Indiana Pacers, histoire d’une reconstruction – partie 2/3 : Brique après brique
Le 08 déc. 2013 à 20:19 par Nathan
Après les malheureux événements du “Malice in the Palace”, la franchise d’Indiana est détruite. Infréquentables, risée de toute la NBA en termes de réputation, personne ne veut entendre parler des Pacers. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le plus dur ce n’était pas “The Brawl”, mais ce qu’il reste à faire. Laver la franchise, réinstaurer une confiance entre dirigeants, joueurs et fans, recréer un fond de jeu : un projet qui nécessite de la patience, du travail, du temps, de la chance – mais aussi beaucoup de flair. Ca tombe bien, c’est Larry Bird et Donnie Walsh aux manettes. Suite de l’histoire d’une reconstruction réussie.
Première étape : retrouver un leader
Indiana, au lendemain de la fameuse bagarre du Palace d’Auburn Hill, a perdu tous les fondements qui font la solidité d’un groupe, d’une identité collective : de la confiance, une base de supporters, mais aussi (et naturellement) des joueurs qui sont les miroirs d’une franchise qui gagne. Indiana a perdu un leader, moral et statistiques, un homme qui doit être le visage d’une équipe. Reggie Miller a pris sa retraite en 2005, Ron Artest est tout sauf un leader, Jermaine O’neal a du mal à assumer son rôle de go-to-guy. C’est bien connu : le premier principe pour construire un groupe, c’est de trouver un joueur autour duquel former une équipe. Si dans bien des franchises, c’est le collectif qui fait les individualités ; à Indiana, Bird et Walsh n’ont pas ce luxe : changer la culture du club ne signifie pas imposer un dogme, mais construire autour d’éléments soigneusement choisis. En particulier : un franchise player.
Et cet élément, ils l’ont trouvé : Danny Granger. En 2005, les Pacers possèdent le 17ème choix de draft. Ils avaient prévu que Granger serait de la trempe d’un lottery pick. Même si c’est perdu d’avance, Larry Bird obtient de Granger que ce dernier fasse un petit tour à Indianapolis pour participer à un workout, comme un service rendu à une franchise au fond du trou. Pour le principe, il débarque et joue devant Bird et compagnie. Pour le principe.
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“Au bout de 15 minutes, on a tous dit ‘C’est bon, sortez le de là, il n’a pas besoin d’être ici. On n’a aucune chance de l’avoir’. Il était si fort.” – Larry Bird
La chance, cette part irréductible de hasard, ce je-ne-sais-quoi qui semble nous échapper, qu’on pense être indépendant de notre volonté : Larry Bird en a fait l’expérience ce jour là, à New York lors de la Draft édition 2005. Mais, comme on l’a dit, la chance ne touche que ceux qui savent la provoquer. Les Pacers n’avaient aucune chance de l’avoir ? Peut-être que si : Granger avait contracté une vilaine blessure au genou durant son année senior. Il a continué à jouer malgré la douleur : ces deux paramètres ont mis le doute à beaucoup de franchises. Pas à Bird. Les choix passent, Granger ne tombe pas. Larry Legend saute sur l’occasion : les Pacers ont trouvé leur homme, leur première brique – un scoreur-né.
Le retour sur investissement ne se fait pas attendre longtemps : Granger est élu dans le deuxième cinq de rookies et tourne à 7,5 points et 4,9 rebonds de moyenne. L’année suivante, ses statistiques doublent quasiment, Granger marquant 14 points de moyenne. Deux ans plus tard, l’ailier plante 25 points par match est élu All-Star. Le développement d’Indiana correspond à celui de son franchise player – enfin, jusqu’à l’année dernière…
Mais construire une équipe ne se réduit pas à poser un pôle central (ici, Danny Granger), et attendre que tous les éléments se mettent en place et gravitent autour de lui. Au basket, une bonne franchise ne l’est pas uniquement parce qu’elle a un scoreur dans ses rangs. On sait qu’une équipe championne est une équipe qui a du volume là où la bataille est la plus féroce, là où, paradoxalement, les paniers sont les plus durs à marquer, alors même que le cercle est à portée : dans la peinture. Depuis quelques saisons, Indiana a un manque dans ce secteur. En effet, Jermaine O’neal n’est plus en odeur de sainteté. Aussi et surtout, celui qui a été 6 fois All-Star (de 2002 à 2007) est diminué par des blessures. Poignet, genou : O’neal accumule les blessures et, s’il reste un des joueurs majeurs de la Ligue, voit ses stats diminuer à mesure que les années s’écoulent, notamment après une vilaine blessure au genou en 2005 qui lui fera manquer le reste de la saison. Ne tournant plus qu’à 13 points de moyenne en 2008, O’neal est inclus dans un trade à six joueurs qui l’envoie à Toronto. Indiana récupère les droits de Roy Hibbert, choisi en 17ème position par les Raptors en 2008.
La réception de ce transfert est mi-figue mi-raisin. D’un côté, le front office d’Indiana a tout pour être satisfait. Les Pacers ont comblé un vide en acquérant un solide gaillard de 2m18 et 120 kilos, tout en se libérant d’un contrat qui les obligeait encore deux ans et leur coutait la bagatelle de 44 millions de dollars. Bingo.
Du point de vue du front office, ce mouvement est une réussite – du moins financièrement parlant, et à long terme. Mais du point de vue des fans, c’est une autre histoire. A son arrivée dans la ligue, on trouve que Hibbert est brut, trop brut. Il est incapable de constituer une menace offensive sérieuse in the paint. Aussi sa présence défensive tarde à se faire sentir. Surtout, il manque clairement de fondamentaux, dont un des plus importants quand on est un jeune joueur américain : courir, être dynamique – to run the court, comme disent nos amis d’outre-Atlantique. Hibbert est jugé lent, mou, pas assez actif. Comme tout bon fan, celui des Pacers est impatient et exigeant : mais la patience est une vertu qu’il faut cultiver dans le sport, et au basket particulièrement en ce qui concerne les pivots. Larry Bird, l’architecte n°1 des Pacers, n’est pas dupe : le potentiel d’Hibbert est énorme, il faut lui laisser le temps.
J’ai joué avec Robert Parish [ndlr : le pivot Hall Of Famer de la grande époque des C’s], et il me disait souvent : “Tu sais Cap’, nous autres les grands, on met du temps à s’y mettre. Mais une fois qu’on est dedans, on lâche rien”.
C’est aussi cela, gérer une équipe, trouver des talents, faire confiance à des individus ; savoir, parfois avec certitude, quel est le bon choix : piocher dans son expérience des modèles pour juger. Vous me direz, avec l’expérience de Larry c’est pas compliqué. Eh bien… Michael Jordan ne serait pas d’accord.
Si vous jetez un œil à la carrière de Robert Parish, vous verrez qu’il a toujours scoré, mais qu’il n’a commencé à courir des deux côtés du terrain qu’à partir de son arrivée à Boston. Ca a été très dur pour lui. Je me souviens, quand il est arrivé, qu’il ne pouvait pas courir d’une ligne de lancer-francs à une autre pendant les deux premiers mois.
Roy Hibbert a pris la même tangente. On a dû lui apprendre à courir, à utiliser son corps. Il a fallu développer ses potentialités. On voit le résultat : précisément, la défense qu’on dit “à la Hibbert” consiste à rester mobile, à ne pas camper dans la peinture, à aller chercher les attaquants en utilisant toute la verticalité du corps pour gêner plus que pour contrer et risquer la faute. Aujourd’hui, Roy Hibbert est une arme de destruction massive en défense, probablement la plus efficace en matière de protection du cercle. Mission réussie.
2010 : une nouvelle franchise est née
Un extérieur, un intérieur. La colonne vertébrale de l’équipe est construite. Avec Granger et Hibbert, Larry Bird peut se rassurer : le talent est là. Mais le travail est loin d’être fini. Comme on l’a déjà dit, de la saison 06-07 à l’édition 2010-2011, Indiana perd plus de matches qu’elle n’en gagne. L’équipe n’a pas assez de volume, elle est trop vite dépassée. Il lui faut des guerriers, et pas seulement des talents. En 2009, les Pacers choisissent avec le 13ème choix Tyler Hansbrough, un énergumène en provenance de North Carolina qui ne tardera pas à se faire surnommer ‘PsychoT’. Pas besoin de détailler le profil, vous le connaissez : Hansbrough se bat, apporte du muscle à l’intérieur et permet de garder un haut niveau d’intensité quand les titulaires se reposent. Encore une fois Larry Bird a du flair : modestement, une équipe future finaliste de conférence est en train de se créer. Mais c’est véritablement l’année 2010 qui va tout changer. La draft de cette année va se révéler être un moment charnière. C’est elle qui va faire passer Indiana d’une équipe en devenir, à une franchise redoutable. Mais Bird et Walsh sont alors face à un choix qui a tout du dilemme.
Ed Davis, Paul George. Deux noms, deux talents, deux styles différents – mais un seul choix. L’un intérieur, machine à double-double, classique mais efficace. L’autre extérieur, discret mais bon défenseur, gros bosseur…et un petit quelque chose de spécial.
On hésitait entre Ed Davis et Paul George. Chez George, j’aimais bien sa longueur, son envergure…et j’avais entendu combien c’était un garçon génial, et qu’il voulait vraiment devenir un professionnel. Tout était si positif à son sujet.
J’aimais bien Ed Davis. C’était un joueur type “double-double”, mais il nous fallait plus que ça. On avait besoin d’un gars qui, s’il y travaillait beaucoup, pouvait devenir spécial. Et on a eu de la chance. Je savais qu’on allait se faire pourrir, mais je savais aussi qu’on avait vu juste.
Et comment. Encore une fois, Larry a eu du flair. Dans les deux cas, il avait raison. On a pris les Pacers pour des idiots. Beaucoup se sont dits : ‘Comment Bird a-t-il pu laisser passer un joueur de la trempe de Davis, un élément qui allait être productif et régulier ? Et puis d’ailleurs, c’est qui ce gars ? Paul Qui ?’. Donnie Walsh, qui officie à New York à l’époque, sait pourtant que le choix est le bon.
Bird a choisi le bon gars, et d’ailleurs : Paul George était largement meilleur que n’importe quel joueur qu’on avait vu sur le moment.
Davis tourne à 7.1 points et 6.3 rebonds après plus de trois saisons dans la ligue avec Toronto et Memphis. George en est à 13,5 points et 5,9 rebonds avec les Pacers. Cette saison, il affiche 24,1 points, 6 rebonds, 4 passes. Il est All-Star pour la première fois à 22 ans et plante 17 points. Et le retour sur investissement n’a pas encore atteint ses limites tellement le garçon ne cesse de progresser. Tu devrais jouer au poker, Larry.
Indiana a dégoté sa star naissante. Alors que Danny Granger est déjà le go-to-guy officiel, les Pacers ont trouvé la relève si jamais le besoin se faisait sentir. Une blessure a fait le reste.
Mais la draft 2010 n’a pas tout donné tout ce qu’elle avait de talent aux Pacers. Larry Legend va tenter un dernier gros coup. Avec le 40ème choix, Indiana sélectionne Lance Stephenson et son formidable répertoire. C’est peut-être d’ailleurs le plus gros steal qu’a réussi à faire Bird. Plus que Hibbert, plus que George même, tellement le garçon a mauvaise réputation. Mais tellement il suinte le talent, aussi.
Je pensais qu’il pouvait être pris au 1er tour. Mais je ne voyais personne au premier tour, même dans les dix premiers choix, qui avait plus de talent que ce jeune homme. Est-ce qu’on peut le sauver ? Est-ce qu’on peut l’aider ? Je ne le savais pas.
Je me disais : “si je prends ce petit, tout le monde va devenir fou”. Et ça a été le cas.
Ne nous méprenons pas : Bird et Walsh ont tenté des coups de poker sans arrêts, et certains ont été de vrais flops. Davis Harrison, choisi au 29ème choix en 2004. Flop. Shawne Williams, au 17ème en 2006. Flop. Des risques légitimes mais inefficaces, des questions qui n’ont pas trouvé de réponses. Stephenson a répondu à (presque) toutes les questions : il était capable d’apporter sa touche –irrésistible touche playground, all-around mais aussi playmaker, showman et col bleu – tout en se fondant dans le collectif. Indiana a trouvé sa nouvelle pépite, une pièce de plus à coller avec les Granger, Hibbert et George. Donnie Walsh observe depuis la Grosse Pomme : tout cela commence sérieusement à avoir de la gueule.
Je regardais tout ça depuis New York, et je me rendais compte qu’ils commençaient à avoir toutes leurs facettes de construites. Plus je les regardais, plus je me disais qu’ils étaient si forts en tant qu’équipe.
Revenons sur ce que l’on a dit en introduction : si le collectif fait les individualités, au début de leur reconstruction, les Pacers étaient obligés de se baser sur un individu, un leader, une première impulsion qui allait donner une direction pour plusieurs années. A l’époque où nous sommes arrivés, cette idée est renversée. Si le collectif est né des individualités qui le composent, maintenant il les dépasse. Laissons à Walsh le soin de le dire (et en VO, s’il-vous-plaît) :
“They are much better than their pieces”
Mais si le collectif dépasse les individualités, si le groupe sublime les différences, ce n’est pas seulement grâce à un savant mélange de joueurs soigneusement sélectionnés. Ou plutôt, ce savant mélange ne se fait pas tout seul. Il faut un homme pour mener les troupes. Il manque encore, dans ce processus de reconstruction, une pièce importante – sans doute la plus importante de toutes : le coach. Là encore, Larry Bird a vu juste : suite au dernier épisode.
Source : IndyStar / Sources image : the 305.com ; fanhub.me ; SlamOnline