Runt Pullins : le premier gringalet starifié des Harlem Globetrotters

Le 09 sept. 2022 à 18:21 par David Carroz

Runt Pullins avec les Harlem GlobeTrotters
Source image : Youtube, montage TrashTalk

Si un seul d’entre nous devait entrer au Hall of Fame, cela devrait être Runt Pullins. C’était un petit gars qui jouait pour les Globetrotters et il n’y avait rien qu’il ne puisse pas faire.” C’est en ces mots élogieux que Nat Sweetwater Clifton évoque Albert Pullins, la première star des Trotters, au moment où Bill Russell refuse d’être le pionnier des Afro-américains au panthéon du basket américain. Voici l’histoire de la première star des Globetrotters.

Cheminement classique d’un baller de Chicago

Comme de nombreux membres des premières équipes des Trotters, la relation entre Runt Pullins et le basketball prend ses racines dans l’Illinois, dans le quartier de South Side – aka Bronzeville – de Chicago. Pourtant, c’est bien plus au sud que le jeune homme voit le jour le 23 novembre 1910, du côté de la Nouvelle Orléans. Albert Pullins débarque à Windy City avec sa mère en 1915. Ils suivent l’itinéraire emprunté par de nombreux Afro-américains durant la Grande Migration.

C’est là qu’il débute le basket à 7 piges et brille rapidement balle en main. Bon, il faut quand même attendre qu’il soit ado pour que son blase commence à être connu dans l’Illinois. Mais il affûte son handle et son shoot sur les terrains de Bronzeville et avec la YMCA de Wabash Avenue. Ce sont ses exploits avec la high school Wendell Phillips qui braquent pour la première fois les projecteurs sur lui. Avec le lycée, il ramène le titre de la ville de Chicago en 1928. Une première pour une équipe afro-américaine. Capitaine et meilleur scoreur de sa formation, il en profite même pour poser un record chicagoan de nombre de points sur une saison de lycée qui va tenir jusque dans les années quarante.

Malgré son mètre soixante-douze et son physique de gringalet – ce qui lui vaut d’ailleurs son surnom de Runt, avorton – il dégage un véritable charisme qui le met sur le devant de la scène. D’autant plus que le basketball afro-américain prend de l’ampleur dans l’Illinois dans le sillage des résultats de Wendell Phillips. Son talent ne passe pas inaperçu et Abe Saperstein qui organise les premières tournées des Harlem Globetrotters compte bien ajouter ce joyau à son équipe. Chose faite dès 1929 après quelques mois passés à l’université Morris Brown en Géorgie. Les Trotters bénéficient en prime de la Ford T du jeune homme qui leur permet de faciliter leurs déplacements.

Première star des Globetrotters

À dix-neuf pige, le plus jeune joueur du roster – pas très expérimenté dans son ensemble non plus – devient la première star des Globetrotters. Il ravit les foules par ses dribbles et sa capacité à scorer. Souvent meilleur marqueur des siens, il est mis en avant par Abe Saperstein comme produit d’appel pour son équipe. Comme le boss communique beaucoup l’exagération, il déclare que Pullins a envoyé 2581 pions lors de la saison 1931-32, fixant un record pour le pays. Source : t’inquiète, puisqu’à l’époque, de tels chiffres ne sont pas tenus. Ben oui, pas de basketball-reference pour faciliter l’accès à l’intégralité des stats. En outre, un tel total signifierait que Runt tourne à 17 points tous les soirs. Ce que les box scores – quand elles sont disponibles – ne semblent pas valider. Sa moyenne se situe plutôt aux alentours des douze unités.

Selon la légende, il aurait mis 77 pions – 35 paniers plus 7 lancers francs – cette année-là au cours d’une rencontre à Atlantic dans l’Iowa. Là encore, difficile de confirmer ou d’infirmer l’information. De la même manière, son cours séjour à l’université est transformé en un diplôme qu’il n’a jamais obtenu. Comme toujours avec Abe Saperstein, aucun mensonge n’est trop gros, surtout quand personne ne va aller vérifier pour le contredire.

Aux côtés de Runt Pullins qui mène le jeu, Inman Jackson prend place dans la raquette pour former le One-Two punch des Trotters. Une sorte d’axe 1-5 à la sauce thirties où le pivot squatte au poste en assurant le show via ses gags et ses tricks shots pendant que l’arrière slalome entre les adversaires avant de dégainer. Peu importe les élucubrations de Saperstein, Runt Pullins et Inman Jackson sont le cœur et l’âme des Globetrotters. Ceux qui font venir la foule. Les autres joueurs tournent, pas eux. Jusqu’au 17 février 1934.

Runt Pullins se casse

Ce jour-là, Abe Saperstein redistribue les cartes au sein de l’organisation. Alors qu’il était jusqu’à présent associé avec les joueurs, il prend le pouvoir. Ceux qui foulent le parquet ne sont plus que ses salariés. Avec des conditions financières bien moins avantageuses. Selon Pullins, qui revient sur le sujet des années plus tard, la rétribution passe à 7,5 dollars par soir. Alors qu’il pouvait se faire jusqu’à 40 dollars à chaque match. Pas acceptable à son goût, si bien qu’il claque la porte.

Un coup dur pour Saperstein qui perd le joueur qu’il starifiait à outrance. “L’élément essentiel du trio dynamite” (avec Inman Jackson et Toots Wright), “le sensationnel minuscule”. Peu importe le qualificatif utilisé par Abe pour le mettre en avant, Runt Pullins n’est plus de la partie. Il faut le remplacer sans perdre la face. Mais avec la gouaille d’Abe, cela passe comme une lettre à la poste. Le pitch : c’est lui qui a viré son joueur. Et le remplaçant sera encore plus fort. Merci, au revoir.

Runt Pullins décide alors de se lancer en solo. Ou du moins de monter sa propre équipe et de partir en tournée, en concurrence directe avec les Globetrotters. Il la baptise avec beaucoup d’originalité : les Harlem Globetrotters… Et pour poursuivre dans la copie de son ancienne équipe, il organise ses trips dans les mêmes coins que sa formation précédente, coupant parfois l’herbe sous le pied de Saperstein. Ce dernier enrage, car si cet exemple de concurrence est le plus connu, de nombreuses autres fives prennent le nom de Globetrotters et tentent de bénéficier de la petite hype née lors des premières années des Trotters.

Al Pullins Harlem Clowns

Runt finit par changer le blase de son Black Five qui devient les Al Pullins Broadway Clowns. Puis Harlem Clowns. Le principe reste le même, sillonner les routes et faire le show, la plupart du temps pour des matchs de charité. Si le tableau paraît sympa de prime abord, il n’est pas toujours reluisant. Runt Pullins et les siens subissent le racisme, à l’instar de ce qu’il avait connu aux Globetrotters : interdiction de manger dans les restaurants, portes des hôtels closes… Peu importe son talent sur les parquets, il reste un Noir dans la vie de tous les jours d’une Amérique ségréguée.

Jusqu’en 1954, il coache cette équipe des Harlem Clowns tout en étant sur le parquet. Si la renommée n’atteint pas celle des Globetrotters, les Clowns font tout de même leur trou. Ils partent même en tournée jusqu’en Europe et en Asie en plus des classiques sur le continent nord américain. Son rôle et son temps de jeu diminuent forcément avec l’âge qui avance. Mais ses apparitions restent scrutées tant son jeu de passe continue de régaler les fans. Lorsque sa retraite sportive arrive, Runt Pullins n’abandonne pas pour autant la formation puisqu’il en reste le manager jusqu’en 1982.

Le divorce avec Abe Saperstein, bien que largement consommé, n’a pas empêché quelques flirts avec son ancienne équipe. En effet, Runt Pullins revient tout de même faire quelques piges chez les Trotters. En particulier lors de la Seconde Guerre Mondiale alors que l’effectif est réduit. Sept ans après la séparation, Pullins retrouve son acolyte Inman Jackson, sorti de sa retraite lui aussi pour compenser les absences.

Al “Runt” Pullins topped team owner Abe Saperstein’s own 1950 list of all time great #GlobeTrotters. #DeservesHOF pic.twitter.com/QireqePO8F

— Black 5’s Foundation (@BlackFives) May 21, 2015

D’ailleurs, au moment d’évoquer les meilleurs joueurs avec qui il a pu travailler, Abe Saperstein ne semble pas tenir rigueur à Runt Pullins de son départ. Conscient que la rupture est avant tout une question de business mais surtout reconnaissant de l’impact du petit bonhomme dans la naissance et la mise en place des bases de succès des Harlem Globetrotters, il le met ainsi tout en haut de sa liste des meilleurs Trotters de l’histoire en 1950. Devant des Marques Haynes, Goose Tatum et Nat Clifton

En plus de cette reconnaissance par ses pairs et ceux qui l’ont côtoyé, Runt Pullins – décédé le 22 octobre 1985 à South Side – a enfin trouvé le chemin du Hall of Fame en 2022. Une intronisation en bonne compagnie puisqu’il débarque chez les Immortels du basketball en même temps que son coéquipier de l’époque, Inman Jackson et l’un de ses successeurs au poste d’arrière au sein des Globetrotters, Sonny Boswell.

Source : Spinning the Globe: The Rise, Fall, and Return to Greatness of the Harlem Globetrotters de Ben Green