Black History Month : Will Anthony Madden, un visionnaire devenu paria
Le 08 févr. 2023 à 18:24 par David Carroz
Si les idéaux des premiers Black Fives sont ceux de l’amateurisme avec la volonté de se dépasser pour le plaisir du sport, certains Afro-américains voient dans le développement de la balle orange une opportunité business profitable à leur communauté. C’est le cas de Will Anthony Madden, premier roi du basketball new-yorkais.
La vraie question au sujet du futur du jeu est “sera-t-il contrôlé par de vrais amateurs, de faux amateurs ou des professionnels”. […] Il me semble que […] les fans veulent du basketball de première classe et qu’ils sont prêts à payer pour cela, et c’est ce genre de basket qui sera proposé par les professionnels.
C’est avec une pointe d’amertume que Will Anthony Madden, manager des New York Incorporators, acte la fin de l’aventure pour son équipe. Pas n’importe laquelle, la première formation qui a clairement remis en cause le statu quo de l’amateurisme au sein des Black Fives. Malheureusement, si sa vision du futur s’avère juste, il a raison trop tôt. Trop seul.
Au départ, rien ne destine ce jeune homme à devenir un acteur majeur de la balle orange. Peu doué pour le sport, c’est en tant que coursier qu’il fait son trou. Sa rigueur et son sérieux lui permettent de trouver grâce auprès de son supérieur, un Afro-américain cofondateur du premier Black Five de l’histoire. Il lui ouvre les portes du monde du sport en lui permettant de rejoindre la paroisse St. Philip, l’une des plus grandes institutions afro-américaine du pays, et son programme basket.
Will est alors dans la place. Dans un rôle d’observateur dans un premier temps. Tandis que le Black Five lié à la paroisse – le St. Christopher Red and Black Machine – se structure, Madden en devient la mascotte. Celui qui côtoie l’équipe sans toucher la gonfle, qui pose avec les joueurs sur les photos. Il prend ses marques, avant de prendre le pouvoir.
Mais chaque chose en son temps. Il apprend tout d’abord aux côtés de Major Hart, le manager. Madden se rapproche donc de l’équipe à l’arrivée des années dix. Observe attentivement les méthodes de Hart peu au goût des autres Black Fives : son recrutement en utilisant de l’argent pour faire venir coûte que coûte les meilleurs ballers mettent à mal l’équilibre des équipes. Les graines de la discorde qui mène au professionnalisme sont semées.
Un premier coup de semonce est tiré par Hart qui quitte St. Christopher pour monter sa propre formation. En play for pay, c’est-à-dire dont les joueurs sont payés au match joué. Dans ses bagages, outre les stars de St. C’s, on remarque Will Anthony Madden. Mais le modèle s’écroule vite et marque la fin de l’aventure dans le basket pour Major Hart. Pas pour Madden qui rebondit… à St. Christopher. Encore plus culotté, il est élu au poste de manager de l’équipe. Été 1912, Will Anthony Madden se retrouve donc à la tête du Black Five.
Rapidement, il met en place sa stratégie pour atteindre les sommets. Un nouveau coach, de nouveaux joueurs. Mais Will Anthony Madden ne se contente pas seulement de retoucher le roster, il s’attaque également à la communication, en mettant en place tout ce qu’il peut pour améliorer l’expérience du public, comme des goodies pour attirer du monde au match. Pari réussi. Non seulement St. Christopher remporte le titre de Colored Basketball World’s Champions de 1914, mais les finances du club suivent aussi une courbe ascendante. De quoi faire taire ceux qui doutaient de sa loyauté et de son engagement pour la paroisse. Quoique…
Alors que la guerre mondiale éclate à l’été 1914, des secousses totalement indépendantes au conflit viennent troubler les rebonds de la gonfle au sein de la communauté afro-américaine. Les méthodes d’un Will Anthony Madden trop proche de l’argent ne passent plus au sein de la paroisse. Sa démission est inéluctable avant la reprise de la saison suivante.
Mais Madden ne compte pas en rester là. Persuadé d’être l’unique responsable du titre de St. Christopher, il contre-attaque avec un plan simple : mettre la main sur toute l’équipe de basket. Les joueurs, grâce à des avantages financiers, mais aussi l’identité du club. Sa nouvelle équipe s’appelle donc le St. Christopher Club, joue en rouge et noir et son surnom n’est autre que la Red and Black Machine. Bonjour l’ambiguïté. Il dépose les papiers pour faire enregistrer “Le St. Christopher Club of New York, Incorporated” et lorsque la démarche est faite, il embarque avec lui les trophées, bannières et autres biens qu’il juge être sa propriété.
Malheureusement pour lui, il perd la bataille juridique et son club est désormais connu comme les New York Incorporators. Ce qui ne l’empêche pas de rester au top sur les parquets, avec le titre en 1915. Mais son attitude fait grossir les griefs au sein de sa communauté. Malgré ses détracteurs, il voit toujours plus loin, plus grand, au point de se voir affublé du surnom de Little Napoléon. À Chicago, on le considère comme Le King of Basketball of NYC.
Arrive 1917. L’Amérique à d’autres chats à fouetter avec son entrée en guerre en fin d’année. Le conflit mondial couplé au boycott instauré par les Black Fives historiques de New York envers les Incs finissent par mettre à mal la marche en avant vers le professionnalisme de Will Anthony Madden. La saison 1918-19 marque un net recul pour son équipe, la suivante est synonyme de disparition pour le club. Comme pour Madden, coulé par sa personnalité. Et sa vision du futur. Car c’est beau d’être en avance sur son temps, il faut aussi faire adhérer les autres, chose qu’il n’a jamais réussi.
Aujourd’hui, son œuvre reste méconnue. Si Bob Douglas et ses Rens – arrivés après Madden à une période plus propice – ont finalement réussi à imposer le professionnalisme puis à trouver des années plus tard une petite place dans les livres d’histoires – et le Hall of Fame – Will Anthony Madden est tombé dans l’oubli. Pourtant, ce visionnaire a sorti le basketball afro-américain des sous-sols en lui promettant un futur à contre-courant des grandes organisations de l’époque.
Source : The Black Fives: The Epic Story of Basketball’s Forgotten Era, by Claude Johnson