Hier, Joel Embiid est devenu MVP de la saison régulière. Entouré par ses coéquipiers lors de l’annonce officielle, le Camerounais n’a pas pu contenir son émotion au moment où Charles Barkley a prononcé son nom. De Yaoundé au Graal individuel de la NBA, retour sur le parcours et le destin d’un jeune Camerounais devenu superstar dans la plus grande ligue de basket-ball de la planète.
Yaoundé, Cameroun, 2009.
Joel Embiid touche pour la première fois de sa vie à un ballon de basket. Empêché jusqu’alors par son père de s’intéresser à la balle orange, le jeune volleyeur de l’époque obtient le droit de pouvoir jouer avec un ballon qui pèse plus lourd que 300 grammes. Merci aux tontons qui ont fait le forcing auprès d’un papa inflexible qui préférait voir son fils enchainer les manchettes plutôt que les dunks. Maillot de Kobe sur la poitrine, attitude (déjà) nonchalante, la tête 30 centimètres au dessus des portes, pas de doute, Jojo allait faire de grandes choses :
Bien en a finalement pris à Thomas, son père, de céder un peu de terrain, car Joel a de l’or dans les mains. Et à une époque où la NBA démarre son expansion en Afrique, Embiid est repéré dans un camp d’entrainement mis en place par l’un des rares cainfris de NBA, un certain Luc Mbah a Moute. Anecdote assez folle, c’est lors de ce camp d’entraînement que le jeune Joel joue son premier VRAI match. Il jouait jusque-là sans réel cadre ni championnat.
2010, le grand départ chez l’Oncle Sam
À tout juste 16 ans et après seulement un an de pratique (imaginez-vous), Joel Embiid fait le grand saut et part aux États-Unis pour tenter de concrétiser son rêve. Les débuts aux U.S sont (très) compliqués, le jeune Joel ne parle pas beaucoup l’anglais et est moqué par ses coéquipiers du lycée de Montverde Academy, où il pose ses valises. Encore trop juste techniquement, le Camerounais est limité dans sa palette et a beaucoup de mal a se faire sa place.
Le coach de l’époque, Kevin Boyle, le prend sous son aile et le défend face à la meute de lycéens acharnés mais cela ne durera pas. Sur les conseils de son mentor Mbah a Moute, Jojo quitte Montverde pour faire l’équivalent de sa terminale dans un autre lycée : la Rock School. Là-bas, il progresse de plus en plus et commence à faire ébruiter ses performances hors des coursives de l’école de Rock. Les universités commencent à mettre le nez à la fenêtre quand elles aperçoivent les highlights du géant de 2m13 sur YouTube.
Arrivé à Kansas pour la saison universitaire 2013-14, le géant partage l’affiche avec… Andrew Wiggins. Son année universitaire est impressionnante (13 points, 10 rebonds et 2 contres de moyenne) et Jojo est même pressenti pour être le n°1 de la cuvée 2014. Finalement, une blessure (qui en annonce d’autres) au dos va écourter sa fin de saison universitaire et faire baisser sa hype auprès des franchises NBA. En mars 2014, Jojo est officiellement candidat à la Draft.
Pour l’occasion, Embiid avait fait péter la cravate en attendant qu’Adam Silver prononce son nom. Il sera finalement drafté en troisième position derrière son poto de Kansas Andrew Wiggins et Jabari Parker.
6 years ago today, the big fella became a 76er. pic.twitter.com/h57kwiCFJg
— Philadelphia 76ers (@sixers) June 26, 2020
Comme dans un rêve… ou pas.
Les deux premières années de Joel Embiid en NBA sont des saisons blanches. On se demande alors si les 76ers n’ont pas fait un choix désastreux, d’autant plus qu’à l’époque la franchise est en lambeaux et porte le bonnet d’âne de la ligue année après année. Le Camerounais panse une fracture au niveau d’un os de son pied droit, mais les choses se corsent quand il annonce qu’il doit se faire opérer du même pied après un an d’absence. Très attendu, les critiques fusent et on se demande vraiment si Jojo va un jour pouvoir jouer. Son corps est-il vraiment fait pour le haut niveau ?
26 octobre 2016, Wells Fargo Center.
La délivrance. Ça y est, Joel joue son premier match NBA contre OKC et comment dire ? Il se passe un truc spécial. Jojo électrise la salle à lui tout seul : mid-range shot d’entrée et énorme scotch sur Russell Westbrook dans la foulée. This guy is special.
20 points, 7 rebonds ce soir-là. Aucun doute, “The Process” est lancé et Philly peut se remettre à rêver de grandeur et de gloire. Il faudra quand même du temps pour que les choses se mettent en place annonce-t-il : “You have to trust the Process“. Les 76ers ont de quoi bâtir autour de leur montagne. 20,2 points, 7,8 rebonds, 2,1 passes décisives et 2,5 contres de moyenne sur sa saison de rookie dans une équipe qui continue néanmoins de perdre. Mais à Philly on s’en fout un peu, on a Jojo. Et le Camerounais pose les premières fondations d’un projet faramineux. De toute façon, on n’en est plus à deux ou trois années près chez les 76ers. Prends les clés du camion Joel et sors Philly de ce bourbier.
18 janvier 2018, Staples Center, L.A, les yeux pleins d’étoiles.
Joel Embiid devient le troisième (avec Jrue Holiday et Iguodala) Sixer depuis… Allen Iverson en 2009-10 à participer à un All-Star Game. Autant dire qu’à Philly, pendant une bonne décennie, on n’a pas vraiment mangé Gucci. Joel est récompensé de sa constance et surtout des quelques beaux cartons qu’il signe. On pense notamment à son record en carrière (de l’époque) avec 46 points, 15 rebonds, 7 passes et 7 contres contre les Lakers un soir de novembre. Une performance à la Hakeem Olajuwon, son idole de jeunesse.
Les premières difficultés et le plafond des Playoffs
Avec un Jojo All-Star, Philly signe son retour en Playoffs avec une quasi inespérée troisième place à l’Est en 2017-18. Philly est back dans les bacs mais tombe sur un os en demi de conf’ : les Celtics. Pas grave, on repart à l’abordage la saison d’après mais les déceptions commencent à s’enchainer post-season. Embiid après être revenu d’une nouvelle blessure au genou se mange le buzzer-beater de Kawhi lors du match 7 de demi-finale de conférence. Le Process peut-il viser plus haut ?
En 2020, c’est la double bulle pour Embiid et les Sixers. D’accord, le (la) COVID était la pire période pour jouer au basket, certes. Mais quand même, le sweep face aux Celtics entre deux tours de bateau pirate et de Tour Infernale ne passe pas côté Philly et Embiid semble englué dans un complexe de postseason. Un peu comme le PSG en 1/8ème de finale de Champion’s League, Philly n’y arrive pas une fois arrivé en demi-finale de conf’. La règle se confirme saison après saison, même si Embiid domine en régulière et est souvent très proche d’un titre de MVP. Son équipe ne passe pas le cap et enchaîne les déceptions. Voilà maintenant cinq saisons que le Camerounais est là… mais rien ne change.
Poussé dans un match 7 contre les Hawks en 2020-21, Philly (qui a terminé 1er de saison régulière) a enfin l’occasion d’entrevoir les finales de conférences Est. Mais une nouvelle fois : le choke. Embiid claque 31 points et 11 rebonds mais ne peut empêcher une nouvelle débâcle en Pennsylavnie. On commence à se dire que ça fait quand même beaucoup… donc on évacue Ben Simmons et on récupère un barbu gaucher pas mauvais du côté des Nets… un certain James Harden.
Joel Embiid reste individuellement dans la discussion pour le titre de MVP, mais en face, ça carbure fort : Giannis Antetokounmpo deux fois puis Nikola Jokic deux fois aussi lui ravissent le trophée.
Avec Harden, aux manettes, Joel Embiid rayonne encore plus. Le pistolero du Texas a clairement changé son jeu pour gagner avec Jojo et le nourrit rencontre après rencontre de caviars en tout genre. Mais Philly perd encore en demi de conf’ face à Miami la saison dernière, sacré plafond de verre.
Mercredi 3 mai 2023, quelque part dans un hôtel de Boston
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— TrashTalk (@TrashTalk_fr) May 2, 2023
Après une saison couronnée de succès, Joel Embiid touche enfin le Graal : il est le MVP 2023.
Au moment de l’annonce, Joel craque et voit sûrement défiler sa carrière quand son nom apparaît à l’écran. Un moment hors du temps, forcément, pour le gamin de Yaoundé que rien ne prédestinait à une telle carrière.
Les déceptions collectives sont grandes, presque autant que le talent et la résilience de Jojo qui continue comme toujours de donner son corps à la science pour briser cette malédiction des Playoffs. Cette saison, Jojo semble avoir intégré tous ces échecs collectifs pour magnifier encore un peu plus son jeu. Avec des moyennes indécentes de 33 points, 10 rebonds et 4 passes, le néo-MVP est lancé à toute berzingue dans sa quête de titre. Il ne lui manque plus que la réussite collective avec sa franchise de toujours pour définitivement le classer parmi les plus grands joueurs de la NBA, mais la tache est dure et il s’agit à présent de prouver qu’il a les épaules pour mener Philly vers la terre promise.
La Pennsylvanie attend une nouvelle bannière depuis 1983. Tiens, pile 50 ans, voilà qui serait un sacré clin d’œil au passé
🗣 Luc Mbah a Moute
« Je pense à ce gamin (Joël Embiid) que j’ai vu lors de mon camp #Cameroon… Et puis trois an après, il était à la Draft. Quelques années plus tard, il est All-Star. Et désormais, il est MVP #NBA ! »
🇨🇲🇨🇲🇨🇲 #KiaMVP #NBAAwards
© : @lequipe pic.twitter.com/jCBHDhOxcE
— The Cameroonian 🇨🇲 (@TheCameroonianZ) May 3, 2023
Quel parcours, quelle carrière, quel joueur… Mais le plus grand reste à accomplir pour Joel Embiid et les 76ers. En tout cas, on n’a jamais autant cru en cette phrase qu’aujourd’hui : “TRUST THE PROCESS.”
Sources : BleacherReport, L’Equipe (citation Mbah a Moute), GD’s Highlights, Home Team Hoops, Philadelphia Sixers Website