Black History Month : Don Barksdale, l’homme de nombreuses premières
Le 19 févr. 2023 à 09:37 par David Carroz
À quelques encablures des Jeux Olympiques de Londres de 1948, Don Barksdale est bien parti pour devenir le premier Afro-américain à représenter son pays dans un sport collectif au cours d’une Olympiade. Mais cette nouvelle avancée au tableau de chasse de ce formidable pionnier ne se fait pas toujours dans la douceur, comme lors d’un match exhibition joué entre deux formations issues de cette sélection olympique.
Don, ce que tu as fait était dangereux, mais je suis fier de toi.
R.C. Pitts, coéquipier de Don Barksdale revient sur l’incident. Ce moment où Big Don a causé un silence sans précédent à Lexington, dans le Kentucky, maison des Wildcats de Adolph Rupp, future légende du coaching universitaire à l’image de l’État du chanvre : très peu ouvert sur les questions raciales. Lors de ce match de préparation joué par Team USA, Don Barksdale devient le premier Afro-américain à prendre part à une rencontre intégrée sur le terrain des Wildcats. Malgré les menaces de mort reçues la veille au téléphone, dans sa maison d’hôte car logé loin de ses coéquipiers. Si au départ Rupp ne voulait même pas que Barksdale puisse prendre part à la confrontation, la pression des autres joueurs prêts à annuler le match et ainsi la peur de devoir rembourser les billets déjà achetés ont eu raison de sa mise à l’écart.
Arrive donc cette rencontre, une nouvelle avancée pour Don Barksdale, déjà devenu le premier Afro-américain élu All-American NCAA en 1947 avec UCLA. Lors d’un temps-mort, il se regroupe avec ses coéquipiers. Une bouteille d’eau tourne. Une seule. Le bidon passe de main en main. Jusqu’à Barksdale. Va-t-il boire lui aussi ? Inconcevable dans le Kentucky qu’un Afro-américain partage le godet d’un Blanc. Tout le monde le sait, tout le monde se tait. Les joueurs, les 14 000 fans médusés. Mais Big Don envoie promener ses doutes et les règles de la ségrégation. Il boit à son tour, puis passe la bouteille à Shorty Carpenter, un pur redneck de l’Arkansas. Qui boit sans se poser de question. La vie, le bruit puis le match reprennent.
Quelques semaines plus tard, Barksdale rentre au pays avec sa breloque d’or – logiquement la première pour sa communauté dans un sport collectif – à l’instar d’autres Afro-américains. Harrison Dillard (100 m), John Davis (haltérophilie), Alice Coachman (saut en hauteur) et Willie Steele (saut en longueur) brillent eux-aussi à Londres et font de 1948 une date charnière pour l’intégration dans le sport, une grosse année après les débuts de Jackie Robinson en MLB et seulement quelques jours après la signature de l’Executive Order 9981 qui abolit la ségrégation dans les forces armées du pays.
Pour autant, ces belles médailles et quelques avancées ne changent pas le fond du problème aux États-Unis. Les ligues professionnelles de basketball ne montrent pas – ou peu – de signes d’intégration. La BAA est fermée à double tour pour les Afro-américains, la NBL tente quelques ouvertures, mais rien sur le long terme. Un an plus tard, les ligues fusionnent pour donner naissance à la NBA, ségréguée jusqu’en 1950.
Don Barksdale continue donc comme l’année précédente au sein des Oakland Bittners, en AAU, avec l’espoir de venir à bout de nombre de ses coéquipiers lors des Jeux. En effet, ce sont les Phillips 66 Oilers, dont 5 membres en plus du coach Bud Browning étaient du voyage à Londres, qui règnent sur le game. Des rivaux déjà affrontés et qui le respectent sur le parquet, ce qui explique le soutien avec la sélection américaine. Même si Barksdale pour sa part se souvient surtout d’avoir été à l’écart. C’est aussi au cours d’un match face aux Oilers que Big Don inscrit une autre ligne à son palmarès des premières. Le 6 janvier 1948, avant les JO, il devient le premier Afro-américain à prendre part à jouer contre des Blancs dans un sport collectif dans l’Oklahoma. Une expérience qui lui a sûrement servi au moment d’encaisser la ségrégation à Lexington, l’État des Sooners n’ayant pas grand chose à envier au Kentucky sur ce sujet-là.
Lorsque la NBA s’ouvre avec Chuck Cooper, Earl Lloyd et Nat Clifton, elle toque également à la porte de Don Barksdale, mais à des conditions salariales ridicules pour celui qui tient de nombreux business dans la baie d’Oakland, entre la distribution de bière et l’animation d’émissions de radio. Un an plus tard, il rejoint finalement ces pionniers en signant une proposition bien plus lucrative des Bullets, ce qui fait de lui le premier Barksdale connu du côté de Baltimore avant Avon et D’Angelo (dont le blaze est d’ailleurs un hommage à Donald Angelo “Don” Barksdale). Dans le deal, il doit enchaîner un show radio immédiatement après la rencontre.
Il passe deux saisons faites de hauts et de bas aux Bullets, couronnées tout de même par une sélection All-Star en 1953. Et devinez quoi ? Don Barksdale est là encore le premier Afro-américain à avoir cet honneur. Une maigre consolation pour celui qui doit encore se loger et se nourrir à l’écart de ses coéquipiers au gré des déplacements. Deux saisons supplémentaires, cette fois-ci du côté de Boston, concluront une carrière débutée trop tard.
Malheureusement, j’avais 29 ou 30 ans quand je suis devenu pro [NDLR : en réalité 28 ans] parce que la NBA était fermée aux Noirs pendant si longtemps. J’ai perdu trois ou quatre bonnes saisons où j’aurais pu jouer. Je ne pense pas que je n’ai jamais atteint mon potentiel chez les pro. – Don Barksdale.
Malgré ce regret, Don Barksdale a rejoint le Hall of Fame à titre posthume en 2012. Mais son héritage ne s’arrête pas là. “More than an athlete” comme on dit aujourd’hui, il a mené de front sa carrière de basketteur avec la gestion de business fructueux. Avant de sauver le sport dans les écoles publiques d’Oakland en menant des levées de fonds alors que la loi coupait les subventions. Parmi les gars qui ont bénéficié de cette ultime œuvre dans la vie de Barksdale ? Un certain Gary Payton.
Source : They Cleared The lane de Ron Thomas, Bounce : The Don Barksdale Story de Doug Harris