Marques Haynes : de tombeur des Globetrotters à membre de leur légende

Le 06 mars 2022 à 10:21 par David Carroz

Marques Haynes
Source image : Youtube

Il est des hommes qui ont révolutionné la façon de jouer au basketball dont la place dans les livres d’histoire est bien faible comparée à leur impact. Marques Haynes est de ce calibre-là. Des décennies avant que le showtime pose ses valises à Los Angeles, des années avant que Bob Cousy apporte cette touche de magie sur les parquets NBA, le meneur des Harlem Globetrotters régalait déjà les foules grâce à sa vitesse, son handle et sa capacité de création. Mais n’étant jamais passé par la Grande Ligue – ségréguée ou très peu intégrée lors de son prime – son influence sur le basket moderne n’est pas reconnue à sa juste valeur.

6 mars 1946. Les Harlem Globetrotters cartonnent partout où ils passent, enchaînant succès sur succès. Le tout en assurant le spectacle. Alors qu’ils doivent affronter une sélection All-Star dans l’Oklahoma, les adversaires leur font faux bond. Dans l’urgence, Saperstein trouve un accord avec le coach de Langston, Zip Gayles, pour que son équipe leur serve de sparring partners. Les Globetrotters se marrent avant la rencontre en demandant à Gayles s’il faut lever le pied. Ils auraient mieux fait de jouer profil bas…

Ils ne le savent pas encore, mais ce jour-là ils croisent la route d’un phénomène. Un mec amener à les rejoindre et à briller sous leurs couleurs dans un futur proche. En attendant, il y a un match à jouer. Quarante minutes de basketball plus tard, les Globetrotters repartent la queue entre les jambes, défaits 74 à 70 par les universitaires menés par les 26 pions de Marques Haynes. Incapables de freiner le jeune homme qui pose ainsi le second plus gros nombre de points d’un adversaire des Trotters dans l’histoire. Avec une telle perf, Marques a tapé dans l’œil du Black Five. Pourtant, ils ne connaissent pas grand-chose de ce petit bonhomme, aussi bien en tant que personne qu’en tant que joueur.

Oklahoma, ségrégation et balle de tennis

Tout débute dans l’Oklahoma pour Marques Haynes, terre choisie par son paternel pour s’installer. Ce fils d’esclave a quitté le Tennessee où son propre père avait été débarqué après avoir été affranchi dans le Mississippi. Trois états pas franchement reconnus pour leur ouverture sur les questions raciales dans cette première moitié du vingtième siècle. C’est à Sand Springs qu’il voit le jour le 10 mars 1926 – selon certaines sources, lui préférant entretenir le mystère sur son âge – puis qu’il commence à tâter la gonfle.

Dans l’arrière cour familiale, il apprivoise la balle orange. Il souffle à peine ses cinq bougies qu’il se frotte déjà à sa grande sœur, Cecil. Il la suit d’ailleurs lorsqu’elle joue avec son lycée. Là, posé dans un coin de la salle avec un ballon, il dribble. Encore et toujours. Séparé de la population blanche du coin, la communauté afro-américaine étant parquée dans un quartier de quelques pâtés de maisons. Dans ce contexte de ségrégation forte, il établit les bases de cet élément du jeu qu’il va sublimer lors de sa carrière. Son père est déjà loin, il s’est barré alors que Marques a tout juste trois piges.

Plus tard, Haynes s’amuse avec des potes, toujours autour du dribble. Avec une balle de tennis, ils doivent parcourir la plus grande distance possible en la faisant rebondir sur des rails. On comprend mieux la faculté à faire vivre avec aisance la gonfle sur un parquet en ayant pris de telles habitudes. Dans le même temps, il s’inspire de son frère et ses amis. Des jeunes hommes qui n’hésitent pas à faire les malins lors de pick-up derrière la maison. Voilà le terreau fertile pour donner naissance à un basketteur spectaculaire.

Faire tomber les Globetrotters : check

Mais avant que la vie ne lui fasse croiser la route d’Abe Saperstein – le boss des Trotters – Haynes continue ses gammes à la Booker T. Washington High School de sa ville natale, comme sa sœur. Son talent ne fait déjà pas trop de doute et la communauté se cotise pour lui permettre d’obtenir une bourse de 25 dollars afin de rejoindre la fac de Langston après avoir fait ses preuves au lycée. À partir de 1942, il devient la star de son équipe universitaire dont il est le meilleur scoreur chaque saison jusqu’à son départ en 1946. Au passage, Marques Haynes est élu quatre fois All-State et All-Conference, ainsi que MVP de l’équipe. Le pedigree d’un joueur lambda.

Sur cette période, Langston affiche un bilan hallucinant de 112 victoires pour 3 défaites. Ainsi qu’une série de 54 succès consécutifs. Même les Harlem Globetrotters, équipe référence à l’époque en termes de bilan, ne suivent pas le rythme effréné. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont découvert à leurs dépens le 6 mars 1946 en se frottant à la fac de Marques Haynes. Sous le charme, les Trotters lui proposent un contrat sur le champ pour partir avec eux le soir-même. Décliné par l’intéressé qui préfère finir ses études.

Ma mère me tuerait si je quittais l’école. – Marques Haynes

La proposition tient tout de même pour qu’il puisse venir faire un essai au camp d’entraînement, une fois diplômé. Sans s’enflammer, Haynes dit qu’il va y réfléchir. Un état d’esprit très différent de celui des autres Afro-américains vis à vis des Globetrotters, qui auraient souvent sauté sur une telle opportunité. Un symbole de la relation que Marques va entretenir par la suite avec son employeur.

Je pense que j’étais le premier diplômé de fac qui ait joué pour Abe. J’ai toujours su que je pouvais faire quelque chose en dehors du basket. – Marques Haynes.

L’automne arrivant, il décide de donner une chance aux Globetrotters en se pointant au camp. Avec tout de même la certitude d’avoir de quoi se retourner, plusieurs écoles étant prêtes à l’engager comme prof et coach.

Lors de cette sélection automnale, Marques Haynes trouve sa place, même si celle-ci est d’abord dans l’équipe réserve. L’histoire est en marche. Dès ses débuts avec la seconde formation des Trotters, il va frapper un grand coup et commencer d’écrire sa légende. Celle-ci se déroulera bel et bien sur les terrains de basket, tant pis pour l’enseignement. Et tant mieux pour la balle orange.

Source : Spinning the Globe: The Rise, Fall, and Return to Greatness of the Harlem Globetrotters de Ben Green