Pour Daryl Morey, la patience est mère de toutes les vertus : retour sur la stratégie du boss des Sixers pour récupérer James Harden

Le 14 févr. 2022 à 16:05 par Nicolas Meichel

Daryl Morey
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Provoquant un véritable tremblement de terre sur la planète NBA, le transfert de James Harden aux Sixers la semaine dernière a mis fin à la saga Ben Simmons aux Sixers. Une saga de plusieurs mois, composée d’innombrables épisodes et dans laquelle Daryl Morey a évidemment joué un rôle majeur. Retour sur la stratégie culottée du boss de Philly pour obtenir la contrepartie recherchée depuis le début : un All-Star du calibre d’Harden.

Patience est mère de toutes les vertus

Nous sommes le 20 juin 2021. Les Sixers viennent de perdre leur Game 7 face aux Hawks à la maison, et la cote de Ben Simmons n’a sans doute jamais été aussi basse. Sa passe pour Matisse Thybulle alors qu’il avait un dunk tout fait passe en boucle sur les écrans, et les déclarations de Joel Embiid et Doc Rivers le concernant font la une. À ce moment-là, on se demande si Simmons jouera un match supplémentaire sous le maillot de Philly ou si cet enchaînement d’événements sonne la fin de son duo avec Embiid. Vous le savez, c’est le deuxième scénario qui va avoir lieu. La fin d’un duo, mais le début d’une saga de plusieurs mois marquée par la demande de transfert de Ben Simmons puis son holdout, qui puisent leur source non seulement dans ces événements du 20 juin mais aussi dans la volonté de Daryl Morey d’échanger l’Australien contre James Harden dès le début de l’année 2021, quand ce dernier était en instance de divorce avec les Rockets.

Pendant tout ce temps, de juin 2021 à février 2022, Daryl Morey n’a pas bougé. Dès le départ, le boss des Sixers a annoncé qu’il voulait un joueur calibre All-Star en échange de Ben Simmons, peu importe la cote de ce dernier. Alors que tout le monde gardait en tête le fiasco des Playoffs, ce bon vieux Daryl n’a pas hésité à rappeler le statut du Boomer : triple All-Star, troisième team All-NBA en 2020 et dauphin de Rudy Gobert dans la course au DPOY l’an passé. Deux visions qui ont pendant longtemps empêché toute vraie avancée dans les négociations avec diverses franchises intéressées par le profil de Simmons. Daryl savait que son mandat à la tête des Sixers serait un jour défini par sa façon de gérer le dossier du Boomer, alors il a tout de suite voulu définir les règles du jeu. Et il est toujours resté fidèle à ces règles malgré le côté très inconfortable de la situation ainsi que la pression de plus en plus en forte entourant cette dernière. Ben Simmons qui sèche le training camp alors qu’il lui reste quatre années sur son contrat, les amendes infligées à l’Australien, les déclas explosives de Joel Embiid en réponse à Simmons, Doc Rivers qui exclut ce dernier de l’entraînement quelques jours après son “retour” avec le groupe, la santé mentale du Boomer qui rentre en jeu… autant d’éléments qui auraient pu pousser Daryl Morey à faire un trade afin de mettre un terme à ce gros bordel et permettre à la franchise des Sixers de retrouver un peu plus de sérénité. Beaucoup de managers auraient sans doute craqué en acceptant une contrepartie légèrement inférieure à celle demandée, mais pas Daryl. “Malcolm Brogdon et Caris LeVert contre Ben Simmons ? Non merci. C.J. McCollum ? C’est un bon joueur mais je préfère Damian Lillard”. On connaît le personnage. Dur en affaires et particulièrement couillu (y’a qu’à revoir les contreparties WTF qu’il pouvait parfois demander dans les négo), Morey fait partie de ces gars qui n’ont aucun souci à traverser de grosses périodes de turbulences pour obtenir ce qu’ils veulent. Et c’est exactement ce qu’il a fait, en attendant encore et encore l’Opportunité avec un grand O pour transférer Ben Simmons.

James Harden, une occasion à ne pas laisser passer

Cette opportunité, elle est donc tombée à la NBA Trade Deadline 2022. Alors que la situation chez les Nets se dégradait de jour en jour, un certain James Harden se dirigeait de plus en plus vers la porte de sortie, ce qu’on avait du mal à imaginer seulement un an après son arrivée à Brooklyn. Mais l’imagination de Daryl Morey n’a pas de limite. Il est bien placé pour savoir que tout est possible en NBA, que des situations peuvent se débloquer au fur et à mesure qu’une saison avance. Il savait aussi qu’attendre pouvait réduire l’impact du fiasco des Playoffs sur la cote de Ben Simmons, parce que le temps possède ce pouvoir de guérir et de changer les choses. C’est spécifiquement pour ces raisons qu’il n’a jamais voulu se précipiter dans le dossier Ben Simmons. Et une fois que l’opportunité était enfin devant lui, il a sauté avec les deux pieds. “Reste sur ce put*n de téléphone. On va conclure ça !” a carrément balancé Morey au GM de Brooklyn Sean Marks (via ESPN) lors des dernières heures précédant la deadline jeudi dernier. Daryl avait assez attendu, c’était le moment de mettre fin à la saga, lui qui ne voulait pas passer à côté d’une réunion avec son chouchou James Harden après une bonne décennie ensemble à Houston. En même temps, comment résister ? On peut dire beaucoup de choses sur le Barbu (et c’est ce qu’on va faire juste en dessous) mais c’est un deal qu’il fallait réaliser au vu du contexte. Et pour cause, malgré toute la patience démontrée dans ce process, Morey était bien conscient d’une chose : ce n’est pas tous les jours qu’une superstar devient dispo sur le marché mais surtout, Joel Embiid réalise la meilleure saison de sa carrière et est en plein dans son prime. Gâcher une année de ce prime quand on connaît les antécédents du bonhomme en matière de blessure, ça serait sans doute mal passé du côté de Philly. Car c’est uniquement avec un Joel à ce niveau-là et une star digne de ce nom à ses côtés que les Sixers peuvent aller chercher leur premier titre NBA depuis 1983. So here we are. James Harden x Joel Embiid, une bague de champion dans le viseur, let’s go !

Per Daryl Morey’s Instagram, James Harden has arrived pic.twitter.com/Jn71mJ5Ch3

— Kyle Neubeck (@KyleNeubeck) February 12, 2022

Un titre NBA ou rien

On l’a dit plus haut, ce transfert va définir le mandat de Daryl Morey aux Sixers. À l’heure de ces lignes, Daryl peut bomber le torse car sa stratégie visant à récupérer une star en échange de Ben Simmons – stratégie contestée par beaucoup – a payé. Il a profité des galères à Brooklyn pour obtenir ce qu’il voulait et les Sixers sont désormais en position de jouer le titre avec Embiid, Harden, Tyrese Maxey et Cie. Et si titre il y a cette saison ou dans les deux-trois années à venir, Morey pourrait bien avoir une statue en son honneur devant le Wells Fargo Center. Maintenant, on peut quand même avoir des doutes suite à ce blockbuster deal et sur les capacités d’Harden à représenter la pièce pouvant aider Joel Embiid à emmener les Sixers au sommet. Sans se mettre en mode Stephen A. Smith qui a carrément balancé un “cela pourrait être le pire jour de la carrière de Daryl Morey” jeudi dernier, on rappelle qu’Harden a réalisé une première partie de saison assez médiocre chez les Nets. Les stats brutes restent plutôt lourdes (22 points, 8 rebonds, 10 passes) mais l’efficacité est en chute libre (41% au tir, 33% à 3-points, 5 turnovers par match), et son corps commence à montrer des signes de faiblesse. Le déclin d’Harden a-t-il vraiment commencé ou va-t-il retrouver tout son mojo maintenant qu’il est à Philly ? Ce n’est un secret pour personne, Ramesse vit une véritable histoire d’amour avec les strip-clubs et si l’on en croit le dernier article d’ESPN, il n’a pas encore envie de se ranger à ce niveau-là, lui qui aurait enchaîné les sorties nocturnes lorsqu’il était en road-trip avec les Nets début février. Alors même si le nom de James Harden pèse dans le game, c’est aussi sur ça que mise Daryl Morey. Et il le sait très bien après avoir construit ses Rockets autour du Barbu entre 2012 et 2020.

Ces doutes peuvent aussi concerner le fit entre Harden et Joel Embiid. Deux stars certes, mais Joel est un pivot à qui on donne avant tout le ballon dos au panier pour qu’il détruise tout sur son passage, pas un pivot à la Clint Capela qui est là pour simplement conclure les alley-oops envoyés par Ramesse. Ce dernier a besoin de la gonfle et ne fait pas grand-chose quand il ne l’a pas, alors on peut se demander comment lui et Joel vont pouvoir maximiser leurs talents respectifs. On ne dit pas qu’ils sont incompatibles hein, les deux possèdent suffisamment de skills pour faire fonctionner la machine, mais il est clair qu’Embiid représente un profil différent que les intérieurs avec qui Harden avait l’habitude d’évoluer pendant tant de saisons. Et le Barbu n’est pas le joueur le plus adaptable du monde. Enfin, comment ne pas parler de la question contractuelle. On a abordé le sujet récemment, le Barbu peut toucher jusqu’à 270 millions de dollars sur les cinq prochaines années, avec un salaire annuel de… 60 millions sur la dernière quand James ira sur ses 38 balais. Traduction, en 2026-27, les Sixers pourraient se retrouver avec un vrai contrat boulet, une perspective qui met encore plus de pression autour de la franchise sur le court terme. Tout ça pour dire que Philly a probablement une fenêtre de tir de deux ou trois ans pour gagner un titre NBA et tout autre résultat sera sans doute considéré comme un échec, autant pour Harden que pour Morey.

Daryl Morey a réussi son coup. Il a attendu, il a résisté à la pression extérieure et celle du camp Ben Simmons, pour se retrouver avec un James Harden dans la besace alors que beaucoup le traitaient de fou quand il disait qu’il voulait un All-Star. Mais au final, quand on dézoome, ce move ne sera vraiment validé que si les Sixers parviennent à aller au bout un jour. Et ça, c’est pas gagné.