Don Barksdale – Part 2 : une sélection avec Team USA et une médaille d’or olympique, nouvelles étapes pour le pionnier

Le 03 avr. 2022 à 11:26 par David Carroz

Portrait de Don Barksdale aux Celtics
Source image : Youtube

Pionnier, précurseur. Deux qualificatifs qui collent parfaitement à Don Barksdale entre ses débuts universitaires et sa carrière en AAU au sein des Oakland Bittners, mais aussi ses business en dehors des parquets. Mais alors que les portes de la NBA lui sont encore fermées – comme à tous les joueurs afro-américains, c’est au sein d’une autre compétition prestigieuse qu’il va poursuivre son entreprise de démolition des barrières raciales en 1948.

Don Barksdale – Part 1 : un précurseur multiple devenu le premier Afro-américain nommé All-American

Don Barksdale – Part 3 : le premier Afro-américain au All-Star Game NBA laisse un héritage immense

Forcément, ses qualités ne passent pas inaperçues, surtout au sein d’une équipe qui tourne plutôt bien en tenant tête aux cadors des Phillips 66ers (six titres AAU consécutifs entre 1943 et 1948). Alors que les Jeux Olympiques se profilent, les Bittners sont conviés pour participer au tournoi de sélection. À l’époque, Team USA se compose de joueurs issus du monde amateur, entre membres de l’AAU et universitaires. Surtout, en ayant refusé quelques années plus tôt l’offre des Globetrotters, Don Barksdale n’a jamais perdu son statut amateur qui lui permet de prétendre à une place.

Don Barksdale, premier Afro-américain avec Team USA

Le rendez-vous est donc pris pour ces essais qui prennent la forme d’un tournoi au Madison Square Garden. Une première poule voit s’affronter trois équipes AAU plus une issue d’une YMCA. La seconde les meilleures facs du pays. Les 66ers coach Bud Browning, forts de leur domination, sortent vainqueurs de la compétition en battant en finale les Kentucky Wildcats drivés par le légendaire Adolph Rupp. Par conséquent, cinq joueurs de chacune de ces deux équipes valident leur billet pour Londres. Tout comme les deux coachs, Rupp se voyant assigner le rôle d’assistant de Browning, honneur au vainqueur.

Restent tout de même quelques wildcards pour compléter le roster. Fred Maggiora, membre du comité olympique et politicien d’Oakland entre alors dans la danse : pour lui, hors de question de se priver de Don Barksdale. Il pousse tant bien que mal face aux autres membres du comité peu enclins à intégrer l’équipe. Malgré les réticences, il finit par convaincre Browning :

Ce fils de p*** est le meilleur basketteur du pays derrière Bob Kurland, donc je ne sais pas comment on peut le laisser de côté.

La première étape est passée, il reste à réussir l’intégration au sein du roster. Pas une sinécure, surtout quand Adolph Rupp, peu ouvert sur les questions raciales, est dans les parages. Coup de bol, la sélection est séparée en deux groupes : une partie avec Rupp, l’autre avec Browning. Dont Barksdale. Sauf que les gars de Browning s’entraînent à Bartlesville, dans l’Oklahoma. Une charmante bourgade peu accueillante envers les Afro-américains.

Bienvenue, ou pas

Mais Don Barksdale est un habitué de ces ambiances pesantes. Entre son expérience à Camp Lee dans l’armée et un premier contact avec Bartlesville quelques mois plus tôt, il sait à quoi s’attendre. Logement et repas à part, loin de ses coéquipiers. Qui eux-mêmes ne montrent pas un énorme enthousiasme à jouer à ses côtés. Comme toujours, Don Barksdale répond sur le terrain, sans ouvrir sa bouche. Si ce n’est pour s’excuser après avoir laissé traîner le coude contre un joueur trop virulent. Il s’impose. Se fait accepter.

Si bien qu’au moment de rejoindre l’autre groupe à Lexington dans le Kentucky, ils montent au créneau pour lui. Alors que les Afro-américains ne sont pas les bienvenus, Adolph Rupp est clair : pas de Don Barksdale sur le terrain pour le match d’exhibition. La réponse est claire : les tickets peuvent être rendus au public, les coéquipiers de Big Don ne se pointeront pas sans lui. Finalement un compromis est trouvé : Barksdale peut jouer, mais as usual, le reste du temps il sera loin du groupe.

Malgré ce soutien, le racisme frappe Don Barksdale de plein fouet. Alors qu’il squatte chez une famille afro-américaine, il reçoit un coup de fil. Le message est clair : s’il joue le lendemain, il se fera tirer dessus. Dans le doute, Barksdale prévient uniquement sa famille d’accueil, mais décide de ne pas tenir compte de la menace, ne sachant pas à quel point elle est sérieuse.

L’incident de la bouteille

Nerveux, il se rend au match pour être le premier joueur de couleur à jouer contre les Wildcats à Lexington. Il trouve du réconfort dans la petite portion de tribune réservée aux Afro-américains venus pour le voir. Et assister à un moment chargé en tension. Si Don n’a sûrement plus en tête les menaces de la veille, pris dans la rencontre, un incident va lui rappeler qu’il n’est pas considéré comme ses coéquipiers. Lors d’un temps mort, une simple bouteille d’eau va devenir le centre d’attention de toute la foule.

Ce bidon d’eau est donné aux joueurs, avec un saut pour cracher. L’eau passe dans les mains du premier gars. Puis du second. Du troisième. Arrive dans celles de Don Barksdale. À l’époque, il est inconcevable qu’un Afro-américain puisse boire dans le même récipient qu’un Blanc. Les fontaines sont réservées par couleur de peau. Barksdale le sait, ses coéquipiers le savent. Le public aussi. Que faire ? Passer son tour et valider ce fonctionnement ? Cela lui traverse l’esprit et il se recule. Puis fuck off, cela n’a aucun sens. Il saisit la bouteille dans un silence de cathédrale. Bois. La passe à son coéquipier Shorty Carpenter, un redneck de l’Arkansas. Qui boit à son tour. La chape de plomb retombe, le match peut reprendre.

Que se serait-il passé si Carpenter avait refusé de partager l’eau avec Don Barksdale ? Nul ne le sait. À la sortie du match, un Afro-américain présent dans les tribunes demande à Big Don comment il a pu oser faire cela. Au sein de l’équipe, pas un mot sur le sujet. Mais en voyant ses coéquipiers lui filer un max de ballons pour permettre au groupe issu des 66ers de battre celui d’Adolph Rupp sur ses terres, l’intégration est validée. C’est lors du séjour à Londres que R.C. Pitts, un autre membre de l’équipe, revient avec Barksdale sur l’incident

Don, ce que tu as fait était dangereux, mais je suis fier de toi.

Pour sa part, c’est de Carpenter que l’ancien pensionnaire de UCLA est fier. Il aura aussi l’occasion de lui exprimer sa gratitude au cours de l’aventure olympique en le remerciant de ne pas avoir refusé la bouteille.

Médaillé d’or, première aussi

À Londres donc, les Américains remettent leur titre en jeu dans cette première Olympiades post Deuxième Guerre mondiale. C’est seulement la seconde fois que le basket est présent en compétition officielle, après les Jeux de 1936 à Berlin. La balle orange commence doucement à être prise au sérieux et vingt-trois équipes se présentent sur la ligne de départ. Pour la première fois, le tournoi s’étend sur toute la quinzaine et se joue en intérieur. Avec un parquet s’il vous plait, histoire d’être raccord avec les recommandations de la FIBA. Il faut dire que le mauvais temps qui avait gâché l’édition de 1936 pousse forcément à une meilleure organisation.

En arrivant en Angleterre, Don Barksdale valide un nouveau palier. Il devient le premier Afro-américains à faire partie de la sélection olympique américaine pour le basket. Douze ans après la dernière Olympiade frappée du sceau du nazisme, le symbole est fort. La notion de race supérieure avait déjà été mise à mal sous les yeux même d’Adolphe Hitler en 1936 derrière la domination de Jesse Owens. Maintenant que le führer et son troisième reich ne sont plus, il est temps de montrer au monde que la lutte contre toute idéologie menant à l’exclusion d’une partie de la population pour des raisons aussi futiles qu’une couleur de peau, une religion ou toute autre différence avance. Vaste programme encore bien utopique aux États-Unis, comme l’a rappelé la préparation de Don Barksdale.

En attendant, aux côtés d’un arrière blanc nommé Jackie Robinson – sacré clin d’oeil – issu de Baylor, Donald va chercher la médaille d’or en sweepant le tournoi. Huit matchs, huit victoires, dont la dernière en finale face à la France, 65-21. Forcément, en tant que premier Afro-américain membre d’une équipe participant aux Jeux, il devient également le premier Afro-américain médaillé d’or d’un sport collectif. Mais sa plus grande victoire est ailleurs.

Quand j’ai rejoint l’équipe au début, je dirais qu’Adolph Rupp était un raciste. Mais quand nous avons fini les Jeux Olympiques, je dirais qu’il avait surmonté une grosse partie de son racisme, et qu’il avait mis dans sa tête que tout n’était pas comme il le pensait avant. – Don Barksdale.

Le coach reconnaîtra même auprès de son joueur que la situation n’est pas la bonne

Fils, j’aimerais que les choses ne soient pas comme elles sont. Mais il n’y a rien que toi ou moi puissions faire. – Adolph Rupp.

On aurait bien glissé à Rupp qu’aligner dans son équipe des joueurs afro-américains serait un bon début. Mais il faudra une vingtaine d’années avant qu’il l’accepte. En 1969. Après s’être fait botter le cul par les Texas Miners et leur cinq majeur 100% afro-américain. De son côté, Don Barksdale prend comme toujours la chose avec philosophie, acquiesçant les propos du coach. Conscient que ce genre de situations va encore se reproduire.

Cette médaille ne signifie pas que la NBA va lui dérouler le tapis rouge et que Don Barksdale va pouvoir poursuivre – pour l’instant – sur sa lancée en tant que précurseur en ajoutant un nouveau titre honorifique de « premier Afro-américain » à réussir une percée. Il n’y a toujours pas foule pour accueillir un noir dans la Ligue, une ligne qui n’a toujours pas été franchie un an après l’arrivée de Jackie Robinson en MLB. Pour illustrer cette ségrégation toujours bien présente, le propriétaire des Tri-Cities Blackhawks, Ben Kerner, se fend d’un petit courrier personnel à destination du jeune médaillé pour le féliciter mais aussi s’excuser de cette règle « pas de noir » non écrite néanmoins bien appliquée. Le monde pro va attendre encore un peu.

Source : They Cleared The lane de Ron Thomas, Bounce : The Don Barksdale Story de Doug Harris