Hall of Fame 2021 : Chris Webber, une tête de mule éternellement sous-cotée, qui n’entend plus que le son de la gloire
Le 11 sept. 2021 à 11:40 par Arthur Baudin
Il est ce genre de garçon aussi attachant qu’énervant, Chris Webber. Une drama queen déguisée en joueur de basket et dont les hauts faits balle en main sont la raison de sa célébration. Ce soir, l’homme au bandeau noir s’apprête à être intronisé au Hall of Fame. Ce n’est pas lui qui ait dû faire ce choix, c’est d’ailleurs peut-être pour ça qu’il est bon.
Tout homme qui naît à Detroit est caractériel, et ce n’est pas sous le statut d’exception que Chris Webber grandit dans les rues de la ville motorisée. Diplômé de la Detroit County Day School, il choisit alors de consacrer sa vie au basket-ball en rejoignant l’Université du Michigan à l’été 1991. Énorme coup du sort, quatre autres petits nouveaux débarquent à la Fac en même temps que C-Webb. On dirait alors le début d’un mauvais American Pie mais Chris Webber, Jalen Rose, Juwan Howard, Jimmy King et Ray Jackson ne prendront pas la route d’une station balnéaire pour se mettre des caisses avec la maman de Stifler, simplement celle de la gloire. *Insérer un bon rap des nineties qui sent la rue et les chaines de vélo*, le Fab Five – comme on l’appelle – va se balader sur les terrains universitaires et enchaîner les masterclass. Toutes les nanas du pays tombent raides dingues de ces cinq ados venus du Michigan avec leurs shorts jaunes plus larges qu’un écart de Joakim Noah aux lancers. Ils sont l’incarnation de cette nouvelle tendance qu’est le hip-hop et dégagent une coolitude novatrice. Stylistiquement inimitables, Chris et ses potes sont considérés par beaucoup comme la probable meilleure équipe de l’histoire de NCAA. Sur les cinq bonhommes, quatre ont terminé en NBA et seul Ray Jackson s’est suffi de la CBA (Continental Basketball Association) au sein de laquelle il fut quand même élu rookie de l’année en 95. Mais uni, le Fab Five n’a tenu que deux saisons.
Le premier test des prodiges fut cette campagne 1991-92 ponctuée par une défaite en finale du championnat contre le Duke du binôme Grant Hill – Christian Laettner, un revers rapidement effacée par la prise de conscience collective : ces jeunes-là sont uniques. Ceci étant, l’exercice 1992-93 restera comme l’une des plus grosses désillusions de la carrière de C-Webb. Le Fab Five retourne en finale pour la seconde année consécutive et Chris Webber écrit l’histoire, de la pire manière possible. Les petits gars du Michigan sont menés de 2 points à 11 secondes du terme et l’ailier-fort transpire le stress dans sa remontée de balle. Il est d’abord coupable d’un vieux marché honteusement non sifflé, avant de s’enfermer dans l’aile puis de demander le temps-mort. Instantanément, Thierry Lhermitte appelle C-Webb et lui propose un repas d’affaires mardi soir. Le leader du Fab Five comprend vite qu’il s’agit en réalité d’un dîner de cons quand le trio arbitral lui siffle une faute technique. Eh oui, les Wolverines n’avaient plus de temps-mort, synonyme de boulette légendaire gradée 8/10 sur l’échelle de J.R. Smith.
Voulue réconfortante, la lettre manuscrite du président Bill Clinton pour Chris Webber était alors comme un coup d’épée dans l’eau. Un vioc qui t’utilises pour faire sa com au beau milieu d’un flot de critiques, c’est simplement une sale période de ta vie. Et d’ailleurs, la seule chose que cette défaite n’ait pas ruiné, c’est le potentiel de Chris Webber dont les franchises NBA étaient encore toutes folles. Derrière lui le Fab Five, les crânes rasés et le trashtalking d’ado, la Grande Ligue et ses joutes intérieures attendent l’enfant du Michigan qui – de toute manière – n’avait pas trop le choix de continuer ou non à la Fac, lui qui fut la cible d’une révélation comme quoi il aurait touché de grosses sommes d’argent illicites au sein de son Université. Le soir de la Draft 1993, il devient le premier sophomore de NCAA depuis Magic Johnson à être sélectionné en first pick, mais est échangé dans la foulée par le Magic aux Warriors contre un dénommé Anfernee Hardaway et une ribambelles de choix de draft. Dans la Baie, Chris Webber lâche une saison rookie XL alimentée par des moyennes de 19,7 points, 10,2 rebonds, 4 assists, 2,4 contres, 1 interception et 3 ballons perdus à 55% au tir, le tout en 76 matchs. Mais pas forcément le meilleur pote de son entraîneur Don Nelson qui le fait jouer pivot – tandis que lui préfère le poste 4 – Big Chris demande son trade vers une « plus grande ville » et atterrit finalement à Washington où son ancien collègue du Fab Five, Juwan Howard, vient d’être drafté en cinquième position. Pendant quatre ans, la jeunesse de la capitale va caresser des rétines sans pour autant briller collectivement, avec une seule qualification en Playoffs au cours de l’exercice 1996-97. Mais la Bullets Nation – devenue Wizards Nation en 97 – est on ne peut plus sereine et sait l’avenir de la franchise, doré et entre de bonnes mains. Heureux de sa situation, Chris Webber décide un beau matin de se rendre chez l’épicier. Lorsqu’il entre dans le magasin, ce dernier lui lance : « Yo Chris, tu viens d’être échangé ! ». Ce qu’il pensait donc être une vanne venant d’un vieux beauf qui connaît trois joueurs de basket s’est finalement avéré être le propos d’un type bien mieux informé que lui. Direction Sacramento, pour écrire l’histoire contre son gré.
« J’avais 25 ans et on m’échange pour quelqu’un de plus âgé, même si on parle d’un Hall of Famer (Mitch Richmond, ndlr). Tout le monde savait que nous (les Wizards, ndlr) étions jeunes, je me suis demandé ce qu’il se passait […] J’étais furieux. » – Chris Webber, pour The Player’s Tribune
Furieux, Chris Webber l’était réellement, mais à la différence de nos bons vieux championnats départementaux, ses parents auraient eu beau faire pression sur le front office de Sacramento qu’il n’en serait rien. L’intérieur spamme alors son agent de sms lui indiquant qu’il veut rejoindre les Lakers pour gagner un titre aux côtés d’un certain Shaquille O’Neal, histoire de former le genre de raquette que même Benoit Paire ne pourrait pas casser. Si un joueur n’aime pas l’endroit, c’est qu’il faut l’embellir, ce pourquoi les Kings sélectionnent Jason Williams à la Draft 98, mais Chris Webber n’en a toujours rien à secouer et continue de demander son transfert. Pour les dirigeants de Sac Town, c’en est hors de question et le poste 4 va devoir jouer s’il veut toucher ses 10 millions annuels. Peu à peu, les nerfs se détendent et la situation s’apaise, Chris Webber s’entraîne pour la première fois avec Peja Stojakovic et se dit « que ça va être sympa ». Dès lors, le jeu pratiqué par les Kings, spectaculaire et unique, se voit récompensé par une première qualification en Playoffs en 99. Bis repetita pour les six années suivantes, toutes phénoménales d’un point de vue esthétique grâce à ce joli compromis entre basket-ball européen et force ricaine.
Renommée« The Greatest Show On Court », cette période de la franchise californienne verra son plafond s’appeler « Los Angeles Lakers ». Cette Californie, plus clinquante, et son duo de Golden Boys Kobe Bryant – Shaquille O’Neal, élimine Sacramento au premier tour des Playoffs 1999-00, au second de la postseason 2000-01, et enfin au terme d’une finale de Conférence Ouest 2001-02 on ne peut plus controversée. Les Kings mènent la série 3-2 et s’en vont terminer le boulot sur Hollywood Boulevard, mais le trio arbitral en décide autrement et multiplie les coups de sifflet en faveur des Lakers. Les deux équipes sont dos à dos au début du dernier acte, 75-75, et la chanson continue. Qu’est-ce que 34 ? Un nombre, un sacré nombre, sûrement le pourcentage réalisé par Jean Lassalle dans un village corse, ou alors le prix d’un café place de la Concorde. Plus insolite encore, 34 est le nombre de lancers-francs accordés aux Angelinos dans les dernières douze minutes. Le vol est total : les Lakers remportent le match 6, puis le match 7, et filent défier les New Jersey Nets en Finales NBA. De son côté, Chris Webber continue avec les Kings pendant deux saisons et demie avant de partir à Philly, puis de retourner chez lui à Detroit, et termine comme il a commencé, par la case Golden State Warriors. Passé à une boulette d’un championnat NCAA, à un vol d’un titre NBA, C-Webb restera comme l’un des plus grands n’ayant jamais été bagué. Que ce soit avec le Fab Five ou les Magnifiques de Sac Town, l’intérieur a dédié sa carrière au beau jeu, parfois même à contrecœur. Lui qui voulait partir à Los Angeles pour être titré l’aurait sûrement été, mais à quel prix ? Sa silhouette serait probablement plus vide d’histoire, presque un type banal parmi les ring chaser, finalement. Non, Chris Webber n’a pas caressé Larry O’Brien, mais son nom évoque désormais en nous quelque chose de vrai, d’unique : « Qu’est-ce qu’il était stylé ce joueur, et son profil marcherait tellement bien dans la NBA actuelle ». On parle de C-Webb car il nous intéresse, car il se démarque. Ce soir, il se rendra probablement compte qu’en réalité, il n’a pas tout perdu.
C’est fou, la vie. Cette cuvée se démarque particulièrement de par l’histoire de ses nouveaux entrants. Ce soir, Chris Webber s’apprête enfin à immortaliser quelque chose de beau, sa carrière. Une victoire qui – même si elle ne lui octroie pas de trophée luisant – lui est enviée par les nouvelles générations. On peut perdre donc, mais avec tellement de classe.
Source texte : The Player’s Tribune, Basketballreference, ESPN