Le billet d’Alex : de simples mortels, pas des super-héros issus d’un Marvel

Le 15 janv. 2022 à 12:34 par Alexandre Martin

Julius Randle Russell Westbrook super-héros
Source : montage NBA League Pass / Sportsnet Live

On a souvent tendance à l’oublier, moi le premier. Comme nous, les sportifs professionnels en général et les joueurs NBA en particulier ne sont que de simples mortels, pas des super-héros issus d’un Marvel. Comme nous, ils ont des sentiments qu’ils passent leur temps à (tenter de) masquer. Mais amour, haine, tristesse, joie, désarroi, angoisse, sérénité, rage ou colère font partie de leurs vies. Plusieurs événements récents nous l’ont rappelé de manière cinglante, à chaque fois sur fond de confrontation entre les émotions des joueurs et celles des fans. 

Jeudi de la semaine dernière, dans le dernier quart d’un Knicks-Celtics encore une fois explosif au Madison Square Garden, Julius Randle a pointé le pouce vers le bas après un panier très important ramenant les siens à quatre points. Un geste de frustration à destination de son propre public qui ne fait que jouer son rôle : vivre sa passion de manière intense. Un geste qui n’est pas passé inaperçu et qui n’a évidemment pas été apprécié par les fans new yorkais. D’ailleurs, comprenant très vite la portée de ce pouce impérial, Randle n’a pas tardé à s’excuser publiquement à travers un message posté sur ses réseaux sociaux. Était-ce si grave ? L’ailier-fort des Knicks a-t-il bien fait de s’excuser pour avoir laissé parler ses émotions d’humain ? Les avis peuvent être partagés sur ces questions mais cette situation met en lumière une réalité incontournable du sport professionnel, une réalité d’autant plus valable pour les stars et très bien résumée à chaud par Charles Barkley : “Quand tu es bon, on te loue. Quand tu es mauvais, on te hue”. Le deal est clair.

Et oui Julius ! What did you expect ? 

Après une saison régulière 2020-21 énorme, l’ami Randle déçoit cette année. Sa production statistique est en nette baisse pendant que les résultats collectifs sont en-dessous des attentes globales et au quatrième sous-sol par rapport aux attentes des fans. Les voir s’impatienter et mettre à rude épreuve celui qui est considéré comme le franchise player de leur équipe n’a rien de surprenant. C’est même un classique qui fait partie du jeu dans toutes les arènes et encore plus spécialement dans le Garden new yorkais. Malgré son prénom et son geste d’empereur, Randle est un gladiateur qui se retrouve dans ces arènes bondées de supporters chaque soir de match

Les fans ne sont pas là pour proposer des analyses objectives. Ils peuvent ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit. Ils sont là pour recevoir et donner de l’émotion. L’émotion en direct, l’émotion d’une action, d’une victoire, d’une défaite ou d’un événement précis. Ces fans peuvent parfois dépasser les bornes, jeter quelque chose à la figure d’un joueur ou proférer des insultes racistes. Ils doivent et sont le plus souvent sévèrement sanctionnés pour ces écarts inacceptables. Néanmoins, les fans sont au cœur de toutes les émotions du sport. Les fans se lèvent pour voir jouer leurs joueurs préférés et les joueurs jouent pour voir se lever leurs fans préférés. On le voit au quotidien quand on suit la grande ligue. Un retrait de maillot (salut Dirk), les discours qui vont avec, les sourires et les ovations du public. Une blessure grave sur le parquet, le silence qui envahit la salle, la peur sur les visages, les larmes et les applaudissements d’encouragement qui montent. Un décès (on pense à toi Kobe), la tristesse infinie, les fans inconsolables, les sanglots, les célébrations… Et surtout, on le voit lors des matchs. Les fans sont au centre de l’action. Qu’on le veuille ou non, que les joueurs le veuillent ou non. Si la salle est en feu, cela peut changer un match. Si un joueur se fait huer ou railler à chaque fois qu’il touche la balle, il peut déjouer (salut Russell) ou tout casser (comme tu vas Trae ?). 

Les joueurs le savent en arrivant en NBA ou l’apprennent très vite : ils doivent faire avec toutes ces émotions, celles des fans donc mais aussi les leurs et celles de leur entourage. Car les fans ont souvent tendance à idolâtrer les joueurs, surtout les plus forts et les plus talentueux, ce qui décuple les réactions et les rend d’autant plus violentes. C’est d’ailleurs une des raisons – si ce n’est la principale – du niveau mental hors du commun qu’il faut pour réussir une carrière de sportif professionnel. Plus on a de talent, plus les attentes sont élevées, plus les émotions sont en exergue et plus il est difficile de résister à la pression que cela génère. Il ne s’agit pas ici de chercher à dédouaner les joueurs de toutes responsabilités quand ils dépassent, eux aussi, les limites. Bien au contraire. Leur starisation leur impose d’être des exemples pour les plus jeunes, de rester disciplinés quoi qu’il arrive et on le sait, ce n’est pas possible. C’est humain de craquer de temps à autre. C’est humain de péter un câble quand trop de gens viennent vous charrier ou pire sur Twitter ou MySpace. 

C’est humain. 

Kevin Durant, par exemple, est humain. Si, si. On l’a grillé avec un faux compte Twitter qu’il utilisait pour s’en prendre à toute personne le critiquant. Oups. On s’est moqué de son sac à dos. On l’a vu remercier sa MVP de maman, les larmes aux yeux en 2014. On sait que KD peut avoir des interactions pour le moins agressives avec des fans ou avec des médias. Mais c’est aussi ça qui fait le charme de l’ailier des Nets. Ce côté à fleur de peau qui peut le pousser à s’embrouiller avec n’importe qui sur l’oiseau bleu, à envoyer un immense tacle à un journaliste avant de filer au playground se défouler parce que ce qu’il aime plus que tout Kevin, c’est jouer. Son playground à lui s’appelle la NBA mais ça, c’est un détail… 

Russell Westbrook aussi est un humain même si on l’a beaucoup comparé à un marsupilami venu d’une autre planète. On l’a vu au bord des larmes après la défaite contre les Grizzlies, puis plein de désarroi mais aussi d’espoir en conférence de presse après la défaite des Lakers face aux Kings dans laquelle il nous a gratifié d’une nouvelle performance apocalyptique au shoot. Il l’a dit lui-même : “Je n’arrive pas à rentrer un pu**** de tir.” Westbrook l’a dit, le regard dans le vide, le corps las et le mental visiblement très atteint. Lui, l’indestructible, celui qui ne s’occupe pas des médias, celui qui fait parler sa puissance et sa détermination depuis tant d’années, il est en souffrance, au bord du gouffre mentalement et ça se voit. C’est triste. On peut le critiquer, certains fans s’en donnent à cœur joie et nous font bien marrer. Les performances de Russ’ ne méritent rien d’autre récemment de toute façon mais on peut également espérer qu’il va trouver les ressources psychologiques pour rebondir. 

Aucune allusion ne sera faite dans ces lignes à la rivalité naissante entre Devin Booker et la mascotte des Raptors car il est encore beaucoup trop tôt pour savoir si cet épisode de la carrière de l’arrière des Suns aura sur lui un impact néfaste au niveau mental. A en juger par sa photo de profil sur Twitter, les séquelles ont l’air réelles.

Plus sérieusement et pour finir, la passion et tous les sentiments qu’elle implique font partie intégrante de ce jeu de balle orange que nous aimons tant. Que ce soit les joueurs, les fans, Westbrook, Julius, une superstar, un joueur de bout de banc, un trio arbitral ou un coach, aucun acteur ne peut contrôler ces émotions et ne doit même chercher à les éliminer. Car il n’y a pas de honte à être fragile, pas de honte à craquer sous la pression quand les tirs ne rentrent pas ou quand le public vous prend en grippe. C’est humain et sur un parquet, on n’est pas dans un Marvel.

Heureusement car avec des super-héros, le Basketball serait moins beau.