Black History Month : Mahmoud Abdul-Rauf, le refus 20 ans avant Colin Kaepernick

Le 06 févr. 2023 à 13:36 par Bastien Fontanieu

TrashTalk Black History Month Mahmoud Abdul-Rauf
Source image : TrashTalk

Si aujourd’hui Colin Kaepernick représente le modèle sportif de l’opposition face aux brutalités policières aux Etats-Unis, 20 ans auparavant un autre athlète se tenait droit pour défendre les siens. Voici l’histoire de Mahmoud Abdul-Rauf, mis au ban par la NBA pour ses prises de positions.

On en a pris l’habitude, car aucun match ne démarre sans que cela ait lieu.

L’hymne national américain avant la présentation des joueurs, c’est un peu comme une entrée avant un plat.

Et aux Etats-Unis, on ne déconne pas avec ces choses-là.

En 1996, Mahmoud Abdul-Rauf est en NBA et évolue chez les Denver Nuggets au poste d’arrière.

Un mec ultra-talentueux, petit scoreur sous forme de gâchette, qui ferait des ravages dans la Ligue actuelle. Seulement, pour Chris Jackson (devenu Mahmoud Abdul-Rauf après sa conversion à l’Islam), il est difficile d’exprimer son talent dans un cadre en inadéquation avec ses convictions. Lesquelles ? Celles contre l’oppression et la violence, celles du partage et de l’amour entre les peuples. Et hélas, en 1996, il est difficile pour Mahmoud de joue la carte de l’ironie pendant l’hymne national.

Auprès d’un journaliste local, Abdul-Rauf tient alors les propos suivants :

Le drapeau américain représente la tyrannie et l’oppression.”

Coup de froid dans le Colorado, et autant vous dire qu’à l’époque il n’y avait pas Twitter pour apporter différents éléments à la conversation.

Le postulat est simple : pour Mahmoud, les principes de sa nouvelle religion ne sont pas alignés avec ceux de la NBA, qui impose aux joueurs de se tenir droit pendant l’hymne.

Le 12 mars 1996, Abdul-Rauf s’assoit et refuse tout simplement d’écouter l’hymne, ce qui va lui coûter une suspension d’un match, plus de 30 000 dollars d’amende et une cible sur le dos.

Car ce que fait Mahmoud ce jour-là, c’est aussi de créer un débat public dont la NBA se passerait bien dans son glorieux quotidien sportif.

Seulement, 20 ans avant Kaepernick et d’autres athlètes qui vont prendre position, MAR tape du poing sur la table.

Pourquoi devrait-on juste dribbler et se taire ?

Soutenu par l’association des joueurs, l’arrière scoreur contacte la Ligue et leur demande justement si un terrain d’entente ne peut pas être trouvé. Peut-être pourra-t-il rester présent pendant l’hymne, mais tout en gardant les yeux fermés et les deux paumes dressées vers son visage pour faire sa prière ?

La NBA fait la moue mais accepte la demande, la scène devient alors captivante.

Mahmoud Abdul-Rauf, en 1996, faisant sa prière d’avant-match avec un drapeau américain dans le fond.

The NBA is not sinless. The original Kaep, Mahmoud Abdul-Rauf, was blackballed from the NBA in the prime of his career for protesting the tyranny of the US by not standing during the national anthem. Went from dropping 50 on the Jazz to not even in the league.#BlackLivesMatter pic.twitter.com/o8zVQiTK8D

— Naans (@LilNaanX) June 7, 2020

Malheureusement, ce sera le début de la chute aux enfers pour lui, car Mahmoud va être littéralement… blacklisté par la NBA.

En deux ans seulement, un des arrières-scoreurs les plus prometteurs de sa génération va quitter la Ligue, en tombant sur des messages vocaux en permanence.

Les premières réactions sont vives : à Denver, quatre employés de la station de radio KBPI entrent dans une mosquée de la ville du Colorado et entament l’hymne américain à coup de trompettes. Ambiance. Il ne faudra attendre que quelques semaines avant que le joueur soit transféré à Sacramento et voir son jeu soudainement chuter.

Quasiment 20 points de moyenne en 36 minutes de jeu en 1996, à l’âge de 26 ans ?

Direction la Turquie en 1998 sans pouvoir remettre un orteil en NBA, à l’âge de 29 ans.

Certes, un dernier passage par Vancouver lui permettra de boucler la boucle, mais à quel prix ?

Trop en avance, ou trop esseulé, trop loin des technologies d’aujourd’hui ou du statut de star qui aurait pu diffuser davantage son message, Mahmoud Abdul-Rauf prenait position lors de l’hymne américain 20 ans avant Colin Kaepernick. Pas avec un genou au sol, pas contre la brutalité policière précisément, mais avec un message clair, personnel, qui ne convenait juste pas à la ligne bien droite d’une ligue sportive américaine.

Un mal pour un bien ? Avec les actes du joueur de NFL, c’est le dossier de Mahmoud qui a été remis sur la table et lui a permis de retrouver un peu de respect.

Pas d’excuses, car il n’en a rien à foutre, mais du respect et de la considération. L’occasion aussi, pour lui, de redire encore plus haut et fort ce qu’il pensait déjà il y a 20 ans.

« Les athlètes ne devraient pas se sentir obligés d’avoir à faire un choix entre leur conscience et perdre leur boulot. Oui, il y a de la violence policière et de l’inégalité raciale. Colin Kaepernick perd son travail à cause de ça ? Pourquoi un athlète ne pourrait-il pas en parler comme de nombreux politiciens le font ? Nous sommes avant tout des humains, et c’est ensuite que nous avons décidé de devenir sportifs. Ce n’est pas en devenant sportif qu’on perd notre humanité. Quand la caméra s’allume, on doit être cette autre personne et dire ce qui sonne bien, même si c’est faux pour vous intérieurement. Et je trouve ça triste. »

S’il apprécie le soutien apporté par de nombreux joueurs actuels, comme LeBron James ou Chris Paul qui ont pris des positions fermes sur des sujets sociétaux en tant que leaders, Mahmoud Abdul-Rauf continue de partager sa vision et sait qu’encore beaucoup de chemin doit être accompli. Des regrets ? Sur son époque peut-être, car comme il le dit si bien, avec davantage de soutien il pense que son message aurait pu toucher davantage de gens, et il aurait surtout été mieux compris.

Mais aucun trophée ni aucune victoire ne pourra dépasser ce avec quoi il vit aujourd’hui. Car comme le dit si bien Mahmoud : “s’endormir chaque soir en sachant que j’ai tenu droit avec mes principes, cela n’a pas de prix.”