Back to basics : Buffalo Germans, la première dynastie qui prend sa source aux origines même du basketball
Le 20 mars 2022 à 11:22 par David Carroz
Pour comprendre ce qu’on vit aujourd’hui, il est important de connaître ce qu’il s’est passé hier. C’est ainsi qu’à travers le portrait de différentes équipes ayant brillé bien avant que la NBA ne soit une ligue toute puissante, TrashTalk vous propose de vous replonger dans une partie de l’histoire du basketball aux Etats-Unis, bien loin des tirs du parking et autres Top 10 qui rythment notre quotidien. Aujourd’hui on se pose sur les rives du Lac Érié pour rendre visite aux Buffalo Germans.
Ouvrir le placard à archives à la lettre G pour Germans de Buffalo. Être ramené aux origines même du basketball. Dans l’histoire d’une équipe mise sur pied par Fred Burkhardt, ancien élève de James Naismith et parmi les premiers à avoir jouer au panier-ballon. Lorsque l’inventeur de ce sport pondait son idée géniale pour occuper les jeunes hommes du Springfield College lors de l’hiver.
Jeunesse triomphante
Pris par le virus de la balle orange, Burkhardt va transmettre sa passion quelques années plus tard. Responsable du sport dans la YMCA de Genesee Street à Buffalo à partir de 1895, il monte une équipe de jeunes qui se lancent à leur tour dans cette toute nouvelle aventure qu’est lancer une balle dans un panier. Comme souvent à l’époque, de telles structures sont des points de ralliement pour les immigrés – ou descendants d’immigrés – qui aiment se retrouver avec des personnes partageant leurs origines. Du côté de Genesee Street, ce sont les Allemands qui se regroupent. La formation fraîchement créée se nomme donc les Buffalo Germans, association logique entre leur ville et leur filiation.
Ces adolescents de 14 piges découvrent ce nouveau sport et se débrouillent pas trop mal. En trois saisons sur le parcours junior du coin, ils remportent le titre à chaque fois. Les mains dans les poches. Enfin façon de parler puisqu’elles sont bien sorties vu comme ils se baladent, terminant chaque exercice sans perdre un match. Il faut donc viser un peu plus haut pour se frotter à une vraie concurrence. Cela signifie quitter le circuit des gamins pour jouer dans celui des adultes. Peu importe qu’ils n’aient encore que du duvet sur le visage, c’est face aux grandes personnes qu’ils vont s’affirmer encore plus. Bah ouais, 12 victoires en 14 rencontres pour leur première au milieu des papas. Ils n’ont beau avoir que 16 ans, ce sont eux les patrons qui mettent des fessées à tout le monde ou presque.
Si bien que lorsque le dix-neuvième siècle se termine, les Buffalo Germans affichent un bilan correct de 87 succès pour 6 revers. Comme tout le monde se cogne complètement du basket à l’époque, autant vous dire que leurs performances sont aussi retentissantes que mon premier panier en carrière dans un match de DM4 Loire. Mais un premier événement va donner aux Germans l’opportunité de se montrer.
Des succès officialisés
En 1901, l’exposition Pan-Américaine débarque dans leur bled. Bon ok, ce n’est pas non plus la fête du slip, mais ça en jette un peu. Surtout que dans le lot des festivités, une petite compétition de panier-ballon se glisse. Rien de bien fameux, juste le premier tournoi national de basketball. Huit équipes, un terrain extérieur avec de l’herbe comme revêtement, le kiffe ultime pour un baller. On va la faire courte, même si cela ne leur vaut pas la une des J.T. – d’une part car on vous laisse chercher une télé à cette époque, de l’autre parce que comme déjà dit, personne ne s’intéresse à la balle orange – les Buffalo Germans remportent toutes les rencontres du rassemblement géré par l’Amateur Athletic Union.
Pourtant, ils auraient pu passer à côté du titre. Lors de l’ultime journée, un match est prévu le matin. Pas de bol, certains membres des Germans ne sont pas disponibles. Ils ont piscine. Ou plutôt examens scolaires, car les jeunes hommes n’ont pas tous fini leurs études. Quelques coups de fils sont passés pour décaler la rencontre, tout semble ok. Pourtant elle débute alors que seuls trois membres des Germans sont sur place. Pour ne pas déclarer forfait, les lascars décident d’attaquer le match en infériorité numérique. En serrant les fesses en attendant les renforts. Ils tiennent le score à un partout jusqu’à ce que deux coéquipiers les rejoignent. Surpris que la rencontre ait déjà débuté. Mais aussi un peu vénère de voir la tentative de carotte des adversaires. Au final, ils s’imposent 10 à 1 et confirment leur domination sur le tournoi.
Un bon entraînement avant une scène encore plus grande trois ans plus tard. En 1904, les Jeux Olympiques se posent à St. Louis dans le Missouri. Le basketball n’est pas encore un sport officiel au sein de la prestigieuse compétition, mais il apparaît en démonstration pour la première fois. Seules des équipes américaines participent au tournoi – c’est dire la représentativité du bousin. Les Buffalo Germans qui ont pris de la bouteille et du poil au menton – 23 ans les vieillards – sont bien entendu de la partie. S’il faut encore attendre 32 ans pour voir le basket entrer officiellement au programme olympique et presque neuf décennies pour que la Dream Team fasse basculer ce sport sur une autre planète, les Germans restent à jamais les premiers à être montés sur la plus haute marche du podium, sans perdre la moindre rencontre.
Barnstorming
Ces deux succès dans ce qu’on peut appeler des tournois majeurs – ou du moins ayant un caractère un minimum officiel – font que les Buffalo Germans se prononcent comme étant les champions du monde, en toute modestie. Une auto-promo qui ne mange pas de pain et qui aide forcément une équipe qui tire ses revenus du barnstorming. Ils tiennent d’ailleurs un rôle de pionniers pour les formations qui partent sur la route, même si les distances parcourues sont loin d’être phénoménales par rapport aux kilomètres avalés chaque année par leur successeurs des Original Celtics, Rens ou Globetrotters.
Mais le délire n’est pas du tout le même que pour ces autres formations. Les Buffalo Germans, même s’ils se font un petit pécule lors de leurs déplacements, ne sont pas une équipe professionnelle. Tous les membres du rosters taffent à côté : comptable, maçon, mécanicien… on trouve de tout chez les Germans. Est-ce à cause de leurs occupations professionnelles que l’équipe n’a jamais rejoint de ligues pro ou semi-pro ? Ou alors la crainte d’une concurrence plus relevée que les formations de YMCA ou universitaires qu’ils affrontent ? Non, le souci vient plutôt de leur situation géographique.
Les transports ne sont pas encore super développés aux USA. Ce sont les Original Celtics qui sont la première équipe de barnstorming à profiter du réseau ferroviaire des années plus tard. Alors l’organisation que réclame la participation à une ligue ne colle pas forcément avec la vision que les Buffalo Germans ont de leur passion. Et pour éviter de se prendre la tête question déplacement, leurs tournées restent dans le coin la plupart du temps, le plus grand trip les ayant amenés dans le Kansas.
Des professionnels ? Pas tout à fait
Habituellement, ils prennent plutôt la direction de la Pennsylvanie, du Connecticut ou du Massachusetts quand ils quittent leur État de New York. Parfois, ils poussent jusqu’à l’Ohio lors des vacances, n’en déplaise à Joakim Noah. Et dans tous les cas, ce ne sont pas des enceintes de rêve qui les accueillent, puisqu’ils jouent quasiment exclusivement en extérieur. Peu importe, c’est par passion qu’ils poursuivent leur histoire. Par amour du basketball alors que la popularité du sport demeure au plus bas. Leur incapacité à toucher du monde à Buffalo explique aussi le besoin d’aller chercher des revenus en dehors de leur ville.
Pour que la balance entre recettes et dépenses reste dans le positif, les joueurs de Buffalo réduisent au maximum les coûts. Seuls six gars partent en tournée, tous joueurs. Si plus tard des formations de barnstorming s’appuient sur des managers pour gérer l’orga, c’est la star des Germans, Allie Heerdt, qui s’occupe de réserver les matchs et de tenir les comptes. Un entraîneur au moins pour les accompagner ? Que dalle. Même les éventuelles blessures ne changent pas le mode de fonctionnement de l’équipe. Cela ne les empêche pas de cartonner. Comme lorsqu’ils enchaînent 111 victoires entre 1908 et 1911 (score moyen de 54 à 18). Certes, ils n’affrontent aucune équipe des ligues professionnelles du coin. C’est d’ailleurs en se frottant à l’une d’entre elles qu’ils voient leur série s’arrêter. Mais il n’empêche, boucler son histoire avec un bilan de 792-86, ça classe une formation.
On peut jouer jusqu’à quel âge ?
Pourtant, les Buffalo Germans ne s’appuient pas sur un style de jeu particulier pour s’imposer. Mais à une époque où les joueurs bougent d’équipe en équipe pour toucher le plus gros chèque possible, la formation bénéficie d’une stabilité rare qui leur permet de construire dans la continuité. En 1916, soit 21 ans après leurs débuts, quatre des gamins qui ont débuté l’aventure sont toujours dans l’effectif. Même si la puberté et quelques rides sont désormais passées par là.
La lente mais sûre démocratisation du basketball aussi, et cela dans leur sillage. Alors que la balle orange n’était qu’à ses premiers rebonds balbutiants en 1895, elle prend tranquillement son envol. Mais pour les Germans, la fin de l’histoire est proche. Ils s’offrent une tournée d’adieu au sein de l’American Basketball League – le summum à l’époque – pour une saison malheureusement en dessous de leurs standards. Derniers lors de la première phase puis sixièmes sur huit lors de la suivante. Les cartons de la première dynastie à dominer le basketball sont loin.
En 1929, cette belle histoire prend fin, malgré les ajouts de nouveaux jeunes à l’effectif. Mais tels des Michael Jordan, cinq des membres d’origine effectuent un come-back en 1931, pour une ultime rencontre. La cinquantaine bien tassée, ils remportent ce dernier match d’un point.
Peu nombreuses sont les équipes à figurer dans leur intégralité au Hall of Fame. En 1961, les Buffalo Germans rejoignent les Original Celtics et les membres du premier match de l’histoire au panthéon du basket. Une juste récompense pour un groupe qui a lancé la balle orange sur de bons rails pour ses successeurs.