Black History Month : Harry Lew, le premier basketteur afro-américain professionnel

Le 05 févr. 2023 à 09:56 par David Carroz

TrashTalk Black History Month Harry Lew
Source image : African American Registry, montage Léonce MVP

Alors que les Afro-américains ne s’intéressent guère au basketball et que lorsqu’ils tâtent de la balle orange, c’est principalement dans leur coin en respectant le précepte du “séparés mais égaux”, Harry Lew fait figure d’exception. En 1902, du haut de ses dix-huit piges, il devient le premier baller professionnel de sa communauté.

Certains journaux locaux ont mis la pression en demandant à ce qu’ils donnent à ce petit nègre du coin une chance de jouer. – Harry Lew se rappelant les jours précédant son avancée.

Il faut dire que depuis quelques années, Lew commence à se faire sa petite réputation sur les terrains de basket. Excellent dribbleur à deux mains – et oui à l’époque, c’était non seulement autorisé mais en plus stylé de faire rebondir la gonfle avec ses deux papattes en même temps – et défenseur acharné, il permet à son équipe de YMCA de remporter quatre années consécutives le championnat de la Merrimack Valley, titre décerné par l’Amateur Athletic Union pour la région longeant la rivière du même nom, entre Massachusetts et New Hampshire.

Les qualités de vitesse et d’agilité de Bucky – surnom qui lui colle à la peau depuis sa plus tendre enfance – ne laissent pas la presse locale insensible. Elle commence donc à militer pour qu’il puisse rejoindre l’équipe du coin en New England Basketball League, le Pawtucketville Athletic Club. On est loin de la NBA actuelle ou bien même de sa version initiale à la fin des années quarante. Comme les nombreuses premières ligues plus ou moins professionnelles du début du siècle, la NEBL ne tient souvent qu’à un fil, avec une organisation bancale, des règles pas toujours les mêmes en fonction de l’endroit où le match se déroule. Mais cela reste le haut du panier où jusqu’à présent, tout le monde s’accorde pour ne pas faire jouer d’Afro-américains. Ou du moins pour ne pas se poser la question de l’intégration.

En même temps, la séparation est la norme depuis l’arrêt Plessy v Ferguson de 1896, et si les lois Jim Crow sont souvent associées aux États Sudistes, l’ensemble du pays vit au rythme de la ségrégation. Des exceptions viennent parfois permettre de grandes premières au gré des circonstances. C’est dans ce contexte et avec un enchaînement d’événements favorables que Harry Lew marque l’histoire en devenant le premier basketteur afro-américain à signer un contrat. Une série de blessures au sein de la formation du Pawtucketville Athletic Club pousse l’entraîneur à répondre favorablement aux demandes de la presse en recrutant Lew. Mais le deal est clair : il est juste là pour faire le nombre sur le banc, prendre son chèque de cinq dollars sans fouler le parquet.

 

4 janvier 1884. Il y a 139 ans naissait à Lowell, Massachusetts, Harry Haskell “Bucky” Lew. Ce blaze ne vous dit rien ? Have a sit, take a beer, je vous raconte son aventure et sa place dans l’histoire du basketball pour @TrashTalk_fr #BuckyLew #Pionniers #Thread pic.twitter.com/eshC5zwQou

— David TrashTalk (@TheBigD05) January 4, 2023

Sauf que là encore, une nouvelle péripétie va lui faire quitter son rôle de coupeur de citron assigné au bord du terrain. C’est une fois de plus une blessure qui précipite sa nouvelle première. Enfin, pas tout de suite, car au départ, son coach préfère jouer à quatre contre cinq plutôt que de faire entrer son remplaçant. Le public ne partage pas cet avis, et à l’instar des journaux qui ont poussé pour que Bucky fasse partie de l’équipe, les spectateurs mettent à leur tour la pression pour le voir jouer, comme il s’en souvient lui-même :

Les fans devenaient fous et ont presque lancé une émeute, criant pour me faire jouer. Et ça l’a fait. Je suis entré et vous savez… tout ce que vous avez lu sur Jackie Robinson, les injures, les noms d’oiseaux, les efforts pour le détruire… c’est la réalité.

Malgré les coups, les provocations, Harry Lew ne laisse pas passer l’occasion. Mieux, il dispute 36 rencontres pour finir la saison, avant de rejoindre Haverhill – toujours en NEBL – qui rachète son contrat. Durant deux saisons supplémentaires, il devient un spécialiste de la défense, un rôle qui est l’occasion pour ses adversaires de jouer régulièrement la carte de la ségrégation. Si la plupart du temps personne ne se soucie de voir un Afro-américain sur le parquet, la donne change rapidement lorsqu’il vient de museler le meilleur attaquant. Et à ce moment-là, les équipes se plaignent et remettent en cause son droit de jouer. Mais la NEBL refuse catégoriquement de céder à cette tactique qui n’est qu’un moyen d’affaiblir Haverhill en le privant de son meilleur défenseur.

Malgré tout, la carrière du pionnier Harry Lew connaît un coup d’arrêt en 1905. Pas pour cause de ségrégation mais parce que la ligue met la clef sous la porte. Il se tourne donc vers le barnstorming, ce basketball fait de tournées, pour continuer de jouer de façon professionnelle. Contrairement à d’autres Afro-américains qui se rassemblent au sein de Black Fives, Harry Lew évolue dans des équipes intégrées. Pendant vingt ans, il sillonne avec ses coéquipiers la Nouvelle-Angleterre. Et si au sein de sa formation il n’est jamais question de racisme, on ne peut pas en dire de même des situations qu’il vit au quotidien sur la route, entre les restaurants et les hôtels ségrégués, ou encore des accueils chaleureux de la part des fans adverses.

Presque cinquante ans avant l’ouverture de la NBA aux Afro-américains, Harry Lew a écrit la première page professionnelle de l’histoire de sa communauté avec la balle orange. Malheureusement, cet accomplissement est plus une coïncidence, une anomalie au sein de cette Amérique ségréguée. La preuve, c’est qu’en dehors des Blacks Fives qui vont basculer vers le professionnalisme dans les twenties, aucun autre Afro-américain n’est payé pour ses talents de ballers pendant plusieurs décennies. Et encore moins dans des équipes ou des ligues intégrées.

Source : They Cleared The Lane de Ron Thomas et Breaking Barriers de Douglas Stark