Black History Month : Chuck Cooper, le premier à être drafté
Le 13 févr. 2023 à 13:24 par David Carroz
Le 25 avril 1950, un tremblement de terre secoue la planète NBA. En draftant Chuck Cooper, les Boston Celtics font tomber la barrière raciale au sein de la Ligue, trois ans après l’arrivée de Jackie Robinson en Major League Baseball. Et si cet événement n’a pas le même retentissement que pour J-Robb à l’époque, il n’en demeure pas moins un tournant dans l’histoire du sport aux États-Unis.
Je m’en tape qu’il soit rayé, à motifs écossais ou à pois. Boston choisit Chuck Cooper de Duquesne !
Lorsqu’un dirigeant fait remarquer à Walter Brown qu’il demande un joueur noir avec le pick 13 (second tour), le proprio des Celtics n’y va pas par quatre chemins. Il s’en cogne royalement de la couleur de peau de Chuck Cooper. C’est ainsi que le boss des Celtes fait de Cooper le premier Afro-américain à être drafté en NBA.
Pour la seconde fois de l’histoire – après Wataru Misaka en 1947 – la principale ligue professionnelle de basketball s’ouvre à une minorité. Effet boule de neige – même si on n’aboutit pas à une avalanche – deux autres ballers afro-américains sont sélectionnés dans la foulée puisque les Washington Capitols mettent la main sur Earl Lloyd (neuvième tour) puis Harold Hunter (dixième tour). La barrière raciale tombe donc en NBA, en attendant la confirmation de voir ces joueurs sur les parquets.
Ce qui fait flipper d’autres dirigeants de la Ligue, ce n’est pas seulement le fait de voir des Afro-américains sur les terrains mais plutôt que Walter Brown remet en cause le monopole dont dispose Abe Saperstein sur les joueurs de cette communauté. Et qu’en prenant le risque de fâcher le boss des Globetrotters, les franchises NBA pourraient bien dire adieu aux belles rentrées d’argent générées par les double headers auxquels prend part son équipe, soirées les plus rentables de leur saison.
Surtout que le propriétaire des Trotters compte bien signer Chuck Cooper pour renforcer son effectif. Mais le joueur n’est pas chaud. Lors de ses premiers essais avec les Globetrotters, le traitement imposé par Saperstein – salaire moins élevé que pour leurs challengers blancs, logements insalubres – le font tiquer au point d’en parler à des coéquipiers. Si bien que lorsque Abe crie au scandale après la draft de Cooper, il le fait pour la forme, car il n’est pas mécontent de voir un possible perturbateur partir sous d’autres cieux. Il le libère de son engagement et lui souhaite bon vent, non sans avoir pourri Walter Brown.
Pour Chuck Cooper, il faut transformer l’essai, gagner définitivement sa place dans l’effectif au cours du camp d’entraînement, où trois autres Afro-américains sont aussi de la partie. Seul l’ancien de l’Université de Duquesne valide son ticket. L’histoire est en marche, même si pour le titre honorifique de premier à fouler les parquets NBA, il se fait griller par Earl Lloyd, le hasard du calendrier voulant que les Capitols débutent la saison avant les Celtics. La première de Cooper n’est pas anodine pour les C’s, non seulement à cause de sa présence, mais aussi car Red Auerbach et Bob Cousy lancent aussi leur histoire avec la franchise de Boston.
Un Cousy d’ailleurs proche du pionnier avec qui il partage le goût du jazz. Le meneur qui voit au plus près ce que doit endurer Cooper au quotidien. Car si Chuck symbolise parfaitement ces pionniers qui ne font pas de vague, cela ne signifie pas que tout est rose pour lui. Entre la ségrégation dans les hôtels et restaurants, les foules plus ou moins hostiles en fonction des déplacements, sa vie n’est pas meilleure que celle des autres Afro-américains du pays. Exemple lors d’un match de pré-saison que les Celtics doivent disputer à Raleigh, en Caroline du Nord. Ce jour-là, l’établissement où dort l’équipe refuse d’héberger Chuck Cooper. Alors que Red Auerbach veut faire un scandale, Cousy accompagne son coéquipier pour dire au coach qu’ils vont rentrer tous les deux à Boston avec un train de nuit.
Après le match, on s’est rendus à la gare où on a bu pas mal de bières. Vers minuit, on avait besoin de pisser un coup. En arrivant devant les toilettes, il y avait deux panneaux : “Blancs”, “Personnes de couleur”. Ça m’avait donné envie de pleurer. Et jusqu’à aujourd’hui, j’ai encore les larmes aux yeux quand j’y repense. Comme il n’y avait personne, on est allés au bout de la plateforme pour uriner ensemble. C’était une sorte de moment à la Rosa Parks mais on ne pouvait en parler à personne parce qu’on serait sûrement allés en prison si on était revenus à Raleigh ! – Bob Cousy
Défenseur tenace et joueur d’équipe avant tout, Chuck Cooper va passer six saisons en NBA pour un bilan de 409 matchs à 6,7 points et 5,9 rebonds de moyenne. Rien de fou. Mais des regrets car il considère qu’il n’a pas forcément été suffisamment servi en attaque, même si le manque de fiabilité de son tir pèse certainement autant dans la balance que le fait que les premiers Afro-américains ne bénéficient en effet pas souvent de beaucoup de tickets-shoot.
Il y a eu des choses auxquelles j’ai dû m’adapter tout au long de ma carrière que je n’aurais pas connu si j’avais été blanc. On attendait de moi que je joue bien, avec intensité en défense et que je me défonce sous les panneaux pour faire le sale boulot. Pourtant, je n’ai jamais reçu les extras ou considérations salariales des joueurs blancs, se rappelle Cooper.
Pas mal de frustration ressort de son rôle de pionnier : insultes racistes, humiliations, ségrégation pour dormir ou manger et un rôle limité en attaque. Des trois précurseurs, Chuck Cooper est celui qui a le moins bien vécu la situation, même s’il a enduré cette souffrance avec dignité, permettant à la génération suivante de faire sa place, d’avoir plus de certitudes et un rôle plus important. Et son intronisation au Hall of Fame 2019 n’a même pas pu adoucir ce sentiment, car Cooper nous avait déjà quitté depuis trente-cinq ans.
Source : Breaking Barriers, The Chuck Cooper Story de David Finoli et Chuck Cooper III