Black History Month : Ora Washington, Serena Williams et Brittney Griner en une seule personne

Le 07 févr. 2023 à 10:05 par David Carroz

TrashTalk Black History Month Ora Washington
Source image : Wikipedia, montage Léonce MVP

Star du basketball, championne de tennis. Voilà en peu de mots le pédigrée de Ora Washington, pionnière du sport américain et probablement l’une des plus grandes athlètes de l’histoire, en dehors de toute considération raciale ou sexuelle. Pourtant, les pages relatant ses exploits sur les deux terrains des années vingt aux années quarante ont vite disparu du roman du sport américain.

Quand Ora Washington jouait, il n’y avait jamais eu ce niveau de grandeur. Nous devrions honorer cela.

Lorsque Claude Johnson, le boss de la Black Five Foundation qui en connait un rayon sur les pionniers afro-américains dans le basketball, parle de Madame Ora Washington, on ne peut que l’écouter. Surtout qu’en ayant remis la lumière sur la carrière de cette athlète d’exception au point d’influer très certainement sur son intronisation au Hall of Fame en 2018, il a permis de réparer un oubli majeur de l’histoire du basketball, mais aussi du sport en général.

Certes, le panthéon de la balle orange reconnaît désormais son apport. Certes, avant même cette consécration posthume, d’autres ont cherché à récompenser la native de Caroline County en Virginie. Mais tout cela est arrivé trop tard. Comme lorsqu’en 1976, les fondateurs du Black Athletes Hall of Fame se sont retrouvés surpris de n’avoir qu’une chaise vide face à eux alors qu’ils cherchaient non seulement à lui décerner un prix pour son oeuvre, mais aussi pour s’excuser de l’avoir laissée si longtemps de côté. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’elle n’était plus de ce monde depuis cinq ans déjà.

Partie dans la plus grande indifférence du monde du sport. Que les Blancs, pour qui les pionniers afro-américains n’ont jamais eu une grande importance, soient passés à côté des accomplissement de Ora Washington, cela demeure triste, mais fâcheusement dans l’ordre des choses. Mais qu’au sein de sa communauté le traitement soit le même, la pilule est plus rude à avaler.

Malheureusement pour elle, Ora Washington cartonne sur les courts de tennis puis les terrains de basket à une époque où être une femme, afro-américaine et homosexuelle est une triplette qui aide encore moins qu’aujourd’hui… Pourtant, il y a tellement à relever, retenir et raconter au sujet de celle qui a commencé à taper dans une balle avec sa raquette au début des années vingt, comme exutoire à la peine d’avoir perdu une sœur atteinte de la tuberculose.

C’est dans la banlieue de Philadelphie, à Germantown, que la jeune femme découvre ce sport au sein de la YWCA du coin. Celle qui a quitté sa Virginie natale dans les années dix au moment de la Grande Migration pour trouver de meilleures conditions de vie et un travail comme de nombreux autres Afro-américains va faire plus que dépasser son chagrin avec la baballe jaune. En 1925, un an après ses premiers échanges, elle remporte le titre en double. Le premier de ses douze consécutifs. Accompagnés plus tard de huit autres en simple, dont sept d’affilée entre 1929 et 1935, plus le dernier en 1937.

Pas mal. Mais pas suffisant pour satisfaire son féroce esprit de compétition. En effet, tous ces trophées sont glanés en ATA, l’organisation afro-américaine du tennis. En cette triste époque où Jim Crow rythme la vie des États-Unis, le “séparés et égaux” de l’arrêt Plessy v Ferguson se résume plus à la séparation qu’à l’égalité. Et le tennis respecte cette doctrine à la lettre : malgré sa volonté de se frotter à Helen Willis – son homologue championne blanche – Ora Washington ne verra jamais son souhait réalisé.

Cette ségrégation ainsi qu’une domination sans partage qui lasse les gens et qui apporte son lot de critiques, il n’en faut pas plus pour que Ora Washington délaisse finalement sa raquette. Surtout quand dans le même temps, elle fait aussi sa place avec une balle plus grosse et de couleur orange.

À partir de 1930, c’est là encore avec la YWCA de Germantown que Washington fait ses gammes dans cet autre sport. Avec la même réussite, puisque le titre de Women’s Colored Basketball World’s Champions repart dans la poche des Hornets – le blaze de la formation – dès la première saison d’Ora Washington, conclue sur un bilan de 22-1. L’année suivante, les filles de Germantown échouent face aux Philadelphia Tribune Girls, formation soutenue par le premier journal afro-américain de la ville. Pire pour les Hornets, elles voient Ora Washington rejoindre les nouvelles championnes.

Les Tribune Girls cannibalisent ensuite le basketball féminin pendant de longues années, avec dix autres titres qui suivent ce premier succès de 1932. Avec bien entendu Ora comme pièce centrale des succès. En termes de talent pur, elle est la première femme afro-américaine avec le statut de star. Mais si la communication de l’époque accentue volontairement le côté gracieux des joueuses, Ora Washington ne rentre pas dans ce moule, son jeu et son physique étant souvent qualifiés de masculins. Ses coéquipières s’en moquent éperdument tant elle joue un rôle majeur en tant que meilleure scoreuse, capitaine et même pendant une période coach des Tribune Girls.

Pour autant, cette image de puissance et d’agressivité sur les parquets tout comme sa discrétion en-dehors, sans jamais se marier, rendent les leaders afro-américains nerveux. Une différence en plus, qui accentue certainement l’oubli dans lequel Ora Washington tombe à sa retraite au début des années quarante. Elle se consacre donc désormais entièrement à son emploi. Car oui, le plus fort dans cette carrière exceptionnelle, c’est qu’Ora Washington accomplit tout cela en continuant de travailler comme femme de ménage, un salaire de Tribune Girl n’étant pas suffisant pour vivre.

Durant deux décennies à partir de 1925, Ora Washington a ouvert la voie aux Serena Williams, Simone Biles, Candace Parker, Brittney Griner. Et si ces dernières peuvent aujourd’hui avoir une telle influence en étant reconnues pour leur talent, n’oublions pas qu’avant elles, une étoile aurait dû briller au moins tout autant. Mais à son époque, être une femme afro-américaine limitait rayonnement. 

 

Source : BlackFives.org, BBC