Rudy Gobert, ce gamin de Saint-Quentin devenu l’un des meilleurs défenseurs NBA all-time : c’est pour quand la statue devant la mairie ?

Le 10 juin 2021 à 18:14 par Nicolas Meichel

Rudy Gobert 31 janvier 2020
Source image : YouTube

Triple Défenseur de l’Année. Oui, Rudy Gobert vient d’entrer dans le cercle très fermé des joueurs ayant récolté au moins trois DPOY dans leur carrière NBA. Quand il a commencé à jouer au basket du côté de Saint-Quentin, Rudy ne pouvait pas s’imaginer monter aussi haut tellement ça semblait irréalisable mais aujourd’hui, il est bel et bien le joueur défensif le plus impactant de la Grande Ligue. Retour sur une ascension aussi impressionnante que son envergure.

“Juste un enfant de Saint-Quentin”. C’est comme ça que Rudy Gobert aime se qualifier, histoire de ne pas oublier d’où il vient mais aussi pour apporter la preuve que tout est possible, même quand on est originaire d’une petite ville de 50 000 habitants située dans l’Aisne. La nuit dernière, lors de son interview sur TNT avec Charles Barkley, Shaquille O’Neal, Kenny Smith et Ernie Johnson, Rudy a prononcé – sans doute inconsciemment – les mêmes mots qu’un certain LeBron James après l’un de ses titres NBA : “Je n’étais pas censé être là”. Dans cette même interview, il a également rendu hommage à sa maman, présente pour la photo mais surtout omniprésente durant l’enfance du désormais triple Défenseur de l’Année. Fils de l’ancien international français Rudy Bourgarel et de Corinne Gobert, Rudy a grandi dans un petit appartement de Saint-Quentin, au cœur d’un complexe “qui ressemblait beaucoup aux logements sociaux américains” si l’on en croit ses propos partagés au Players’ Tribune il y a quelques années. Son père, passé pas très loin du rêve NBA, avait pris un billet d’avion pour la Guadeloupe après s’être séparé de Corinne quand le fiston n’était âgé que de trois ans, et elle s’est donc occupée toute seule de Rudy, petit dernier d’une fratrie composée également d’un grand frère et d’une grande sœur. Si des liens ont été gardés avec le père malgré cette séparation, maman Gobert a dû se démener pour offrir la meilleure enfance possible à Rudy.

“C’est la personne la plus travailleuse que je connaisse. Elle avait plusieurs boulots en même temps. Elle coupait des cheveux, elle a bossé dans des restaurants, elle a tout fait pour subvenir à mes besoins et à ceux de mon frère et ma sœur.

Quand je regarde en arrière, je peux voir à quel point c’était vraiment difficile pour elle, mais elle ne m’a jamais considéré comme un fardeau – même si j’étais un fardeau parfois.”

– Rudy Gobert, via The Players’ Tribune

Rudy Gobert n’a aucun mal à l’avouer, il n’était pas un enfant facile. Beaucoup d’énergie certes, mais une énergie parfois mal canalisée pouvant provoquer des étincelles. Comme souvent, le sport peut représenter une échappatoire et si Rudy en a testé plusieurs au cours de sa jeunesse, c’est vers le basket qu’il a décidé de se tourner à l’âge de 11 ans. Plutôt un bon choix. Déjà, lorsqu’on est plus grand que 90% des jeunes de son âge, le basket s’impose presque naturellement, encore plus quand on est le fils d’un ancien professionnel.

C’est là que commence véritablement la folle ascension de Rudy Gobert. Après plusieurs années au club de Saint-Quentin, Rudy prend la direction de Cholet, à l’âge de 15 ans. Un éloignement pas facile, autant pour Corinne que pour le fiston, mais nécessaire pour progresser et continuer à grimper. Au centre de formation du Cholet Basket lors de ses années dans la catégorie cadets puis membre des espoirs du club entre 2009 et 2011, Rudy monte en puissance et commence à intégrer le circuit de l’Équipe de France. Il est l’un des leaders des jeunes Bleus lors de l’Euro U18 en 2010, une première expérience tricolore qui en appellera d’autres, avec notamment une médaille de bronze décrochée en 2011 à l’Euro U20 et une médaille d’argent remportée une année plus tard dans la même compétition, avec un Rudy Gobert nommé dans la meilleure équipe du tournoi. Dans le même temps, Rudy fait également ses débuts en Pro A sous les couleurs de Cholet, où il montre déjà son immense potentiel défensif. De quoi attirer les yeux des scouts NBA.

“C’était dur pour ma mère d’accepter le fait que je sois si loin à un jeune âge. […] Elle s’inquiétait toujours pour moi, mais elle savait que je faisais ce dont j’avais envie. Et plus que tout, elle m’a toujours encouragé à poursuivre mon rêve.

Et en 2013, ce rêve est devenu réalité.”

“With the 27th pick in the 2013 NBA Draft, the Denver Nuggets select Rudy Gobert from Saint-Quoutin, France.” L’ancien commissionnaire de la NBA David Stern, paix à son âme, n’était visiblement pas très doué en langue française mais peu importe, Rudy vient officiellement d’intégrer la Grande Ligue après un NBA Draft Combine dans lequel il a pu faire étalage de ses capacités physiques (2m16 de taille pour 2m36 d’envergure). Très vite, lors de la même soirée, Gobert est transféré au Jazz, et le reste fait partie de l’histoire comme on dit.

L’adaptation à la NBA est un processus difficile pour tous les rookies, mais peut-être encore plus pour les étrangers qui ont fait leur formation en dehors des États-Unis. Rudy Gobert comprend rapidement qu’il vient de débarquer dans un autre monde. Le premier camp d’entraînement est extrêmement dur pour Rudy, et la première saison du Frenchie en NBA ressemble plus à une classe de découverte qu’autre chose. Il ne joue presque pas, il n’est même pas assis sur le banc mais au sol à côté du banc tellement il est au bout du bout de la rotation, comme beaucoup d’autres rookies. Peu de temps de jeu, beaucoup de défaites, et l’impression “d’être invisible”. Sauf que tout change lors de sa campagne sophomore, et le tournant se nomme Quin Snyder, successeur de Tyrone Corbin à la tête de l’équipe.

“Ma deuxième année en NBA, on a gagné 38 matchs. J’ai joué l’ensemble des 82 matchs et j’ai eu beaucoup plus de minutes. Mes stats sont montées à 8 points et 10 rebonds. […]

Nous allions dans la bonne direction, et je pense que cela s’explique par une raison : nous avons eu Quin. C’était la première année du coach Quin Snyder.”

Impressionné par les perfs de Rudy Gobert avec l’Équipe de France A lors du Mondial 2014 en Espagne, la toute première compétition de Rudy avec les Bleus de Vincent Collet, Quin Snyder décide de responsabiliser son jeune pivot français. Comme nous, il a vu Gobert lâcher cette énorme bâche sur Pau Gasol en quarts de finale de la compétition, dans ce qui représente toujours l’un des moments les plus jouissifs de l’histoire du basket tricolore. Une belle deuxième saison donc, ponctuée par une superbe troisième place au classement du Most Improved Player.

La suite, on la connaît. Rudy Gobert devient une pièce très importante dans la raquette du Jazz, qui dans le même temps devient l’une des équipes les plus sérieuses de la Conférence Ouest. Les responsabilités et les stats de Rudy continuent de grimper au fil des saisons jusqu’à ce qu’il devienne un joueur tournant autour des 15 points – 13 rebonds – 2 contres. Les récompenses arrivent (All-NBA Second Team en 2017, All-Defensive First Team et meilleur contreur de la NBA la même année), les billets verts aussi (il signe un contrat de 102 millions de dollars sur quatre ans en octobre 2016), ainsi que la lumière des Playoffs avec une première participation en 2017. Le départ du All-Star Gordon Hayward ne freine pas la bande à Rudy, puisqu’elle est compensée par l’arrivée d’un rookie pas vraiment comme les autres nommé Donovan Mitchell.

Ces deux-là, Rudy et Donovan, sont aujourd’hui les fers de lance du magnifique collectif de Quin Snyder, à son apex après deux éliminations consécutives au premier tour des Playoffs. Si on veut vraiment la faire courte, l’un est le leader de la défense, l’autre le dynamiteur offensif. On parle de deux joueurs devenus des All-Stars NBA (et ça, ça compte pour Rudy quand on se souvient de ses larmes en 2019 suite à son snub, provoquant quelques moqueries à travers la Ligue…) et qui évoluent aujourd’hui à leur meilleur niveau en carrière. Gobert a obtenu un contrat de plus de 200 millions de dollars lors de la dernière intersaison, Mitchell a lui récolté 163 millions de billets verts. La preuve qu’on a là les deux pièces maîtresses du Jazz, au milieu d’un système qui fonctionne parfaitement. Sous leur impulsion, Utah est aujourd’hui en bonne position pour atteindre les Finales NBA pour la première fois depuis l’ère John Stockton – Karl Malone à la fin des années 1990. Et le titre suprême, c’est tout ce que veut Rudy. Oui, gagner trois titres de Défenseur de l’Année, c’est un superbe accomplissement, mais amener une franchise à un endroit où elle n’est encore jamais allée, ça serait encore plus fort. Surtout quand on se souvient de l’épisode COVID impliquant Rudy en mars 2020, un épisode qui avait provoqué des frictions au sein du groupe, notamment avec Donovan Mitchell, également testé positif seulement un jour après Gobert. Le Frenchie a dû faire face aux critiques dans les jours et semaines suivant la suspension de la saison NBA, mais lui et son équipe ont réussi à tourner la page pour tenter de maximiser leur talent et leur potentiel. C’est ce qu’ils font aujourd’hui, avec peut-être une bague NBA au bout dans un peu plus d’un mois.

Pilier défensif du Jazz ainsi que de l’Équipe de France avec laquelle il a remporté trois médailles de bronze au total (deux fois au Mondial, une fois à l’Euro), Rudy Gobert a déjà dépassé toutes les attentes mais il ne veut pas s’arrêter là. Il sait qu’il y a encore des cases à cocher et il a aujourd’hui conscience de l’ensemble de ses qualités. Juste un enfant de Saint-Quentin, juste un triple Défenseur de l’Année, et bientôt juste un champion NBA ?

Source texte : The Players’ Tribune