis Auditorium commence à se vider, les fans mécontents insultent les joueurs et jettent tout ce qu’ils trouvent en direction du parquet : pièces de monnaie, feuillets d’avant-match, gosses assez légers pour être balancés et ne pas faire trop mal. On sent que ce 2e quart-temps a fait l’effet de la goutte d’eau. Un mal pour un bien puisqu’au retour des vestiaires, la rencontre va se débloqu… toujours pas. Les Lakers mènent 17 – 16 à la fin du 3e quart-temps, puis prennent le bouillon sur les dernières douze minutes avec un saillant 1 – 3 infligé par les Pistons. Score final, 18 à 19 pour Fort Wayne, Minneapolis tire la tronche, la NBA accouche du plus petit score de son histoire (qui tient encore aujourd’hui).
« Mais TrashTalk, à l’époque, ça ne scorait pas beaucoup de toute façon, non ? ». Si si si ! Sens commun que de penser que les équipes s’échangeaient des 40 à 35 tous les trois soirs. Elles oscillaient entre 60 et 90 unités, avec une ou plusieurs pointes à 100 prunes dans la saison. Des scores pas si éloignés de ce que l’on connaît aujourd’hui, la ligne à 3-points en moins.
La suite ?
Sur le chemin des vestiaires, les Pistons mangent quelques gnons de la part du public. L’entraîneur des Lakers, Johnny Kundla, pousse une petite gueulante devant les journalistes : « Jouer de la sorte tuera le basket professionnel ». Vrai ! Si James Naismith a inventé le plus beau des sports, il a oublié d’en modeler le déroulé par l’instauration d’une ou deux règles supplémentaires. En réponse à la stratégie anti-sportive des Pistons, naît en coulisse l’idée d’une limite de temps pour chaque possession. Sa mise en place définitive sera appuyée par Danny Biasone, propriétaire des Syracuse Nationals, qui émet une théorie à laquelle Hawking, Turing et tous les autres profs de maths n’auraient jamais pensé. Sur les matchs « les plus attrayants » auxquels assiste Biasone, chaque équipe tire en moyenne 60 fois. Il prend ainsi la durée totale d’une rencontre, 48 minutes soit 2880 secondes, et la divise par 120, pour les 120 tirs pris par les deux équipes (60×2). Bim-bam-boum, le Professeur Biasone obtient le nombre magique de 24, et en déduit qu’une équipe disposera d’au moins 60 offensives par rencontre avec des possessions de 24 secondes maximum. Juste assez pour décocher 60 tirs, sans compter les possessions qui ne vont pas au bout des 24 secondes. Merci Danny Biasone, grand grand homme de spectacle auquel on doit l’instauration définitive de l’horloge des 24 secondes en 1954 (du moins la règle, peut-être pas encore l’horloge). Sur les saisons suivantes, les scores bondissent régulièrement au-delà des 100 unités. Le « show » souhaité est là. Comme un symbole, les Syracuse Nationals de Danny Biasone sont sacrés champions NBA à l’issue de l’exercice 1954-55. Le premier concerné par la règle des 24 secondes.
N’est-elle pas magnifiquement catastrophique cette feuille de match ? 4/18 au tir pour les locaux, 4/13 pour les visiteurs, et des fans franchement pas reconnaissants envers les joueurs qui ont écrit l’histoire. Bon, c’était peut-être pas la rencontre la plus fun, mais au moins ils pourront pouvaient dire qu’ils y étaient.
Source texte : The Book of Basketball de Bill Simmons basketballreference, ESPN, L’Yonne Républicain