James Harden, entre admiration et agacement : analyse d’un monstre qui divise

Le 02 févr. 2019 à 10:43 par Clément Hénot

Harden
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Depuis plusieurs semaines, James Harden est en mode démolition. Chaque match du barbu est actuellement une orgie statistique et le retour de Chris Paul n’a rien changé alors que son second lieutenant, Clint Capela, est toujours sur le téco. Malgré des prouesses hors du commun, tout le monde n’apprécie pas forcément le spectacle proposé par le MVP 2018 et par les Rockets en général, tentative d’explication.

Harden est en train de défoncer des records en ce moment, il tourne à 36,3 points de moyenne sur la saison et a terminé le mois de janvier à 43,6 points. Il a scoré au moins 30 points sur ses 25 derniers matchs et a haussé son career-high à 61 points au Madison Square Garden. On arrête ou on continue ? Intenable en ce moment, il semble le faire avec une aisance déconcertante, usant toujours des mêmes moves : le tir à trois points, le step-back ou l’euro-step. Forcément, sans Chris Paul qui recommence tout juste à prendre ses marques ou Clint Capela pour réceptionner ses offrandes, le chef s’occupe de tout, tout seul, trop seul même.

Parce que forcément, lorsque l’on est un monstre, on a des fans, mais aussi des haters, dans des proportions différentes. Des joueurs comme Kevin Durant et LeBron James pour ne citer que des joueurs actuels, l’ont déjà constaté par le passé, James Harden est en train de le découvrir de façon frontale. Car si ses performances hors du commun montrent un talent offensif à toute épreuve et une capacité à porter avec autant de brio une franchise seul sur ses épaules (en tout cas en saison régulière), certains ont aussi leur lot de critiques. En effet, le basket est un sport collectif, non ? Alors regarder The Beard trottiner pour remonter la balle, se perdre pendant une séance interminable de dribbles pour le voir soit canarder à distance, soit démarrer son adversaire et finir au cercle, soit lui envoyer son step-back dévastateur pendant que ses coéquipiers le contemplent, immobiles, cela peut déranger. Mais tant que ça marche en saison régulière, pourquoi s’en empêcher ?

Si seuls Eric Gordon et dans une plus moindre mesure Gerald Green semblent être des options offensives viables actuellement, ils sont néanmoins beaucoup plus sujets aux trous d’air que le MVP en titre, cela traduit une faiblesse relative des Rockets à l’heure actuelle mais aussi un jeu bien trop stéréotypé de la part des Texans : tu files la balle à ton numéro 13 et tu le regardes se démerder. Une parodie de basket à laquelle certains goûtent trop peu. D’autant que le style de jeu de Mike D’Antoni, déjà plutôt caricatural à la base avec du shoot du parking à outrance, même si à sa décharge, la NBA évolue globalement dans ce sens, il est littéralement poussé à l’extrême depuis quelques semaines. Il ne se résume plus qu’à du Harden en isolation, et pour preuve, une statistique aussi incroyable qu’accablante : James Harden n’a reçu aucune passe décisive lors de 261 points marqués consécutivement. La passe reçue par Kenneth Faried le 28 janvier face au Magic était la première reçue par James Harden depuis celle de Clint Capela le 23 janvier face au Magic… en 87 paniers, soit plus du double du précédent record détenu par Steve Nash avec 42 paniers marqués sans l’aide de personne. C’est assez laid par moments. Mais tant que ça marche en saison régulière, pourquoi s’en empêcher ?

Alors on le répète, cela traduit largement le talent offensif de Harden, mais cela montre également la faiblesse technique du dispositif de Mr Pringles sans des lieutenants au top de leur forme, et la pauvreté de l’effectif actuel de Houston. De plus, Harden, d’habitude si habile passeur pour trouver des artificiers démarqués ou envoyer Clint Capela sur orbite, ne dispose plus de cette arme, car toute la vigilance est concentrée sur Eric Gordon lorsque la Barbe a la gonfle, ce qui limite les possibilités, car ce n’est pas à James Ennis qu’on va demander de canarder de loin. Du coup, il distribue moins de caviars qu’à l’accoutumée, soit 6,1 de moyenne sur ses dix derniers matches, bien moins que ses 8,1 de moyenne depuis le début de saison. Mais tant que ça marche en saison régulière, pourquoi s’en empêcher ?

Par contre, il faut vraiment surveiller l’état de forme de James Harden, qui risque d’arriver totalement cuit pour les Playoffs s’il arrive à y amener ses Rockets. Avec une défense qui se durcit et un arbitrage qui accordera moins de lancers-francs dont Harden est friand (il tourne à presque 87% en 12 tentatives de moyenne par match, on y reviendra un peu plus tard), il pourrait bien ne plus avoir d’essence dans le réservoir. Il nous a même déjà offert un sacré craquage contre le Magic avec un invraisemblable 1/17 derrière l’arc. Le mec a réurbanisé tout son quartier. Pour l’instant, ça fonctionne, mais le jour où les défenses trouveront la parade, Mike D’Antoni et James Harden seront les cibles numéro 1 de l’audimat. Eux qui ont déjà été prisonniers de leur propre style de jeu lors du Game 7 des dernières Finales de Conférence face aux Warriors. Il faudrait faire attention de ne pas voir l’histoire se répéter. Mais tant que ça marche en saison régulière, pourquoi s’en empêcher ?

Le pire semble être la décontraction avec laquelle Harden malmène les défenses, dans une NBA aseptisée où la moindre once de trashtalking peut vite être sanctionnée mais dans laquelle les joutes peuvent encore exister, on aimerait bien un peu plus d’éclat de sa part. Même s’il en a offert un beau contre Draymond Green en l’insultant après son panier de fou furieux en prolongations, on dirait que le mec n’en a globalement rien à foutre de découper les défenses les unes après les autres, et qu’il nous offre ça sans plus nous surprendre. On prend son café le matin, on checke vite fait son score TTFL (et on a le seum s’il nous fait moins de 50) et on regarde si Harden a bien fait son orgie statistique habituelle, on hausse les épaules et on commence notre journée normalement, voilà où on en est arrivés. Mais tant que ça marche en saison régulière, pourquoi s’en empêcher ?

De plus, sa propension à user de vice pour aller chercher les lancers-francs peut également agacer. Son goût pour aller au contact avec son défenseur au bon moment, balancer ses bras dans ceux de l’adversaire voire même de carrément le bloquer pour ensuite tirer… Harden pousse cette part de vice à l’extrême voire à la parodie. Après, tous les grands joueurs doivent avoir une part de vice, et c’est encore mieux s’ils arrivent à utiliser ça à leur avantage, mais Harden peut parfois en abuser, au point de se retrouver 20 voire 25 fois sur la ligne de réparation. Cela casse le rythme du jeu et certains trouvent qu’il obtient quelques coups de sifflet faciles. Et ce n’est pas faux en tant que star, qu’il bénéficie d’un traitement de faveur, mais les adversaires peuvent parfois se montrer agacés. On pense notamment à Brandon Ingram qui l’avait repoussé lors de ce fameux match ou Chris Paul et Rajon Rondo s’étaient échangés quelques gnons, mais aussi Joel Embiid qui s’est fritté avec le barbu ou encore Stephen Curry qui, après un marcher, fait comprendre aux arbitres du traitement de faveur dont bénéficie le MVP 2018 sur certaines actions. Chaque star, dont Harden dispose d’un traitement de faveur. Alors tant que ça marche en saison régulière, pourquoi s’en empêcher ?

Vient ensuite un autre débat : est-ce que tous les autres monstres n’auraient pas les mêmes statistiques dans une situation similaire ? A l’heure où les stars décident de s’allier voire de rejoindre leurs ennemis (allez, on déchaîne les enfers), Harden s’est récemment retrouvé “seul”, désolé Eric, Gérald et autres, mais c’est à peu de choses près le cas… Alors ces absences conjuguées au style de jeu open-bar de Mike D’Antoni donnent ce genre de cartons, mais il y a fort à parier que des Kevin Durant ou Stephen Curry voire des Kyrie Irving ou Paul George aligneraient des statistiques aussi faramineuses en vampirisant tous les ballons. C’est ce qui a parfois été reproché à Russell Westbrook, voulant gratter coûte que coûte son triple-double, quitte à jouer à l’envers ou à délaisser ses coéquipiers… Ça divise mais ça reste impressionnant. Pareil pour ses stats, elles “pourraient” être alignées par d’autres joueurs, sauf que pour l’heure, c’est Harden qui nous en gratifie. Et tant que ça marche en saison régulière, pourquoi s’en empêcher ?

Au final, James Harden est dans une impasse : pour l’heure, il joue quasiment tous les ballons et est donc considéré comme un joueur aussi impressionnant qu’égoïste. Mais s’il lâchait sa balle à ses coéquipiers démarqués, il pourrait se faire accuser de ne pas être un leader et de ne pas assumer ses responsabilités. Certains considéreront cela comme une envie de gagner, quitte à sacrifier la qualité de jeu, d’autres y verront justement une insulte à ce noble sport, et ils sont plus nombreux dans la seconde situation. Cette situation est la même pour tous, certains joueurs, quoi qu’ils fassent, qu’ils disent ou qu’ils font, la salve des critiques arrivera toujours, ce fut le cas pour LeBron James lors de son départ à Miami, pour Kevin Durant lorsqu’il a rejoint les Warriors, ou Russell Westbrook lors de sa quête infernale de triple-doubles… C’est aussi ça le lot des grands joueurs, avoir des haters…

James Harden ne laisse donc que peu de monde indifférent : impossible de passer à côté de ses performances gargantuesques, difficile de ne pas le reconnaître aussi. Mais encore plus facile de se dire que cela ne ressemble pas beaucoup à un sport collectif, et que ça peut laisser penser à un gamin qui joue à NBA 2K avec son joueur préféré. La prouesse réalisée chaque soir est grande pour énormément de monde, mais la manière semble un peu moins l’être pour beaucoup… Reste à savoir s’il sera couronné de succès en fin de saison.