Back to basics : New York Renaissance, quand la fierté afro-américaine sillonnait les routes et cartonnait ses adversaires

Le 03 nov. 2021 à 11:17 par David Carroz

New York Renaissance
Source image : Youtube

Pour comprendre ce qu’on vit aujourd’hui, il est important de connaître ce qu’il s’est passé hier. C’est ainsi qu’à travers le portrait de différentes équipes ayant brillé bien avant que la NBA ne soit une ligue toute puissante, TrashTalk vous propose de vous replonger dans une partie de l’histoire du basketball aux Etats-Unis, bien loin des tirs du parking et autres Top 10 qui rythment notre quotidien. Aujourd’hui direction Harlem pour vibrer au rythme des New York Renaissance.

“J’ai joué de nombreux matchs face aux New York Rens dans les années 30 et je continue de penser qu’ils étaient les meilleurs représentants du jeu collectif que j’ai vu. À ce jour, je n’ai jamais vu une équipe jouer un meilleur jeu collectif”. C’est en ces termes élogieux que John Wooden évoque les New York Renaissance, en particulier auprès de son poulain et natif de Big Apple, Lew Alcindor. Il faut dire que Coach Wooden, avant de diriger des universitaires, a aussi tâté la balle orange sur le terrain. Et il s’est donc frotté régulièrement aux Rens lorsque ceux-ci étaient de passage dans l’Indiana pour affronter diverses équipes dont des sélections All-Star locales dans lesquelles le futur Hall of Famer avait souvent sa place. Sa fameuse utilisation de la press en défense est d’ailleurs un héritage de ces confrontations face au Black Five qui imposait déjà un tel défi à leurs adversaires. Des souvenirs qui trouvent un terrain fertile dans les oreilles de Kareem Abdul-Jabbar, qui va se replonger des années plus tard dans” l’histoire de la plus grande équipe de basket dont vous n’avez jamais entendu parler” au travers de son documentaire On The Shoulders of Giants.

Renaissance d’Harlem et de New York

Natif du nord de Manhattan, l’ancien pivot des Bucks et des Lakers a toujours creusé dans l’histoire afro-américaine. Un intérêt qui lui a obligatoirement permis de se perdre dans la Renaissance d’Harlem et le casino du même nom qui a prospéré lorsque le mouvement culturel rayonnait sur l’intégralité de la communauté afro-américaine. Mais quel lien peut-il y avoir entre cette bâtisse en briques rouges sur la 138e rue et la 7e avenue, destinée à la vie nocturne, à la musique et à la danse, avec la balle orange ? Et bien à l’époque, il est fréquent que de tels établissements proposent en plus des festivités classiques d’autres divertissements, en particulier du sport. Et comme les nombreux Black Fives de Big Apple sont souvent à la recherche de salles où jouer, le rapprochement se fait et des soirées basketball and dance voient le jour. Pour autant, le mariage entre ceux qui vont devenir les Rens et la salle de danse dont ils vont hériter du nom n’est pas immédiat. William Roach, proprio du Renaissance Casino n’est pas chaud lorsque Robert Douglas le rencontre pour discuter d’un deal permettant à ses joueurs de squatter la salle. Peu convaincu de l’intérêt d’une telle association qui risque d’apporter avant tout des désagréments et des risques de dégradation de l’établissement, avec une foule pas forcément conforme aux standards de son casino, il craint d’abîmer son écrin et de se retrouver avec une clientèle moins classe qu’espérée. Mais Douglas se montre convaincant, lui qui a définitivement besoin d’un endroit où faire jouer son Black Five professionnel à une époque où les équipes afro-américaines de basketball peinent à trouver leur place en dehors de l’amateurisme. Dans la propal, outre de grosses parts sur les entrées les soirs de match qui tombent dans les poches de Roach, Douglas doit filer le nom de Renaissance à son équipe qui devient le panneau publicitaire – et finalement plus tard son meilleur produit d’appel – du Renaissance Casino. Adieu les Spartan Braves, bonjour au Renaissance Big Five ! C’est le 3 novembre 1923, un peu moins de neuf mois après leur création (le 13 février 1923), que les Rens débutent leur histoire avec leur salle face à pour une victoire 28-22 face au Collegiate All-Star. Une entrée en matière idéale pour la première équipe professionnelle 100% afro-américaine.

Cette première saison ne leur permet pas de détrôner l’autre Black Five professionnel du coin, le Commonwealth des frères McMahon, qui s’accapare le titre de Colored Basketball World’s Champions en 1924, ou de se positionner devant le Loendi – un Black Five de Pittsburgh – de Cum Posey, l’un des plus grands rivaux de Smiling Bob.  Ce titre honorifique de champion est décerné par les journalistes de la presse afro-américaine, à une époque où les Black Fives ne participent à aucune compétition structurée puisqu’ils sont exclus des ligues professionnelles ségréguées. A la place, ils organisent des rencontres entre eux et dans certains cas en faisant fi des barrières raciales, bien que l’intégration reste mitigée. Le Commonwealth dirigé par des Blancs trouve justement plus facilement des adversaires hors de la communauté afro-américaine, ce qui pèse aussi dans la balance lorsque le trophée de champion est débattu. Et comme en plus pour la première saison des Rens les joueurs de McMahon s’imposent en deux manches dans ce qui était vendu comme “la finale de Harlem” face aux pensionnaires du Renaissance Casino, on se dit que Bob Douglas et les siens ont peut être été trop ambitieux et qu’il n’y a pas forcément la place pour deux équipes afro-américaines professionnelles dans le borough de New York. Sauf que ce ne sont pas les New York Renaissance qui disparaissent, mais plutôt le Commonwealth Big Five. Les frères McMahon ne rentrent pas dans leurs frais car n’ayant jamais réellement gagné le cœur de la communauté noire, ils stoppent donc leur aventure avec la balle orange. La fin de ces concurrents qui auraient pu faire de l’ombre à Douglas et les siens donne un sacré coup de pouce aux Rens, tout comme l’exclusion par les Black Fives amateurs de joueurs ayant déjà eu des liens avec le professionnalisme. Les pensionnaires du Renaissance Casino mettent ainsi la main sur Fats Jenkins et George Fiall, de sacrées pointures à l’époque. Puis Pappy Ricks donne un autre coup de boost au roster. Et cela se traduit rapidement sur les parquets puisque lors de la saison 1924-25, alors que les Rens enchaînent entre trois et quatre rencontres par semaines – pour faire rentrer plus d’argent pour tout le monde, l’équipe, les joueurs, le casino – Douglas et les siens sont couronnés comme Colored Basketball World’s Champions.

Battre les Original Celtics

Pourtant, une poussière non négligeable gâche un peu ce bel exercice. Car si les journalistes afro-américains sont unanimes quant à la supériorité des Rens dans leur communauté, le fait que les hommes de Douglas demeurent incapables de battre les Original Celtics – à l’instar du Commonwealth Big Five qui a aussi toujours chuté face aux joueurs au trèfle – chagrine de nombreux fans. Il faut dire que les C’s de l’époque représentent le summum du basket et ne comportent aucun joueur de couleur au sein de leur effectif. Si l’équipe de Jim Furey ne remet absolument pas en cause le droit des Afro-américains à jouer au basketball sur le même terrain qu’eux – ils se frottent d’ailleurs régulièrement à la crème des Black Fives – ils ne se sentent pas pour autant l’âme de pionniers cassant complètement la barrière raciale en intégrant leur roster, même si la question s’est déjà posée pour Walter D. Cooper et Fats Jenkins.

Les triomphes sur les autres Black Fives, les succès qui s’accumulent mais surtout des victoires accompagnées d’un jeu spectaculaire et d’un style propre aux Rens font que contrairement au Commonwealth quelques années plus tôt, la communauté afro-américaine se retrouve dans cette équipe et la salle du Renaissance Casino est blindée. Cette classe incarnée par les Rens colle parfaitement à l’époque où la Renaissance d’Harlem bât son plein : briller, imposer son style avec dignité. A travers ce rayonnement culturel et sportif, la popularité des Rens dépasse le cadre de leur communauté pour toucher également les blancs. Mais pour valider ces accomplissements et cette renommée, il reste donc cet ultime obstacle représenté par les Celtics. Le 20 décembre 1925, les joueurs au maillot floqué d’un trèfle tombent finalement au Renaissance Casino, 37 à 30. Alors que les doutes commençaient à habiter certains fans et journalistes afro-américains, Bob Douglas et les siens ont donc fini par trouver les ressources et mettre les ingrédients nécessaires pour s’offrir cette grande première, logiquement saluée dans les rues d’Harlem, peu importe que les Celtics aient évolué sans sans leur pivot Joe Lapchick, l’une des grosses stars des années vingt. Pour la première fois, la meilleure équipe afro-américaine venait à bout de la meilleure équipe blanche, il n’y a donc aucune raison de bouder son plaisir. Pourtant, en dehors de la célébration ayant suivi le match, l’impact médiatique reste faible et peu de journaux relaient l’information, comme si l’événement n’avait rien d’historique. De nombreuses explications sont possibles, et le fait que le basket reste un sport peu populaire à l’époque en est une primordiale. En outre, la renommée des Rens ne dépasse guère le périmètre new-yorkais, leur gloire à plus grande échelle ne vient que quelques années plus tard. Cette forme de lutte territoriale entre les Black Fives mérite d’ailleurs d’être soulignée car si toute la communauté afro-américaine – ou du moins sa composante intéressée par le sport – salue la victoire sur les Celtics, les concurrents de Bob Douglas ne vont pas se coucher devant l’équipe de Harlem pour autant. Typiquement du côté de Pittsburgh ou le Loendi de Cum Posey – peut être le meilleur baller afro-américain du début du siècle – se considère toujours comme la crème des Black Fives et refuse de reconnaître la supériorité des Rens en attente d’une confrontation directe. Enfin, le manque de répercussion médiatique du succès des Rens sur les Celtics découle aussi du fait que cette rencontre n’en était qu’une parmi tant d’autres, sans trophée au bout, et les joueurs de Douglas avaient déjà chuté à de nombreuses reprises face à ceux de Furey lors des mois précédents. A force d’essayer, bien entendu que le Renaissance Big Five allait finir par s’imposer. Il reste donc au Black Five à prouver que sur la durée, ils peuvent lutter à armes égales. Et le bilan de trois victoires partout entre les deux équipes sur la saison 1925-26 confirme que ce premier succès n’est pas qu’un coup de chance, mais bien les prémices d’une grande et saine rivalité entre Rens et Celtics qui s’affrontent désormais plusieurs fois par année. Ce qui permet de faire grandir la réputation de l’équipe afro-américaine comme étant l’une des rares à se frotter régulièrement – avec des succès de plus en plus nombreux – à une équipe blanche considérée comme ce qu’il se fait de mieux dans le pays. La fierté de la communauté envers les Rens suit la même courbe. Cette équipe – leur équipe – composée de joueurs noirs, coachée par un noir et dont le propriétaire est un noir rivalise au sommet de son sport avec ceux qui les rabaissent et les mettent de côté, tandis que les ligues professionnelles de basketball ferment toujours la porte aux Afro-américains, malgré les multiples tentatives de Bob Douglas pour rejoindre l’American Basketball League à partir de 1926 puis la National Basketball League une décennie plus tard. En vain. La seule alternative pour toucher un chèque en tâtant la gonfle pour les Afro-américains, c’est être un membre des Rens et donc être l’un des huit joueurs à entrer dans leur rotation, c’est faire partie du gratin.

Les chemins de la gloire

Cette popularité grandissante offre de nouvelles opportunités aux Rens. Tout d’abord avec les matchs à domicile désormais retransmis sur les ondes de la ville de New York, pour un impact encore plus grand. Mais aussi des déplacements qui les éloignent par période de Big Apple. En effet, de nombreuses villes souhaitent les accueillir pour une rencontre, avec la garantie d’une bonne affluence et de rentrées d’argent conséquentes. A un moment où Robert Douglas n’a pas encore fait du barnstorming son modèle économique et qu’il assure encore ses bénéfices principalement au Casino Renaissance, chaque déplacement est un moyen  de mesurer à quel point la communauté afro-américaine est fière de cette équipe, mais aussi qu’une fois sur le parquet, leur niveau de jeu est respecté. En dehors du terrain et en ce qui concerne leurs personnes, le constat n’est pas le même dans une Amérique soumise aux lois ségrégationnistes Jim Crow, si bien qu’au début de leurs tournées, les Rens ne bougent jamais trop au sud. Pour toujours revenir à New York en fin de saison afin de se frotter sur une série de trois matchs aux Celtics, manière de définir qui est le champion officieux entre la meilleure équipe blanche et la meilleure équipe noire du pays. Mais si les débats se sont équilibrés depuis 1925, le résultat reste sans appel : sweep des Celtics en 1928 et 1929, les Rens ne sont toujours pas sur le trône, même s’ils ont prouvé qu’ils pouvaient battre les C’s. L’équipe doit encore progresser, et cela va se faire sur la route.

Les premiers voyages un peu poussés sont la conséquence de la grande dépression. Le chômage explose à Harlem. Les casinos de Harlem ne font plus recette, donc c’est sur les routes à partir de 1929 que Bob Douglas envoie les siens pour remplir les caisses, après avoir tenté de maintenir les comptes du Renaissance Casino à flot avec quasiment un match par soir. Mais la salle n’est pas assez bien gérée et frôle la banqueroute. Il faut bouger pour toucher un public plus large dans des salles plus grandes. Tout d’abord à Washington – ancienne place forte des Black Fives avant la montée en puissance de Big Apple – puis le Midwest avec Fort Wayne, Chicago et Cleveland. Et plus tard les Etats du Sud. Cette bougeotte devenue nécessaire pousse ainsi Smiling Bob à revoir son effectif, alors que d’autres équipes afro-américaines poussent de leur côté pour avoir leur part du gâteau, en premier lieu le Savoy Big Five de Chicago qui devient les Harlem Globetrotters. Les principales recrues s’appellent Bill Yancey et Charles “Tarzan” Cooper en provenance des Philadelphia Giants, un autre Black Fives contre lequel les Rens ont dû s’employer par le passé. Puis Zack Clayton, Puggy Bell, Wee Willie Smith, Johnny Isaacs et Pop Gates viennent compléter le roster cinq étoiles où Pappy Ricks, George Fiall et Fats Jenkins brillent toujours. Une telle constellation de stars pour l’époque a un coût, surtout que pour s’assurer de la continuité et de la cohérence au sein de son équipe, Douglas leur fait signer des contrats d’exclusivité pouvant monter jusqu’à dix mille dollars la saison pour Jenkins.

Tout ce beau monde voyage au sein du Blue Goose, le bus de l’équipe, les jets privés actuels n’étant pas particulièrement la norme.  Un véhicule aux multiples fonctions car dans de nombreux états, si les Rens sont les bienvenus pour jouer au basket, il n’en est pas de même pour manger au restaurant ou dormir à l’hôtel, peu importe que les membres du Black Five disposent des ressources financières pour y accéder. La porte du racisme leur en bloque l’accès et le Blue Goose remplit alors ses rôles secondaires de réfectoire et de dortoir – lorsque les Rens ne dorment pas en prison, lieu parfois le plus à même d’assurer leur sécurité. Sauf qu’un bus pour avancer a besoin d’essence et parfois, trouver une station service acceptant de remplir le réservoir d’un véhicule rempli d’afro-américains n’est pas tâche aisée. Niveau business, il faut également garder l’œil ouvert. Le bras droit et secrétaire de Douglas – le proprio restant le plus souvent à New York où il a repris la gestion du Casino Renaissance – Eric Illidge veille au grain, flingue à la poche, en comptant les fans présents pour que les Rens touchent le bon cachet, l’équipe n’entrant pas sur le parquet tant que le compte n’est pas bon. Le principe pour le groupe est simple : garder leur dignité et imposer le respect en gagnant leur vie de façon honnête. Cela implique certaines astuces ou combines pour répondre à une foule pas toujours tendre. Si un spectateur prend la liberté d’une insulte raciste, les Rens simulent une mauvaise passe pour que la gonfle arrive dans la poire de la personne concernée qui réfléchit alors à deux fois avant de retenter sa chance. Mais dans certains états les plus durs en termes de ségrégation, l’accueil peut être terrible et les menaces dépassant le cadre de la simple insulte. Jet de cigarettes ou de tout autre objet, tentative de croche-pattes de la part des personnes au premier rang… la liste des coups fourrés pour déstabiliser les joueurs des New York Renaissance est affligeante. Il arrive même que les Rens glissent des couteaux dans leurs chaussettes en cas de débordements et d’attaque physique de la part de la foule. Et pourtant, malgré la fatigue, malgré les kilomètres qui s’accumulent, malgré les insultes, les Rens gardent leur dignité et restent droits dans leurs sneakers.

Le paradoxe dans cette situation repose sur le fait qu’en dépit de toute cette haine et ce rejet de la part des fans blancs présents dans les enceintes, tout le monde a bien conscience du niveau d’excellence de ces joueurs qu’ils considèrent comme inférieurs dans la vie de tous les jours. Une autre manifestation du racisme sur le terrain, ou du moins une adversité supplémentaire à surmonter lors de ces longs voyages se nomme arbitrage. Imaginez un instant dans le contexte de l’époque : une équipe afro-américaine rencontre les meilleurs ballers blancs du coin, devant une foule toute acquise aux joueurs du coin. Bien entendu, pour gérer une telle rencontre, l’arbitre est lui-aussi blanc et dire qu’il avantage les joueurs locaux est un doux euphémisme. Un exemple parmi tant d’autres, lors du match à Chicago les Rens se sont vus sifflés dix-huit fautes. Leurs adversaires, aucune. D’où l’idée bien ancrée dans le crâne des hommes de Bob Douglas que lors d’un affrontement face à une équipe blanche, la barrière des 10 points d’écart doit rapidement être franchie pour éviter des vols en fin de rencontre si le score est encore serré.

“Vous devez prendre 10 points d’avance le plus vite possible. Parce qu’on savait que ces 10 points seraient ceux perdus à cause de l’arbitrage” se rappelle d’ailleurs John Isaacs.

Illidge se souvient pour sa part d’une rencontre où sur un coup de sifflet scandaleux, il s’est mis à protester violemment et tout a dégénéré. Les Rens ont dû former un cercle au milieu du terrain avec la foule autour, le pistolet du road manager et les couteaux des joueurs sortis. C’est finalement la police anti-émeute qui sauve la vie des New York Renaissance en les exfiltrant.

Les tournées permettent aux Rens de faire gonfler leur bilan – qui s’élève à 2588 victoires pour 539 défaites sur toute leur histoire – en particulier lors de la saison 1932-33 où ils enchaînent 88 succès pour un équilibre de 120 – 8. A noter que sur ces 8 revers, 6 sont concédés face aux Celtics, même si sur cette période les Rens battent 8 fois leurs rivaux. Afin que leur domination ne soit pas trop écrasante – ce qui risquerait de les priver de nouvelles invitations par leurs adversaires, et donc pourrait avoir un impact négatif sur les finances – la recette est la suivante : prendre le large rapidement en première mi-temps puis laisser le score se réduire lors de la seconde partie du match pour que le score finale paraisse raisonnable et donne envie d’une revanche. En plus d’amasser les victoires, les New York Renaissance profitent de leur notoriété pour soutenir des causes, en particulier concernant des membres de leur communauté, via des rencontres caritatives. C’est le cas par exemple lors de l’affaire des Scottsboro Boys – neuf Afro-américains âgés de 12 à 20 ans condamnés pour viol suite à un procès expéditif en 1931 – où à l’instar d’artistes, les Rens ont levé des fonds pour venir en aide aux jeunes hommes.

La consécration

Entre la deuxième moitié des années vingt et les années trente, un rival autre que les Celtics pointe le bout de son nez, au sein même de la communauté afro-américaine, du côté de Chicago, les Harlem Globetrotters. Car oui, contrairement à ce que leur nom laisse penser, les Trotters viennent bien de l’Illinois, et non de New York. Mais leur propriétaire, Abe Saperstein, a choisi un tel blaze pour que le public ne soit pas surpris de voir des joueurs noirs débarquer sur le parquet. Et comme rien ne sonne plus afro-américain que le borough de Big Apple, la carte de visite est explicite. Avec cette montée en puissance des Globetrotters, une confrontation entre les deux meilleures équipes noires de l’époque est attendue, espérée. Pourtant, il n’en sera rien pendant de longues années. En effet, les Trotters ont fait leur trou dans un registre différent des Rens, en misant sur l’aspect spectacle et comique. Une image certainement plus acceptable pour les Blancs car moins menaçante derrière les clowneries, mais certainement pas du goût de Robert Douglas qui fustige régulièrement le chemin suivi par son homologue. Au contraire, le message même porté par les Rens est à l’opposé puisque les joueurs cherchent à casser les stéréotypes sur les Afro-américains. Un état d’esprit qu’il résume des années plus tard, en 1979 :

“Abe Saperstein est mort en millionnaire parce qu’il a donné aux Blancs ce qu’ils voulaient. Quand je partirai, ça sera sans un sous en poche, mais avec ma conscience. Je n’aurais jamais transformé le basketball en spectacle burlesque. Je l’aime trop pour cela.”

Alors quand en plus le proprio des Globetrotters déclare à l’envie que son équipe est supérieure à celle de Douglas et que les Rens ont peur d’affronter ses joueurs, on voit rouge du côté de New York. Car dès qu’il s’agit d’organiser cette rencontre, Saperstein est tout de suite moins loquace, refusant toujours de signer pour une telle confrontation.

Jusqu’en 1939 où pour la première fois, un tournoi est organisé pour désigner un champion du monde de basketball professionnel. Certes, le monde se limite aux USA pour cette première édition du World Pro Basketball Tournament, mais il s’ouvre à la communauté afro-américaine car en plus des New York Renaissance, les Harlem Globetrotters sont aussi de la partie. Les New York Renaissance vont enfin avoir l’opportunité d’être les champions, la meilleure équipe du pays, peu importe la couleur de leur peau, avec le coup de tampon d’une compétition officielle. Dans le même temps, Saperstein ne pourra pas se défiler au moment de se frotter aux Rens puisque les organisateurs du WPBT ont mis les deux équipes afro-américaines dans le même tableau, a priori pour ne pas avoir cette rencontre en finale. On veut bien jouer la carte de l’intégration, mais il ne faudrait pas pousser non plus à faire de l’ombre à nos bonnes vieilles équipes ségréguées, ne déconnons pas. Les Rens s’imposent 30-21 pour leur entrée en lice face aux New York Yankees. De leur côté, les Trotters doivent passer un tour de plus et enchaînent deux victoires, 41-33 sur les Fort Wayne Harvesters et 41-33 face au Chicago All-Americans. Nous voilà donc le 27 mars 1939, au Chicago Coliseum, avec cette confrontation attendue depuis des années. New York Renaissance vs Harlem Globetrotters, les deux meilleures équipes afro-américaines du pays, probablement même les deux meilleures équipes tout court. Sept mille personnes dans les tribunes, plus grosse affluence du tournoi. Et un succès des Rens. Plus grands, plus forts, plus expérimentés, ils scellent leur succès 27-23 grâce à un panier de Tarzan Cooper à quinze secondes de la fin du match. La première partie du contrat est remplie pour Smiling Bob et les siens, ils ont validé leur supériorité au sein de leur communauté. Il reste à finir le taf en s’imposant face aux Oshkosh All-Stars en finale. Une formalité ? Pas tellement. Oshkosh est le finaliste malheureux de la National Basketball League. Ils se sont déjà frottés dix fois aux Rens, pour sept succès. Autant dire que l’historique n’est pas en faveur des joueurs de Harlem, qui ont d’ailleurs perdu leur seule rencontre de la saison face aux All-Stars, quelques mois plus tôt.

Mais ce jour-là, l’enjeu n’est pas le même. Après s’être vus refuser l’accès aux différentes ligues professionnelles qui ont joué la carte de la ségrégation, les Rens ont la possibilité de prouver à toute l’Amérique que oui, les Afro-américains peuvent bien rivaliser avec les Blancs et même les battre. Dans le basket, le sport. Et même plus. Est-ce que Fats Jenkins et ses coéquipiers ont conscience de l’importance de cette rencontre, de ce rendez-vous avec l’histoire ? Il est facile avec le recul de s’en rendre compte, des années plus tard, un peu moins dans le feu de l’action. Pourtant, l’attente du reste de la communauté, mêlant espoir et anxiété, ne trompe pas. Oui, il s’agit de bien plus qu’un match de basket. Ce n’est pas qu’une question de mettre plus de paniers que l’adversaire, même si c’est par ce biais que tout se joue. La finalité, c’est l’égalité, et la fierté d’une minorité moquée, exploitée, opprimée. Une victoire, et la route peut se poursuivre. Une défaite, et la marche arrière est enclenchée : non, les Noirs ne peuvent pas se comparer aux Blancs, ces derniers leur sont supérieurs.

Les gradins sont moins garnis qu’au tour précédent – “seulement” trois mille personnes – et entièrement acquis à la cause d’Oshkosh. En plus d’être blanche, l’équipe se déplace dans l’Illinois depuis son Wisconsin voisin, ce qui en fait les locaux de cette finale. Malgré cette adversité ainsi que la sortie pour cause de fautes de Tarzan Cooper et Wee Willie Smith, les Rens trouvent les ressources nécessaires pour s’imposer 34-25. Ils l’ont fait, rien ni personne ne peut leur enlever ce titre. Pour fêter cela, Bob Douglas offre à ses joueurs une veste avec l’inscription “COLORED WORLD CHAMPION” (champion du monde noir). John Isaacs réclame un rasoir et découpe le mot “COLORED”, provoquant l’indignation de son manager qui lui demande pourquoi il abîme le blazer. ”Je le rends meilleur” lui rétorque son joueur. Avant de repartir en tournée le lendemain matin pour de nouveaux matchs.

Puis le déclin

Les kilomètres continuent de défiler, et cumulés avec l’âge de certains joueurs – Fats Jenkins a déjà soufflé ses 41 bougies au moment du titre – ils entraînent le déclin des Rens. Le meneur tire d’ailleurs sa révérence une fois le trophée glané, ce qui enclenche le début du turnover au sein de l’effectif qui brillait auparavant par sa continuité L’année suivante, ils échouent face aux Harlem Globetrotters lors du World Pro Basketball Tournament – remporté d’ailleurs par les hommes de Saperstein – et cette défaite marque le passage de témoin entre les deux équipes. Alors que les Trotters prennent le leadership du basketball afro-américain, les Rens rentrent petit à petit dans le rang. Même le Blue Goose, si fidèle allié, rend l’âme et doit être remplacé, preuve qu’une page se tourne chez les New York Renaissance. Pire, les difficultés financières apparues lors de la Grande Dépression sont accentuées par l’entrée en guerre des Etats-Unis. L’économie du pays est tournée vers le conflit et l’essence, élément essentiel quand on part en tournée, devient un produit de luxe dont l’approvisionnement est incertain. Dans ce marasme également alimenté par la lente mais réelle structuration et émergence des ligues professionnelles excluant toujours les équipes noires, la lueur d’espoir s’appelle Jackie Robinson. En 1947, il devient le premier joueur afro-américain en MLB. La barrière raciale franchie au baseball – sport numéro un aux USA – peut-elle avoir un impact pour les Rens ? C’est sur quoi mise Robert Douglas en tentant une nouvelle fois sa chance auprès de la NBL. Celle-ci s’est déjà ouverte lors de la Seconde Guerre mondiale justement avec certaines équipes qui acceptent des joueurs noirs. Comme en plus la National Basketball League souffre d’un déficit d’image – ses équipes les plus médiatiques comme les Minneapolis Lakers et les Fort Wayne Zollner Pistons se sont faits la malle direction la BAA – le timing semble idéal pour débarquer. C’est en tout cas ce que pensent les dirigeants qui imaginent que la notoriété des Rens peut leur donner un coup de fouet. Sauf que les joueurs ne sont plus les mêmes et qu’ils doivent s’exiler dans l’Ohio à Dayton pour remplacer les Detroit Vagabond Kings qui mettent la clef sous la porte en décembre 1948. L’expérience est de courte durée et se solde par un échec, les Dayton Rens terminant derniers avec un bilan de 16 victoires pour 43 défaites (le bilan était de 2-17 au moment de la fin des Vagabonds). Le 21 mars 1949, les Rens jouent leur dernier match, loin du Casino Renaissance et de Harlem. Avec beaucoup de questions qui refont surface aujourd’hui : auraient-ils pu mieux réussir en NBL en arrivant quelques années plus tôt, avec leurs meilleurs joueurs encore dans leur prime ? Et s’ils ne s’étaient pas retrouvés dans l’Ohio, loin de leurs racines et peu soutenus par un public pas forcément acquis à la communauté afro-américaine ? Etait-il possible de serrer les dents et la bourse pour tenir une année de plus et éventuellement faire partie de la fusion avec la BAA donnant naissance à la NBA ? Imaginons un instant qu’au lancement de notre grande ligue, une des équipes auraient été la propriété d’un Afro-américain, composée d’Afro-américains. Imaginons même cela aujourd’hui !

Au lieu de cela, les New York Renaissance ont lentement disparu des livres d’histoire, en dehors de rappels sporadiques, en particulier au sein du Hall of Fame. En 1963, c’est l’équipe entière de la saison 1932-33 qui a gagné son accès au Panthéon. Puis Bob Douglas, devenu depuis “le père du basketball noir” en 1972, suivi par Tarzan Cooper en 1977 et Pop Gates en 1989. Puis plus récemment, ce sont John Isaacs (2015), Zack Clayton (2017) et Fats Jenkins (2021) qui ont à leur tour été honorés. Une juste récompense même s’il arrive à titre posthume pour des joueurs, des hommes qui ont brillé sur les parquets, entraînant toute leur communauté dans leur sillage à mesure qu’ils enchaînaient les victoires au rythme des kilomètres parcourus, jusqu’à leur titre de 1939. Leur héritage dépasse le cadre des individus et doit être remis sur le devant de la scène. N’oublions pas que l’année où ils gagnent le World Pro basketball Tournament, aucun joueur afro-américain n’évolue dans une ligue professionnelle. Ils sont aujourd’hui entre 70 et 80 pour cent selon les saisons en NBA. Si un tel chemin a été parcouru, c’est parce que les New York Renaissance ont prouvé que les Noirs n’avaient rien à envier aux Blancs sur un terrain de basketball. Le tout en respectant la balle orange et en proposant un niveau de jeu élevé, avec du style. Et toujours en restant digne.

Source : Hot Potato de Bob Kuska, They Cleared The Lane de Ron Thomas et BlackFives.org