Chris Mullin : alcoolisme, papatte gauche et… Don Nelson
Le 30 juil. 2018 à 19:56 par Alexandre Martin
A l’été 1984, Chris Mullin fait partie de l’équipe américaine qui gagnera la médaille d’or lors des jeux Olympiques à Los Angeles. Comme le rapportera le New York Times trois ans plus tard, en route pour ce titre, les jeunes composant le groupe vont laisser une trace de leur passage dans un pub. Et là où tous ses coéquipiers vont se contenter d’une signature le plus souvent accompagnée de leur nom et de leur numéro de maillot, Mullin va se distinguer avec la mention suivante sous son nom : “If the beer is cold, we’ll win the gold”…
Pour ceux qui sont aussi à l’aise avec la langue de Shakespeare que DeAndre Jordan sur la ligne de lancer-franc, voici une traduction : “Si la bière est fraîche, nous gagnerons l’or”. Bien évidemment, la phrase fait plus d’effet en anglais car il y a une jolie rime. Mais au-delà de ce sens de la formule, l’ami Chris venait ici d’envoyer un vrai signe de ses problèmes à venir. Il était à l’aube de son année de senior à l’Université St John de New York, sa ville, et il allait donc vivre une aventure en or aux côtés d’autres joueurs universitaires dont certains – comme Patrick Ewing, Sam Perkins, Alvin Robertson ou encore Michael Jordan – feront de bons petits bouts de carrières par la suite. Ewing et Jordan seront même de nouveau aux côtés de Mullin en 1992, à Barcelone, quand il s’agira de révolutionner à tout jamais la planète orange. Et pourtant, entre temps, ce bon Chris va connaître des périodes bien noires avant de trouver la lumière et de laisser éclater au grand jour son talent immense. En 1985, alors qu’il est tout près d’avoir 22 ans, Chris Mullin est drafté par les Warriors en septième position. C’est une déception car il aurait aimé rester à New York avec sa famille, ses potes, dans sa ville. Mais le voilà qui débarque donc à Oakland, à presque 3000 kilomètres de la Big Apple. D’ailleurs Mullin se rappela sa réaction de l’époque comme l’a rapporté le New York Post :
“Un de mes potes m’a dit : ‘Mais c’est où cette pu*** de ville ?’ Et je ne le savais pas moi-même. Tout ce que je savais c’est que c’était très loin de New York.”
Est-ce que Chris va se sentir trop seul ? Est-ce qu’il est déjà trop pris dans ses penchants vers l’alcool ? Toujours est-il qu’il fait un boulot très correct depuis son poste 2 pour sa saison de rookie. Il participera, sous les ordres de George Karl, à des Demi-Finales de conférence en 1987 alors qu’il sortait d’une régulière en tant que sophomore tout à fait intéressante avec plus de 15 points par soir à plus de 51% au tir. Au passage, il croisera à partir de cette saison-là un autre Chris avec de sérieux problèmes d’addiction, le fameux Washburn, troisième choix de la Draft 1986 (par les Warriors). Au cours de sa troisième saison (1987-88), alors que tout semble aller pour le mieux (Chris tourne à plus de 20 points et presque 5 rebonds par soir), Mullin manquait des entraînements et se retrouvait suspendu pour cela. Il a fini par avouer à Don Nelson qu’il avait un problème avec l’alcool. Nelson faisait alors partie du front office des Warriors et il en deviendra également le coach la saison suivante. Après avoir vu que ses avertissements ne servait à rien, il poussa son joueur à intégrer un programme de désintoxication. De toutes façons, il n’y avait plus trop le choix : Mullin est monté jusqu’à 110 voire 115 kilos à cette période tant il se laissait aller. Mais malgré tout cela, Nelson croyait en Mullin et voulait que le sniper trouve son meilleur niveau parce qu’il collait parfaitement aux plans que ce bon vieux Don avait pour les Warriors.
Et pour l’exercice 1988-89, le quatrième donc de Mullin en NBA, il débarque revigoré et, a priori, débarrassé de son attrait irrésistible pour la bouteille. En tout cas, il fait tous les efforts nécessaires pour perdre ses kilos superflus. Il se met à bosser comme un fou, bien plus que les autres car il sait ce dont il est capable. Il sait d’où il vient. Il a en quelque sorte remplacé l’alcool par l’entraînement et il devient le joueur qu’on attendait qu’il devienne quand il avait 20 ans.
“Il jouait au basket de la façon dont c’était sensé être joué. Il était meilleur que beaucoup de gars tout simplement parce qu’il travaillait plus qu’eux. Il n’était pas le plus rapide du monde mais il pensait plus vite. Il était juste un joueur unique.”
“Une fois, nous étions à l’entraînement et je l’ai vu ne pas rater un tir (de toute la séance). Et c’était genre un entraînement de deux heures.”
Tim Hardaway (coéquipier de Chris Mullin de 1989 à 1995)
Golden State découvre alors un autre joueur. Un joueur bien plus fort que ce que l’on aurait pu imaginer. La plupart des observateurs sont surpris, sauf Don Nelson bien sûr. Ce grand malade de la balle orange a donc pris place sur le banc entre temps et son idée est de prendre tout le monde à contre-pied en jouant de l’ultra small ball dans une ère où la priorité était donnée aux big men sous les cercles. Chris est devenu ailier à temps plein. Chris est devenu Mull-in, ce sniper à la papatte gauche de velours, ce joueur aux allures lentes et fort peu athlétiques mais qui pouvait semer la terreur dans n’importe quel défense grâce à un jeu sans ballon presque sans équivalent dans l’histoire NBA. Chris est devenu All-Star et il le sera pendant cinq années consécutives (1989 à 1993). Il faut dire que sur cette période ses moyennes statistiques en disent long sur son impact sur le jeu : 369 matchs de régulière pour 25,8 points de moyenne à plus de 52% de réussite et presque 36% derrière l’arc mais il n’en prenait finalement pas beaucoup du tout. Surtout par rapport aux quantités astronomiques consommées par les extérieurs de la NBA actuelle. Ces excellents chiffres de scoreurs étaient accompagnés de 5,6 rebonds, 4,1 passes décisives et 1,9 interception. Solide !
Et puis, Chris est aussi et surtout devenu le C du Run TMC avec ses potes Tim (Hardaway) et Mitch (Richmond). Il est devenu cet arrière (1m98) que Don Nelson faisait jouer ailier voire ailier-fort par séquences quand il jugeait bon d’aligner trois arrières sur le parquet. Pendant cinq saisons, il a fait partie des meilleurs joueurs extérieurs de la ligue. Un des plus intelligents, un des moins athlétiques, un des plus adroits, un des plus habiles à trouver le bon angle pour shooter. Ce n’est pas pour rien si Chuck Daly a couché le nom de Mullin parmi ceux qu’il voulait absolument dans la Dream Team 92 quand il lui a été demandé une première liste par le comité. Ce n’est pas pour rien si Mully est double Hall of Famer.
On le sait, les scouts, les coachs et autres encadrants de sportifs professionnels le répètent à qui veut bien l’entendre : la réussite au plus haut niveau est avant tout une question de volonté et peut se jouer à pas grand chose. La carrière de Chris Mullin, avec cette trajectoire incroyable qui l’a emmené d’un centre de désintoxication jusqu’à faire partie de la Dream Team, va complètement dans ce sens. Il était talentueux, incroyablement talentueux même. Mais que serait-il devenu s’il n’avait pas croisé la route de Don Nelson ? On ne préfère pas le savoir finalement…