New York Renaissance vs Original Celtics – part 2 : rivalité et respect sur les routes d’une Amérique ségréguée

Le 18 déc. 2022 à 09:43 par David Carroz

Affiche des New York Renaissance et photo de Joe Lapchik des original Celtics
Source image : Youtube, montage TrashTalk

À partir du moment où les New York Renaissance ont pris l’ascendant sur les autres Black Fives au milieu des années vingt, les dates majeures qui rythment leurs saisons sont celles des confrontations face aux Original Celtics. Des matchs qui actent d’une passation de pouvoir entre les hommes au trèfle et ceux de Harlem. Une histoire teintée d’une relation à l’encontre des préjugés raciaux de l’époque.

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Les Original Celtics restent les boss

Sur le pont en premier – dès les années 1910s, les Celtics sont logiquement sur le devant de la scène avant les Rens. Ils participent d’ailleurs grandement à la popularisation du basket lors de leurs tournées à travers le pays dans les années vingt. Comme en plus ils valident leurs voyages par des titres au sein des ligues qu’ils fréquentent  – Eastern Basketball League en 1922, American Basketball League en 1927 et 1928 – leur statut de meilleure équipe de l’époque peut difficilement être discuté.

Cette domination est cependant mise à mal avec l’émergence des New York Renaissance. Dans les thirties, le rapport de force bascule en faveur du Black Five. Ce que reconnaissait Joe Lapchick, l’intérieur des C’s, comme le rapporte son fils :

J’ai grandi en entendant que les Celtics étaient la plus grande équipe de tous les temps. Les amis de mon père disaient ça et tous nos voisins disaient cela. Mais il les corrigeait et disait : “les Rens étaient à peu de choses près aussi bons que nous l’étions au début et ils étaient meilleurs que nous à la fin.”

Les New York Renaissance doivent confirmer

La première victoire des Rens sur les Celtics en 1925 ne fait pas tomber les hommes au trèfle de leur trône de meilleure équipe du monde. Au contraire. Si les gars de Harlem ont récupéré du terrain sur les Celtes avec des rencontres plus disputées, le rapport de force reste en faveur des verts. La preuve ? Au moment de s’affronter une fois la saison ABL terminée en 1927 – compétition à laquelle ne participent pas les Rens – ce sont bien les Celtics qui s’imposent deux manches à zéro. Ils demeurent les boss, malgré leur défaite en début de saison.

Les Renaissance savent donc ce qu’il leur reste à faire : patienter et bosser dur pour inverser la tendance. Jusqu’en 1929 inclus, ce n’est toujours pas le cas, la série couronnant officieusement le patron du basketball aux USA finissant toujours dans l’escarcelle des Celtes. Pourtant, un changement pointe le bout de son nez. Devant la domination des C’s, l’ABL décide de dissoudre l’équipe en envoyant les joueurs dans différentes franchises de la ligue.

Les New York Renaissance prennent finalement le pouvoir

L’aventure ne se termine pas pour autant, les Celtics se réunissant une fois la saison terminée. À la fois pour mettre un peu de beurre dans les épinards, mais surtout pour le plaisir de jouer ensemble. Et dans leur calendrier, caser des matchs face aux Rens est une obligation. D’une part pour se frotter aux meilleurs. De l’autre parce que ces rencontres interraciales sont une garantie de grosses affluences. Et donc de rentrées d’argent conséquentes – pour les deux formations.

Alors que les C’s vieillissent, le classique tourne de plus en plus en faveur des New York Renaissance. Les Rens deviennent les patrons. Dans les années 30, alors que les Globetrotters ne sont pas encore le phénomène qu’ils vont devenir, les Celtics demeurent tout de même la seule équipe à pouvoir rivaliser avec le Black Five en termes de popularité. Mais avec le temps, l’âge pèse de plus en plus sur les organismes. Les C’s disparaissent progressivement du haut de l’affiche dans la seconde partie de la décennie

Les Original Celtics s’accrochent

Entre-temps, ils jouent les trouble-fêtes et viennent remettre en cause la domination de leurs rivaux, comme lors de la meilleure saison des hommes de Bob Douglas en 1932-33. Alors qu’ils bouclent l’exercice avec un bilan de 120 victoires pour 8 défaites, le poil à gratter s’habille bien en vert. Les Celtics mettent ainsi terme à la série de 88 succès consécutifs des Rens cette saison-là. Et sur les huit revers des joueurs de Harlem, six sont concédés contre les Trèfles. L’ensemble des confrontations est tout de même remporté 8 à 6 par le Black Five. Les additions de Charles “Tarzan” Cooper et de Bill Yancey ont définitivement fait tourner le vent dans la direction des Rens.

Ces nombreuses rencontres attirent les foules. Deviennent des classiques. Car si les Celtics ont amorcé leur déclin sportif, il n’en est rien pour le moment concernant leur notoriété. Si bien que les deux équipes réfléchissent à partir en tournée ensemble. Finalement le projet n’aboutit pas. peur des réactions et d’éventuels problèmes dans certains états. Mais cela n’empêche pas Celtics et Rens de s’affronter loin de leurs quartiers new-yorkais au gré des opportunités.

Comment agir face à la ségrégation ?

De ces rencontres naissent une véritable estime et une amitié entre les joueurs. Ces matchs, ces tournées en dehors de New York permettent de remplir les caisses. Ils offrent aussi aux Celtics l’occasion de voir ce qu’endurent leurs rivaux en termes de racisme, bien qu’ils ne doutaient certainement pas du traitement réservé aux Rens.

Les Rens devaient souvent dormir dans leur bus car les hôtels ne voulaient pas d’eux. Ils voyageaient en bus car de nombreux autres moyens de transport ne les acceptaient pas. Ils mangeaient dans leur bus quand les restaurants refusaient de les servir – Richard Laphick.

Avant même ces voyages, la ségrégation s’est immiscée dans la relation entre les Celtics et le Black Five. Lorsque l’ABL se crée en 1925, les C’s sont logiquement invités. Ce qu’ils refusent. Certains parlent alors d’un choix idéologique, leurs rivaux des Rens n’étant pas de la partie, la ligue n’étant pas intégrée. La réalité est certainement à nuancer, l’opposition entre les deux équipes n’étant qu’à ses débuts. Il s’agit probablement plutôt d’une question de business pour pouvoir garder une certaine liberté et maximiser ainsi les profits.

Ils rejoignent d’ailleurs l’ABL la saison suivante, sans que la compétition ne modifie sa position concernant l’intégration. Grands seigneurs, les dirigeants tolèrent tout de même que les franchises puissent affronter les New York Renaissance au milieu de leur calendrier. Histoire de remplir les salles et les caisses. Une illustration de l’hypocrisie de la l’époque.

Adversaires sur les parquets, alliés en dehors

Une attitude qui évolue chez les Celtics à mesure qu’ils jouent contre les Rens. Les joueurs apprennent à se connaître. Pop Gates se rappelle par exemple que les Afro-américains savaient très bien que Dutch Dehnert n’était pas contre un petit verre avant les rencontres. Ils lui faisaient payer ce plaisir en lui mettant un coup dans le ventre pour le faire vomir. Et ainsi réduire son impact. Surtout, les C’s comprennent les difficultés qui rythment la vie du Black Five.

Mon père a découvert le racisme en Amérique à travers la rivalité avec les Rens. il y a eu trois fois où ils sont partis ensemble pour aller là où ils devaient aller pour jouer le jour suivant, les Celtics derrière le bus des Rens, regardant le gérant de la station service sortir avec un fusil parce qu’il ne comptait pas filer l’essence de ses pompes de blanc-bec à un groupe de noirs dans un bus. Il y a eu des émeutes durant trois des matchs, tous dans le Midwest et pas dans le Sud. Ils devaient jouer les matchs avec un filet autour pour éviter que les spectateurs prennent d’assaut le terrain. – Richard Lapchick

À leur façon, les Celtics montrent que pour eux, il n’y a pas de différence. C’est ce que retient le boss des New York Renaissance,  Bob Douglas :

Quand on jouait contre la plupart des équipes blanches, nous étions des hommes de couleur. Contre les Celtics, nous étions des hommes. Au fil de ces dernières années, une véritable fraternité est née des compétitions et des trajets.

Il souligne en particulier le rôle de Joe Lapchick qui n’hésite pas à intervenir en faveur des Rens :

Lapchick était un homme bon. Une fois, alors qu’on jouait contre les Celtics, on a dit à mon coach Eric Illidge qu’on le paierait en chèque. Lapchick a dit : “non, payez le en cash.”

Le joueur celte savait très bien que le chèque pouvait être sans provision et qu’il s’agissait d’une méthode pour mettre un carotte aux Afro-américains. Plus tard, alors qu’il est entraineur des Knicks en BAA, il donne même un avis favorable pour que les Rens rejoignent la Ligue. Sans succès.

Des marques de respect à contre courant

Malheureusement, tout le monde ne partage pas la vision de Joe Lapchick. Son attitude dérange dans cette Amérique ségréguée. Comme évoqué par son fils, la renommée des deux équipes et la multiplication de leurs confrontations ne sont pas gages de calme. Certains matchs sont suivis d’émeutes raciales. La police intervient pour permettre aux deux équipes de quitter les lieux. Selon les états, les rencontres sont disputées en double. Pour la foule blanche d’une part. Puis pour la foule noire ensuite.

Dans cette lutte contre la discrimination, les C’s se positionnent comme des alliés, quitte à en assumer les conséquences.

Mon père et Tarzan Cooper sont devenus connus pour, au début des matchs, ne pas se serrer la main comme beaucoup de joueurs le fond avant l’entre-deux, mais se donner l’accolade et parfois s’embrasser. Ils voulaient que les fans dans les gradins sachent que les Celtics et les Rens, à l’image de la philosophie prônée par Bob Douglas, jouaient un match qu’il imaginait comme le futur de l’Amérique. – Richard Lapchick.

Forcément, la foule n’est pas toujours de cet avis. Cette marque d’affection se retourne contre Lapchick et les siens. Critiques, menaces de mort, expulsion de leur hôtel. Comme à la fin des années vingt, du côté de Louisville dans le Kentucky, un endroit peu réputé pour son ouverture sur les questions raciales à l’époque. Alors que les Rens vont débuter leur rencontre, ils remarquent la présence des Celtics dans les tribunes car leur tournée les emmenait aussi dans le coin. Bob Douglas se replonge dans le passé :

Joe Lapchick, qui connaissait notre pivot Tarzan Cooper, est descendu des gradins et a étreint Cooper car il était content de le voir. Il y a eu un silence dans la salle. On était au pays de Jim Crow. Et les races étaient strictement séparées. Les Celtics ont été virés de leur hôtel et une émeute a été évitée de peu.

À travers leurs confrontations et leur rivalité chargée de respect, les New York Renaissance et les Original Celtics ont modestement mais fièrement œuvré pour faire avancer la question raciale dans le sport. Mais aussi dans la société. Comme en plus les deux formations ont régné sur la balle orange entre 1920 et 1940, on comprend aisément qu’elles se retrouvent côte à côte au Hall of Fame. Et quand on sait à quel point Joe Lapchick a poussé – avec Ned Irish – pour l’intronisation des Rens au Panthéon, on ne peut que saluer le rôle des Celtics pour faire évoluer les mentalités.

Source : Hot Potato de Bob Kuska et The Originals de Murry Nelson