Don Barksdale – Part 1 : un précurseur multiple devenu le premier Afro-américain nommé All-American

Le 03 avr. 2022 à 11:22 par David Carroz

Don Barksdale à UCLA
Source image : Youtube

Lors de l’intronisation de Don Barksdale au Hall of Fame à titre posthume en 2012, son fils Derek a tenu ces propos : “Nous réalisons maintenant mieux que jamais à quel point notre père était important, non seulement pour nous, mais pour de nombreux individus et la société dans son ensemble”. Avant de conclure “Nous sommes fiers de toi pour toujours. Non seulement pour être un Hall of Famer mais pour être une personne majeure qui a changé la société.”

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Cette admiration d’un fils à son père peut sembler normale. Elle est d’autant plus légitime lorsqu’on se plonge dans l’histoire du basket – mais pas seulement ! – aux pages racontant la vie de Don Barksdale. Un parcours tellement riche qu’il mériterait certainement un livre. Car si bien entendu sa place dans le Panthéon de la Ligue ne souffre d’aucune discussion, c’est toute sa vie en tant qu’homme qui a été marquée par des victoires pour faire tomber les barrières raciales à une époque où les Afro-américains devaient lutter – encore plus qu’aujourd’hui – pour s’intégrer et être reconnus à leur juste valeur.

Les inspirations de Don Barksdale

Lorsque Donald Argee Barksdale voit le jour le 31 mars 1923, peu de ballers afro-américains peuvent se vanter de faire du blé grâce à leur sport, les New York Rens et les Harlem Globetrotters étant les seules exceptions qui débutent alors l’aventure. Comment imaginer que ce gamin qui grandit dans la ségrégation à Berkeley, sur la baie de San Francisco, va bousculer les codes pour s’inscrire comme un pionnier dans de nombreux domaines, sur et en dehors des parquets ? À moins de faire un tour dans un DeLorean pour connaître la timeline de sa vie, impossible. Pourtant rapidement les premières graines sont semées.

Chacun à sa façon, ses parents qui ont quitté le Mississippi et son racisme encore plus présent que ce qu’ils vivent en Californie lui fournissent les billes de sa réussite. Sa mère le pousse à sortir jouer au basket qu’il aime tant. Son père, lui, est moins fan de la gonfle car il ne voit pas en quoi cela va servir dans la vie de Don. Mais en l’emmenant régulièrement à des meetings de A. Philip Randolph, premier afro-américain à avoir formé un syndicat noir (pour les bagagistes au sein de la Pullman Company où bosse également Barksdale Senior), il façonne son caractère.

J’écoutais ces gars. J’écoutais comme c’était dur. Je me suis mis en tête que si je voulais quelque chose, j’essaierais de toutes mes forces, peu importent les obstacles. – Don Barksdale.

Des leçons qu’il va garder et exploiter précieusement tout au long de son parcours, sur les terrains de basket, mais aussi en dehors comme entrepreneur. Randolph devient par conséquent l’un des premiers idoles de Don Barksdale. Côté sport, la révélation s’appelle Jackie Robinson. Alors que Barksdale n’est toujours qu’un adolescent et que Robinson n’a pas encore ouvert la voie de la mixité en Major League Baseball, le futur joueur des Dodgers cartonne dans de nombreux sports au lycée puis à UCLA. Don assiste à un match de foot US où Jackie brille. Ses qualités éclatent aux yeux du jeune homme qui voit en lui un modèle à suivre, comme de nombreux Afro-américains de Californie à l’époque. Il ne le sait pas encore, mais il va suivre les traces de cette légende.

Don Barksdale recalé au lycée

Avant cela, passage par la case lycéenne, à la Berkeley High School, avec son meilleur pote Emerson Chapman. Les deux jeunes hommes qui squattent déjà les playgrounds du coin espèrent jouer ensemble dans l’équipe de l’école. Mais à l’image d’un Michael Jordan qui n’a pas été pris la première année dans son équipe de high school, c’est pendant trois ans que Don Barksdale prend une carotte, pour d’autres raisons. C’est son pote – meilleur que lui à l’époque – qui est sélectionné. Et comme le dit le coach, il n’y a de la place que pour un seul noir. Bel état d’esprit, symptomatique des États-Unis à la fin des années trente. Mais aussi un problème dans le cas où Don souhaite poursuivre son aventure dans le basket, aucune fac n’allant recruter un jeune homme qui n’a pas fait ses preuves au lycée.

Au lieu de ruminer ou de se rebeller devant l’une de ses premières expériences franches avec le racisme, Barksdale révise ses gammes en dehors du cadre scolaire. Il squatte – toujours avec Chapman – le playground de San Pablo Park. La mecque du sport outdoor du coin. Au début, les gars tirent à pile ou face qui va se coltiner le gringalet dans leur équipe. Puis petit à petit, au bout de deux ans à passer le moindre temps libre à tâter la gonfle, c’est lui qui colle des roustes aux plus grands, scorant à foison sur leur tête. Il a appris la dureté.

Recruté tout de même par une fac

Alors que l’insouciance lycéenne touche à sa fin, il est tout de même repéré par le coach de Marin Junior College. Il le recrute avec Emerson Chapman. Ensemble, ils remportent l’équivalent du titre d’État. Don Barksdale, bien que frêle, joue pivot  grâce à sa taille – 1m98 – sa détente et sa vitesse qui lui permet de prendre le dessus sur des gars plus lourds. Meilleur scoreur et rebondeur de l’équipe, il excelle à côté dans d’autres sports, en particulier ceux de saut en athlétisme.

Le duo Barksdale – Chapman fait des merveilles et se voit affubler du surnom Gold Dust Twins par un journaliste. Difficile de faire plus raciste que cette référence à une marque de lessive en poudre dont le logo est deux enfants noirs avec de gros yeux et de grosses lèvres, caricature typique de la vision que les blancs ont des Afro-américains.

Si Emerson n’apprécie guère et veut se plaindre auprès du journaliste, Don pense qu’il n’y a pas d’énergie à perdre là-dedans. Et que même si elle est mauvaise, cela reste de la pub en leur faveur. Les chemins des deux jeunes hommes vont ensuite se séparer. Pas à cause de ce désaccord, mais la faute à la Seconde Guerre mondiale. Chapman est le premier enrôlé, tandis que Don se voit proposer une bourse à UCLA. Wilbur Johns, coach de l’époque, remarque ses performances et lui permet de rejoindre le campus après deux ans à Marin.

Don Barksdale dans les pas de Jackie Robinson

Un rêve qui se réalise pour Don Barksdale qui marche dans les pas de son idole Jackie Robinson et de Kenny Washington – premier Afro-américain de l’histoire moderne à fouler les terrains de la NFL. Il débarque sur le campus en janvier 1943 alors que la moitié de la saison est écoulée. Pas le temps de niaiser, les Bruins veulent le voir tout de suite à l’œuvre. Chose faite et confiance récompensée lorsqu’il score 18 pions pour permettre aux siens de s’imposer face à University of South California. Une première en onze ans et 42 rencontres.

Mais rapidement, l’armée le rattrape après cinq petits matchs. Il est envoyé au Camp Lee en Virginie. Là-bas, deux choix majeurs impactent sa vie. Le premier, c’est son refus de jouer un match avec les Globetrotters. Saperstein le suit et souhaite le recruter. Il lui propose de rejoindre le Black Five à Chicago. S’il fait bien le déplacement, il décline finalement l’offre, ce qui lui permet de conserver son statut amateur. Détail qui aura son importance quelques années plus tard.

Ensuite, fatigué du traitement infligé aux Afro-américians de sa caserne, il entre en contact avec un avocat pour être transféré en Californie. Les corvées de cuisine et de nettoyage ne le font pas rêver, surtout qu’il a reçu une offre du Camp Ross en Californie. En plus de le rapprocher de chez lui, le deal lui permettrait d’être entraîneur-joueur d’une équipe militaire. Lors d’une permission, il fait un saut à Washington pour discuter avec cet homme de loi. Un certain Thurgood Marshall.

Le nom ne résonne pas encore aux États-Unis. Mais un blaze qui en 1954 devient associé pour toujours aux droits civiques puisque Marshall va mener la charge dans l’arrêt Brown vs Board of Education qui déclare la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques. Grâce à son aide, Don Barksdale retourne à l’Ouest sans passage par le front. Il récupère en prime la possibilité de tâter la gonfle.

Premier Afro-américain dans une All-American Team

Une fois la guerre et son service finis, il retrouve les parquets universitaires. La saison 1946-47 – en plus d’être celle de son retour – marque son explosion aux côtés de Dave Minor chez les Bruins. Nommé dans la All Pacific Coast Conference Team, il réalise aussi l’exploit d’être sélectionné dans la All-American Team. Un milestone qui fait de lui le premier Afro-américain à figurer dans cette équipe. C’est au cours de cette même année 47 que son idole Jackie Robinson fait tomber la barrière raciale au baseball en disputant le 15 avril son premier match officiel chez les Dodgers. Mais cette avancée et le talent de Don Barksdale ne sont pas suffisants pour ouvrir les portes du basketball professionnel aux Afro-américains, toujours snobés par la Basketball Association of America, ancêtre de la NBA.

Conscient que faire du basketball son gagne-pain n’a rien d’un avenir tout tracé, Barksdale montre déjà des ressources peu communes chez les sportifs. En avance sur son temps, il ouvre un magasin de disques, l’un des rares tenus par un Afro-américain. Tout en faisant son trou dans le monde de la radio. Des premiers pas dans le monde des affaires qu’il confirme à mesure que les années avance.

J’ai étudié le business à UCLA et j’ai appris que l’immobilier était un bon investissement. Le conseil était : achète des biens et ne les vend pas. – Don Barksdale.

L’AAU et le business

Un choix judicieux car aucune offre d’une franchise professionnelle n’arrive sur sa table, alors que des joueurs blancs bien moins cotés que lui signent des contrats en BAA. C’est donc en amateur qu’il poursuit son parcours, malgré une certaine frustration liée à cette ségrégation chez les pros. Il intériorise cette colère, comme de nombreux Afro-américains à l’époque, face à ce système raciste.

Ayant tout de même son indépendance financière grâce à son business, c’est en Amateur Athletic Union qu’il fait étalage de son talent balle en main. Direction les Oakland Bittners – qui deviennent plus tard les Oakland ​​Blue ‘n Gold quand l’équipe est rachetée – avec encore des premières qui tombent devant ses qualités. Et en parallèle, l’expansion de son “empire” en dehors du parquet. En plus de son magasin de disques, d’une émission radio, il opère désormais en tant que distributeur de bières. Devinez quoi ? Il est le premier Afro-américain à faire cela à Berkeley et Oakland.

Sur les terrains, les Bittners luttent avec la grosse équipe de l’époque, les Phillips 66ers pour s’asseoir sur le trône du basketball amateur. Une rivalité qui s’exprime dans l’Oklahoma – État des 66ers – lors d’une série de rencontres qui marquent un nouveau milestone pour Don Barksdale. En janvier 1948, il devient le premier Afro-américain à prendre part à une compétition sportive avec mixité raciale dans l’Oklahoma, lors d’un match à Bartlesville. Remporté par les siens, ce qui vaut aux Bittners en général et à Don Barksdale – qui vient de museler leur star Bob Kurland – en particulier un traitement spécial de la part de la foule, du corps arbitral et des joueurs adverses lors des rencontres suivantes entre les deux équipes.

Comme toujours, Barksdale reste silencieux, conscient que la moindre réponse de sa part aux provocations peut dégénérer. Malgré cela, il approche de son prime et connaît ses plus belles années en termes de jeu au sein de l’AAU. Avec en bonus un titre remporté en 1949 face à ces mêmes Phillips 66ers. Quatre saisons brillantes qui lui ouvrent d’autres portes. Et qui lui permettent de faire bientôt tomber d’autres barrières.

Source : They Cleared The lane de Ron Thomas, Bounce : The Don Barksdale Story de Doug Harris