L’histoire de l’horloge des 24 secondes en 24 points
Le 15 nov. 2024 à 12:40 par Thibault Mairesse
En cet automne de l’an de grâce 2024, l’horloge des 24 secondes fête ses 70 ans. Zoom sur une invention qui a changé l’histoire du basket… en 24 points.
1) George Mikan : la terreur des premières heures de la NBA
Alors que la NBA fait ses premiers pas, un joueur fait trembler tous les coachs : George Mikan. Un géant de 2m08, inarrêtable, une fois qu’il se met en tête d’attaquer le cercle. Ses stats sur la saison 1949-50 ? 27,1 points de moyenne, il fait chauffer le compteur la saison suivante avec 28 points et 14 rebonds.
Dans son sillage, les Minneapolis Lakers prennent le titre en 1950, 1952, 1953 et 1954.
2) Ralentir le jeu : la seule solution contre l’ogre Mikan
Avec quatre titres en cinq ans, les autres franchises de NBA commencent à en avoir leur claque de l’ultra-domination de George Mikan.
Pourtant une hypothèse avait émergé pour contenir le géant des Lakers. Le raisonnement était plutôt simple : si George Mikan n’a pas la balle, il ne peut pas scorer. Idée logique puisqu’à l’époque, il n’y a pas d’horloge des 24 secondes.
Cette idée reçoit une application très concrète, le soir du 22 novembre 1950. Un jour noir au moment des faits, mais qui s’avère être aujourd’hui le plus grand tournant de l’Histoire du basketball.
3) Le point de non-retour
Le 22 novembre 1950, les Minneapolis Lakers reçoivent les Fort Wayne Pistons. Un match qui aurait pu être palpitant – quoiqu’on n’en sait rien, personne de chez TrashTalk n’y était – mais qui va prendre une tournure très particulière.
Pour comprendre le problème, commençons par évoquer le score final : 19 à 18. Pas d’erreur ici, il s’agit bien du score final.
Afin d’empêcher George Mikan d’agir, Murray Mendenhall, le coach des Pistons, a donné une consigne simple à ses joueurs : conserver le ballon le plus longtemps possible.
Technique de chien, mais technique efficace.
Si la victoire faisait partie du plan de Fort Wayne, le déferlement de haine qui suit n’était pas prévu.
4) La mort du basket
Après ce match, les réactions vont bon train à commencer par le coach des Lakers, John Kundla, qui déclare après la rencontre :
“Jouer comme ça va tuer le basketball !”
Le problème remonte bien sûr jusqu’aux plus hautes instances de la NBA et celui qui est à le commissaire de l’époque – Maurice Podoloff – demande aux coachs et aux arbitres de faire en sorte qu’une telle situation ne se reproduise plus jamais.
5) Un dilemme insoluble
Les arbitres sont ceux qui sont le plus embêtés par la situation. Podoloff ne peut forcer un coach à changer le style de jeu de son équipe. Pour les refs, c’est plus complexe.
À l’époque, les arbitres sont pris en étau par un dilemme qui était insoluble. Sans horloge des 24 secondes quand une équipe comme les Celtics menaient dans le quatrième quart-temps, elle filait la balle à Bob Cousy qui s’amusait à dribbler jusqu’à épuisement du temps. Le seul moyen de récupérer la balle ? Faire une faute. Sauf que l’accumulation des fautes ralentissaient le jeu et prolongeait donc la durée des matchs. C’est ce qui va conduire au second point de non-retour.
À l’inverse, les refs ne pouvaient pas ne rien siffler sous peine de laisser le jeu partir totalement en vrille.
En clair : la situation était dans une impasse.
6) Un problème tout terrain
Après l’affreux Pistons – Lakers de 1950, Daniel Biasone, le propriétaire des Syracuse Nationals, se met en quête de trouver une solution au problème.
Pendant ses recherches, il contacte le coach de l’équipe de basket de l’université de l’Oregon, Howard Hobson, qui a gagné le premier titre NCAA de l’Histoire en 1939.
Hobson déclare qu’il fait face au même problème dans la ligue universitaire. Sauf que lui a trouvé une solution. Une idée qu’il n’a pu tester qu’à l’entraînement, mais qui semble porter ses fruits.
En réalité, il a deux idées : un temps limite de possession et la ligne à 3-points. Deux éléments au cœur du jeu aujourd’hui.
De là à dire que Howard Hobson est à l’origine de la plus grande révolution de la balle orange, c’est un peu fort, mais il a au moins soufflé l’idée.
7) La fin de la saison 1953 – 54 : le deuxième point de non-retour
Quasiment quatre ans après les événements du Pistons – Lakers de 1950, rien n’a changé. Pire encore, le jeu s’est ralenti et le nombre de points par match a baissé en 3 ans passant de 84 points en moyenne par équipe à 79.
Les arbitres sont toujours pris par leur dilemme concernant les fautes et préfèrent les siffler plutôt que de laisser un match partir en battle royale.
À la fin de la saison 1953-54, une rencontre entre Boston et New York a lieu. Avec tous les ralentissements liés aux fautes, le match dure plus de trois heures. Aujourd’hui, cela semble être la norme, mais à l’époque, il n’y avait pas toutes les coupures pubs que l’on connaît aujourd’hui.
Une telle durée est impressionnante et donne lieu à un match ennuyant au possible.
8) Daniel Biasone et Leo Ferri : les pères fondateurs
C’est ici qu’entre un deuxième acteur dans la création de l’horloge des 24 : Leo Ferri, propriétaire et fondateur des St-Louis Hawks et General Manager des Nationals au moment des faits.
Ensemble, ils vont œuvrer à trouver une solution pour accélérer le jeu. Un travail de longue haleine qui porte ses fruits le 10 août 1954.
9) Inspis d’ailleurs
Pour trouver la réponse à ce problème, le duo Biasone et Ferri s’inspirent de ce qu’il se fait ailleurs. Ils se rendent compte que le baseball et le football américain disposent tous les deux de moyens afin d’éviter qu’une possession ne dure éternellement.
Les premières pièces sont posées et l’idée a germé. Le binôme est sur le point de mettre en place une invention qui va révolutionner le basketball.
10) Une partie de bowling pour l’Histoire
C’est ici que l’horloge des 24 secondes est créée et que l’Histoire converge entre deux versions. Deux narratives différentes et qui ont encore un impact, 70 ans plus tard.
Danny Biasone, comme beaucoup de propriétaires de franchises, est plein aux as. Parmi ses biens, il y a un bowling sur James Street à Syracuse. On vous file l’adresse, mais ça ne sert à rien de vous y rendre si l’envie vous prend de faire un pèlerinage sur l’histoire de la NBA. Le bowling est fermé. Oui, on est allé vérifiés. Enfin, on a juste ouvert Google Maps, pas d’enflammade.
Le duo Biasone – Ferri se rend donc dans ce fameux bowling pour disputer une partie et l’un des deux notent les scores sur une serviette de table. Celui qui écrit est celui qui a eu l’idée de l’horloge des 24 secondes.
Problème : les deux propriétaires revendiquent cette invention.
L’Histoire a retenu un nom qui est aujourd’hui entré au Hall of Fame, mais on reviendra sur cette discorde dans les derniers points.
11) La première apparition
Le 10 août 1954, le propriétaire et le GM des Nationals présentent l’horloge des 24 et l’introduisent à un entraînement. L’histoire ne dit pas comme celui-ci s’est déroulé, mais il a dû avoir un petit succès puisque l’horloge des 24 secondes fait officiellement ses débuts juste après.
12) Les débuts officiels
Le 30 octobre 1954, coup d’envoi de la saison 1954-55 avec un duel entre les Syracuse Nationals et les Boston Celtics avec, pour la première fois de l’Histoire, l’horloge de 24 secondes.
Le résultat est sans appel.
Le jeu est plus fluide, va plus vite et est surtout plus agréable à voir. Le score final de 98 à 95 en faveur de Rochester est anecdotique tant la révolution est importante.
#OnThisDay in 1950 fans witnessed the lowest scoring game in @NBA history. The #FortWaynePistons defeated the #MinneapolisLakers 19-18. On 30 October 1954, the #RochesterRoyals defeated the #Boston @celtics 98-95 utilizing newly-implemented technology; the 24-second shot clock. pic.twitter.com/nTuV9ZBC24
— Eric Streetman (@EricStreetman) November 24, 2018
13) Une première mondiale
Parmi toutes les ligues de basket à travers la planète, aucune n’avait trouvé une solution au problème de la lenteur du jeu.
L’horloge des 24 secondes fait office de véritablement révolution. Aujourd’hui, ce modèle est repris partout à travers le monde pour le plus grand plaisir des joueurs et des spectateurs.
14) Pourquoi 24 secondes ?
Ici encore, deux versions de l’Histoire s’opposent.
La version officielle est celle de Danny Biasone. Le proprio des Nationals aurait divisé les 2 880 secondes d’une rencontre par les 120 possessions d’un match en moyenne à l’époque. Ce qui donne 24.
La seconde version, celle de Leo Ferris. Le GM des Nats a eu un raisonnement assez simple qui se résume en une phrase : il aurait estimé que 24 secondes, c’était amplement suffisant pour organiser une attaque.
15) Un impact immédiat
Quoiqu’il en soit, l’impact est immédiat. Outre l’aspect visuel qui est bien plus plaisant, les équipes scorent beaucoup plus. Logique, vu qu’elles ont plus de possessions, mais l’écart par rapport à la saison 1953-54 est colossal. Toutes les franchises scorent en moyenne, 13,4 points de plus que lors du précédent exercice.
16) La renaissance de la Ligue
Face à une telle révolution, la NBA se frotte les mains. Le basket est bien plus beau à voir et attire une nouvelle audience.
Si le sport était sous le point de mourir quatre ans auparavant, il renaît à la fin des années 1950.
17) Un bouleversement tactique
Sur le plan du jeu, l’horloge des 24 secondes est aussi une véritable innovation. Les coachs se cassent plus la tête à mettre en place des systèmes afin de trouver un shoot ouvert à la fin du temps imparti.
Les joueurs redoublent d’inventivité afin de pouvoir passer leur adversaire et ne plus se contenter de garder la balle en main.
Sans cette shot clock, peut-être que des joueurs comme Magic Johnson, Michael Jordan ou encore Stephen Curry, de véritables artistes de la balle orange n’auraient jamais vu le jour.
18) Une règle intouchable et immuable
70 ans après, l’horloge des 24 secondes est la seule règle qui n’a jamais été touchée. Si ce n’est pas une preuve suffisante pour montrer son impact sur le jeu, on ne sait pas ce qu’il vous faut de plus.
Cependant, l’horloge a eu deux petites sœurs.
19) Sa petite sœur : l’horloge des 14 secondes
En 2018, l’horloge des 14 secondes pointe le bout de son nez. Sur une faute après 14 secondes de possession, l’horloge ne repart pas à 24, mais à 14 secondes.
L’objectif reste le même que quasiment 65 ans avant : accélérer le jeu.
20) L’horloge des 10 et des 8 secondes
Traditionnellement, la NBA a statué sur un temps maximal de 10 secondes pour traverser sa moitié de terrain. Ce temps est baissé à 8 secondes pour la saison 2001-02.
L’intérêt ? Toujours le même. Accélérer le jeu et avoir un basket davantage tourné vers l’attaque.
21) Un monument dédié à l’horloge
À Syracuse se trouve le “24 Shot Clock Monument“. Un panneau où s’écoule 24 secondes pour rendre hommage à la fameuse horloge.
On vous l’accorde, ce n’est pas le monument du siècle, mais il a le mérite d’exister.
22) L’horloge des 24 secondes pour rendre hommage
Le 26 janvier 2020, Kobe Bryant décède d’un tragique accident d’hélicoptère.
La NBA ne s’arrête pas pour autant et les matchs continuent d’être joués. Les superstars de la Ligue décident de rendre hommage au Black Mamba à leur manière.
Sur les jours qui ont suivi, les joueurs laissaient couler les 24 secondes et les 8 secondes défensives en référence aux deux numéros portés par Kobe pendant sa carrière.
23) Daniel Biasone au Hall of Fame…
On arrive en fin de ce papier et on ne sait toujours pas qui est le véritable créateur de l’horloge des 24. Dit autrement, qui a écrit les scores de cette fameuse partie de bowling ?
70 ans plus tard, la question a été tranchée en partie. En 2000, Daniel Biasone est intronisé au Hall of Fame. Seul. Son camarade Leo Ferris n’est pas convié à rejoindre le panthéon du basket.
24) … Leo Ferris toujours en attente
Et si on vous disait que justement, le véritable auteur de l’horloge des 24 secondes était Leo Ferris et que c’était lui qui aurait dû être intronisé au Hall of Fame ?
On ne va pas vous dire que Danny Basione est une fraude, mais il y a des éléments qui tendent à montrer qu’il s’est bien mis en valeur.
En 1974, le journaliste Jack Andrews est le premier à se prononcer en faveur de Leo Ferris. C’est lui qui reporte la version de l’horloge des 24 de l’ancien GM des Nationals. Une théorie relayée par Karen Given en 2018 pour le National Public Radio.
Tout ça, c’est bien beau, mais aujourd’hui, quelle est la vérité ?
Il faut savoir que les deux protagonistes sont décédés, mais que la famille de Leo Ferris n’en démord pas. Elle ne demande pas à ce qu’il soit reconnu comme le créateur officiel de l’horloge des 24 secondes, mais qu’il soit intronisé au Hall of Fame comme Danny Biasone.
Son grand-neveu, Christian Figueroa, s’active à l’intronisation de son ancien. En 2021, il a envoyé un dossier de plus de 250 pages au Hall of Fame. Sans succès.
Selon lui, si Leo Ferris n’est pas intronisé, c’est parce qu’il y aurait une volonté de la NBA de nier tous ses liens avec la NBL pour uniquement conserver son histoire passée en BAA. Leo Ferris a été une figure majeure de NBL avant que cette ligue ne fusionne avec la BAA pour donner naissance à la NBA qu’on connaît aujourd’hui.
C’est sur cette ultime théorie du complot qu’on va se quitter.
Source texte : TheAthletic, wbur, Columbia Magazine