Hall of Fame 2021 : Toni Kukoc, l’un des pionniers européens de la Grande Ligue, qui a trouvé le respect des plus grands

Le 11 sept. 2021 à 12:42 par Arthur Baudin

Toni Kukoc HOF
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Nous y sommes, reconnaissance logique de la carrière de l’un de ceux qui a ouvert la voie aux Européens en NBA, Toni Kukoc s’apprête à entrer au Hall of Fame. Un coup de lumière mérité pour celui qui a dû batailler, comme s’il devait justifier son statut de « Croate talentueux » par autre chose que ses prouesses balle en main, parfois même au sein de sa propre équipe. On se souvient, et on débrief.

C’est marrant de voir Victor Wembanyama être surnommé « best player of the world » par Adam Miller, l’un des cadors de la Team USA U19 contre laquelle les Bleuets ont échoué en finale du dernier Mondial des jeunes. Une complicité banalisée entre le cainri et le Français qui – aussi naturelle soit-elle – aurait probablement été impossible il y a trente ans. Pour étayer ce propos, il suffit de se refaire l’histoire de Toni Kukoc, l’un des premiers étrangers à avoir mis du respect sur le nom de tout un continent. Véritable crack des parquets européens, il est drafté en 1990 par les Bulls mais surprend tout le monde en décidant de repousser le grand saut, évènement qu’un joueur attend pourtant toute sa vie. Là aussi, l’époque était différente, et Toni Kukoc fut capable de prendre du recul avec beaucoup de discernement sur sa situation personnelle. En réalité, les tensions qui sévissent au pays – et déboucheront sur les guerres de Yougoslavie – le forcent à rester auprès des siens. D’abord à Split, puis à Trévise où la démonstration de son talent est telle que Jerry Krause, General Manager de Chicago, le convainc à l’été 93 de rejoindre l’Oncle Sam et ses grosses liasses. Il laisse donc derrière lui trois titres d’Euroligue (1989, 1990 et 1991) et autant de trophées de MVP du Final Four pour Chicago et sa démesure. C’est plein d’appréhension qu’il s’en va serrer de nouvelles mains, sans trop de réciprocité. Eh oui, un an plus tôt se tenaient les Jeux Olympiques de 92 lors desquelles Toni Kukoc a pu affronter la Dream Team de ses futurs coéquipiers, Michael Jordan et Scottie Pippen. Ce que le Croate ne savait pas – ou qu’il avait seulement ouï dire – c’est que les renégociations salariales du contrat de Scottie était en grande partie bloquées par sa venue dans l’Illinois, et que cela rendait tout simplement fous les joueurs en place que Jerry Krause préfère un blanc-bec qui se mouille la nuque avant d’entrer dans l’eau « pour évite l’hydrocution parce qu’il sort de table », à un défenseur de devoir qui avait déjà deux bagues aux doigts. Voilà pourquoi le 27 juillet 1992, jour de l’affrontement entre Croates et Amerloques, Michael Jordan et Scottie Pippen ont réservé un traitement spécial à Toni Kukoc, à tel point que ce dernier a terminé la rencontre avec 4 points et 7 ballons perdus à 2/11 au tir, sans même provoquer un seul lancer-franc. Se faire gifler par ses futurs coéquipiers devant toutes les chaînes de télévision, sans parvenir à décrocher le moindre coup de sifflet, on appelle ça une humiliation en règle.

« Mec, ce qu’ils ont fait à Kukoc ce jour-là était vraiment flippant. » – Charles Barkley

Nous y sommes, c’est donc dans la joie et la bonne humeur que Toni Kukoc débarque à Chicago en 93. Après tout, Michael Jordan n’en a pas directement après lui, mais sa haine envers Jerry Krause le pousse à haïr tout ce que le General Manager entreprend, et Toni Kukoc était une trouvaille qui rendait fier Krause donc le rapprochement – aussi facile soit-il – représentait une belle opportunité pour Michael de faire suer son front office. Un probable ras-le-bol confirmé par sa première retraite lors de laquelle il s’en va jouer au baseball, au grand désarroi d’un Croate qui – même si mal-aimé – rêvait de jouer aux côtés de Jordan. La saison 1993-94 se fait donc sans sa majesté, mais Toni n’en perd pas ses moyens pour autant et dans un parfait rôle de sixième homme, termine l’exercice avec des moyennes de 11 points, 4 rebonds et 3,4 assists en 24 minutes de jeu. Une première réussie et ponctuée d’une élimination en demi-finale de conférence face aux Knicks, la dernière occasion de la saison pour l’Européen de se démarquer dans la souffrance en envoyant un game winner salvateur du match 3. Une affaire que Scottie Pippen – grande drama queen de l’époque – va alors très mal prendre et longuement reprocher à Phil Jackson. Comment se fait-il que ce soit à Toni de coucher les gosses ? Pip n’a jamais pu digérer ce choix et a récemment réabordé le sujet via une exclu de ses mémoires, prochainement publiées.

« C’était ma première année de jeu sans Michael Jordan. Pourquoi n’aurais-je pas pris ce dernier tir ? J’ai traversé tous les hauts et les bas, les batailles avec les Pistons et maintenant vous allez m’insulter et me dire de sortir ? J’ai trouvé que c’était un coup bas. J’ai senti que c’était une opportunité de donner à Kukoc une augmentation. C’était un geste racial de lui donner une augmentation. » – Scottie Pippen

#OTD in 1994, Toni Kukoc hit nothing but net against the Knicks 🔥 pic.twitter.com/1gbsVJ4a3b

— NBA TV (@NBATV) May 13, 2020

La suite est merveilleuse. Le début d’exercice 1994-95 est porté par le duo Scottie Pippen – Toni Kukoc, dont le dernier des deux bonshommes est parvenu à gratter une place dans le cinq majeur suite au départ d’Horace Grant. Place qu’il acceptera perdre lorsque Michael Jordan annoncera son retour le 17 mars 1995, possiblement la plus belle chose qui pouvait arriver dans la carrière du Croate. Si la fin de saison est encore bien moisie avec une nouvelle défaite en demi-finale de conf’ – cette fois contre Orlando – Toni lâche son premier triple-double face aux Celtics (14 points, 10 rebonds et 11 assists) et s’affirme de plus en plus comme étant l’un des meilleurs remplaçants de la Grande Ligue. À l’été 95 débarque un dénommé Dennis Rodman, véritable force de la nature qui accentue plus encore le bench role de Kukoc. Le Croate accepte ses grosses vingtaines de minutes et rend la tache on ne peut plus facile à Phil Jackson qui profite d’un véritable joyau de technicité pouvant jouer du poste 1 au poste 4. Le résultat de ce roster diablement monté est sans appel : les Bulls closent leur saison régulière 1995-96 avec 72 victoires pour 10 défaites et établissent un record, récemment démonté par les Warriors 2015-16. L’armada des Taureaux se faufile donc jusqu’au titre et claque un bilan de 15-3 en Playoffs, écartant en Finales les Seattle SuperSonics de Gary Payton et Shawn Kemp. Premier titre de champion pour Toni Kukoc, complété par un trophée de sixième homme de l’année, et ce malgré des statistiques personnelles en légère baisse. Comme quoi, l’impact va bien au-delà des chiffres.

Les deux saisons suivantes sont un peu un bis repetita, les Bulls récupèrent deux titres supplémentaires et réalisent le three-peat, glissant leur dynastie entre les pages de tous les bouquins d’histoire. De son côté, Toni Kukoc commence à connaître quelques pépins physiques mais reste un des cadors de l’effectif, à tel point qu’en 1998-99, quand Phil Jackson n’est pas prolongé, que Michael Jordan prend sa seconde retraite et que la paire Scottie Pippen – Dennis Rodman se tire, le Croate devient le franchise player d’une équipe désormais la tête dans le passé avec un nouveau bilan de 13 victoires pour 37 défaites. On n’imagine même pas la dureté d’avoir tous les nouveaux petits morveux de l’effectif qui viennent te voir en dribblant dans le dos : « alors on va gagner un quatrième titre hein monsieur Toni ? ». Le changement est rude au beau milieu d’une saison raccourcie par le lockout. Puis, Toni Kukoc est ensuite balancé à Philly, continue à Atlanta – où il réalise une excellente saison, mais un nouveau coach le reporte au banc – et termine son aventure dans le Wisconsin, sous le maillot des Bucks. On se souviendra de sa carrière comme étant l’un des points de départ de l’aventure étrangère en NBA, car même si les Arvydas Sabonis et Drazen Petrovic sont passés avant, il restera à jamais le premier européen titré en ayant joué. Ce soir, il est fort possible que quelques visages présents dans The Last Dance montent sur scène avec lui. C’est ensemble, que Michael, Scottie, Dennis et Toni ont marqué l’histoire.

Palmarès de Toni Kukoc

  • Trois titres d’Euroligue – 1989, 1990 et 1991
  • Trois trophées de MVP du Final Four – 1990, 1991 et 1993
  • Trois titres de champion NBA – 1996, 1997 et 1998
  • Un trophée de sixième homme de l’année – 1996
  • Médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de 88 avec la Yougoslavie
  • Médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de 92 avec la Croatie
  • Champion du monde 90 avec la République fédérale de Yougoslavie
  • Champion d’Europe avec la République fédérale de Yougoslavie – 1989 et 1991

“I don’t think there is a better person than Michael Jordan to stand beside me tomorrow. Michael has impacted my life in every way possible.” – Toni Kukoc #21HoopClass pic.twitter.com/dhxC4G9GA1

— Basketball HOF (@Hoophall) September 10, 2021

Le grand amour, finalement, entre Toni Kukoc et Michael Jordan. À la hauteur du prestige de la dynastie Bulls, leur histoire ensemble est si originale qu’elle mérite d’être racontée sur des pages entières. De « je te pourris la vie » à coéquipiers de titre, on ne peut qu’être pressés de vivre cette soirée lors de laquelle, Michael pourrait bien faire irruption sur scène.

Source texte : NBCSports, ESPN, NBA.com, Basketballreference