Earl Lloyd et Harold Hunter à l’essai chez les Washington Capitols, un premier pas vers l’intégration
Le 31 oct. 2024 à 16:06 par David Carroz
En jouant la finale du tournoi de Colored Intercollegiate Athletic Association dans l’Uline Arena – l’enceinte des Washington Capitols – au printemps 1950, les joueurs de West Virginia State University et de North Carolina College (devenu depuis North Carolina Central University) bénéficient d’une exposition rare pour des Historically Black School and University. Une opportunité qui va permettre à Earl Lloyd et Harold Hunter de taper dans l’œil de la franchise NBA.
Invitation envoyée
Et cela fonctionne plutôt bien. En étant élu Most Outstanding Player du tournoi remporté par sa fac, Harold Hunter marque clairement les esprits sous les yeux de Bones McKinney, l’entraîneur-joueur des Capitols. Si bien que dès la fin de la compétition, celui-ci prévient John McLendon – coach légendaire de l’histoire du basketball afro-américain – qu’il va proposer un essai à son protégé. Fin mars, un rendez-vous est pris pour se retrouver le 6 avril pour un tryout dans les installations de la franchise de D.C. Si cela relève déjà un caractère exceptionnel puisque la NBA est toujours ségréguée à ce moment-là, que dire du fait que Harold Hunter n’est pas le seul invité à cet essai, Earl Lloyd devant aussi être de la partie !
Le matin du test, John McLendon décolle de North Carolina College en voiture avec Harold Hunter comme passager, direction Washington. Un petit trip de quelques heures en passant par Alexandria en Virginie histoire de chopper Earl Lloyd chez ses parents sur la route. Mais avant de se plonger immédiatement dans le stress du tryout, McLendon propose au duo de se caler un petit échauffement du côté d’Howard University – encore une école traditionnellement noire – histoire de se dégourdir les jambes. Après cette mise en bouche, la troupe reprend la voiture pour se diriger vers le gymnase des Capitols.
Sauf que sur le trajet, Earl Lloyd est pris de panique : il ne sait pas jouer le switch en défense car son coach à la fac interdisait de changer de joueur. McLendon stoppe le véhicule, trouve un gars dans la rue pour donner un coup de main et met en place une opposition fictive de deux contre deux. En quelques minutes, il enseigne les rudiments du switch à Lloyd au fond d’une impasse. En repartant après cette ultime étape, McLendon donne un ultime conseil aux deux joueurs : n’en faites pas trop. Contentez-vous de jouer comme vous le savez, c’est ce qui vous a valu cet intérêt et cette opportunité.
Un work out pour l’histoire
À l’arrivée dans la salle, les joueurs des Capitols déjà présents s’arrêtent. Silence. Avant de reprendre une activité normale. Enfin, façon de parler, car si la plupart des joueurs des joueurs de l’effectif ont déjà connu des coéquipiers ou des adversaires afro-américains dans leur scolarité – ou à un niveau moindre dans l’armée – aucun n’a eu affaire à des membres de cette communauté dans un contexte de basket pro. Une fois la surprise passée, l’essai débute normalement, sans remarque, animosité ou comportement problématique. Harold Hunter et Earl Lloyd sont des joueurs comme les autres qui sont là pour faire leurs preuves. Pendant une heure, le tryout permet de montrer qu’ils sont au niveau. Bones McKinney se rappelle même que ce jour-là, le meilleur sur le parquet n’est autre que Lloyd. Il impressionne par sa vivacité et sa capacité de dribble pour un intérieur.
Hunter aussi est à la hauteur, sa rapidité lui donnant régulièrement le dessus sur son vis-à-vis lors des différentes oppositions. Ils ne le savent pas encore, mais cette agilité et cette agressivité de la part d’un meneur, c’est l’avenir de la ligue. Malheureusement, nous sommes aux États-Unis au début des années cinquante et l’ouverture n’est pas la norme. Si les Washington emboîtent le pas des Celtics – qui draftent au second tour Chuck, le premier Afro-américain de l’histoire – en sélectionnant Lloyd (neuvième tour) puis Hunter (dixième tour), cela ne garantit pas une place dans le roster final. Le grand besogneux est conservé, le petit n’est probablement pas assez malin pour diriger l’attaque d’une équipe. Une telle responsabilité doit rester le taf d’un Blanc.
La caricature peut sembler extrême. Pourtant elle illustre bien le schéma de fonctionnement classique du pays qui va s’appliquer également à l’intégration de la NBA. Confier les tâches obscures aux Afro-américains n’est plus vraiment un problème, mais pour la lumière et les rôles de gestion, il faut encore attendre. Bien que doué, Harold Hunter arrive trop tôt pour franchir cette marche supplémentaire que Hal Greer (1958), Oscar Robertson (1960) ou encore Lenny Wilkens (1960) finissent par gravir une décennie plus tard.