Le billet d’Alex : à ceux qui, comme Gregg Popovich, multiplient les biens

Le 06 févr. 2022 à 15:30 par Alexandre Martin

Gregg Popovich couv
Source : NBA League Pass / Youtube @NBA

Savez-vous pourquoi les biens de la plus grande valeur sont les biens immatériels ? C’est parce que les partager permet de les multiplier alors que partager des biens matériels revient à les diviser. Plus qu’une simple nuance ou un effet rhétorique, il s’agit d’une des clés les plus puissantes de notre monde. Et dans celui de la NBA, un homme l’a compris mieux que quiconque : Gregg Popovich, multiplicateur de talents sans équivalent bientôt winner sans égal. 

Contre les Rockets vendredi, les Spurs ont remporté leur 20ème match de la saison. Leur bilan est encore largement sous les 50% et devrait, sauf incroyable retournement de situation, le rester jusqu’à la fin de cet exercice 2021-22. Pour autant, cette victoire texane était spéciale. C’était la 1330ème en saison régulière et 1500ème au total en carrière pour Gregg Popovich. 1500 matchs gagnés au total, c’est à dire Régulière + Playoffs, Pop’ est tout seul dans ce cas. Le chiffre de 1330, le positionne à cinq unités de Don Nelson et ses 1335 succès. Par conséquent, sur leurs 38 sorties restantes d’ici la mi-avril, la mission des jeunes éperons de San Antonio est tout aussi claire qu’à leur portée : remporter au moins six matchs pour faire de Popovich le coach le plus victorieux de tous les temps en NBA. Passer autant de temps à transmettre, à enseigner, à donner pour devenir au final le plus grand winner de tous rend l’histoire de cet entraîneur hors norme encore plus magnifique. 

Une histoire de partage. 

Donc oui, Gregg Popovich n’est pas un coach comme les autres. Vous vous en doutez, il y a une suite à cette phrase d’une banalité rare. Tout au long de sa carrière, Popovich s’est adapté aux situations, aux différents contextes, aux styles de jeu des époques qu’il a traversées, en gagnant. Au-delà de ses cinq bagues, ses 22 saisons d’affilée avec qualifications en Playoffs (de 1997 à 2019) dont 20 de suite à plus de 60% de victoires, sont là pour en faire la démonstration. Mais sa recette du succès n’est pas tactique même si l’animal a quelques sacrés instincts à ce niveau évidemment. Sa recette est humaine, elle est collective. Elle réside dans ce qu’il communique à celles et ceux qui l’entourent au quotidien et du début à la fin de chaque entraînement. Il partage ses idées, il transmet son savoir et, surtout, il apprend à ses joueurs ainsi qu’à ses assistants à faire de même, à propager eux aussi autour d’eux ce qu’ils ont appris. Gregg Popovich ne veut pas garder sa recette pour lui. Il veut qu’elle se diffuse partout au bord des parquets.  

Entre fans de balle orange plus ou moins avertis, entre observateurs, l’information a déjà circulé et on sait que plusieurs anciens assistants ou joueurs de Gregg Popovich ont réussi et réussissent encore extrêmement bien en tant qu’entraîneurs. Mais réalise-t-on à quel point l’ombre de Popovich domine la ligue aujourd’hui ? 

Mike Budenholzer. Champion NBA 2021 avec les Bucks. Peut-être pas l’exemple le plus parlant en termes de jeu et de construction de groupe car il a en Giannis Antetokounmpo un franchise player au style si particulier que Bud’ a dû adapter certains de ses grands principes popovichiens qui avaient très bien fonctionné à Atlanta. Il n’en reste pas moins que dans la construction et ce que dégage le groupe Bucks, on sent les 17 années (1996 à 2013)  passées par ce bon Mike auprès du sorcier des Spurs. 

Steve Kerr. Parmi les cinq bagues qu’il a remportées en tant que joueurs, deux l’ont été en tant que jouer des Spurs au bout du banc de Popovich. Une expérience visiblement très fructueuse. Kerr est désormais dans sa huitième saison sur un banc. Il est déjà allé en finale cinq fois pour trois titres. Ces Warriors sont ceux de Curry mais ils sont aussi ceux de Klay Thompson, de Draymond Green, de Kevin Durant, d’Andre Iguodala… Ces Warriors sont ceux de coach Steve Kerr, de ce qu’il a voulu inculquer à ses joueurs depuis qu’il est là. Ces notions qui ont tout de suite fait tilt dans la tête de Stephen Curry. Parce qu’il était prêt à laisser son talent exploser à la face de la ligue. Parce que c’était le bon discours aussi, la bonne façon de transmettre, le bon moyen d’impliquer tout un groupe pour l’emmener au bout. L’humilité avec laquelle le groupe de Golden State fonctionne, l’intégration des jeunes par les anciens, l’expérience qui leur est donnée d’entrée… Kerr n’est pas Pop. Curry n’est pas Duncan. Mais ne pas voir de similitudes dans leur leadership serait se voiler la face. Rigueur, discipline, sacrifice, le groupe avant tout. Ses valeurs sonnent comme des évidences mais encore faut-il y adhérer suffisamment pour en faire les armes d’une équipe qui gagne. 

Monty Williams connaît actuellement le succès avec les Suns. L’an dernier, la franchise de l’Arizona est allée jusqu’en finales. Une série ultime qui a donc vu s’affronter deux anciens de Popovich au passage mais ça ne vous aura pas échappé. Et cette saison, les Cactus font la course en tête avec le meilleur bilan de la ligue et de très grandes ambitions pour les joutes de post-season. C’est là que l’on comprend aussi que l’arrivée de Chris Paul ne représente pas seulement un déclic à travers ses points, ses passes décisives, sa maîtrise ou sa clutchitude. Monty Williams a obtenu en Paul le meneur parfait pour mettre en place sa philosophie, la philosophie de Pop. Ces Suns ont du Spurs en eux. Et je n’aurais jamais cru qu’écrire cette phrase puisse être un plaisir tant la rivalité des années 2000 fut désagréablement à sens unique. Néanmoins, niveau jeu des deux côtés du terrain, niveau construction de groupe, ces Suns 2021-22 font forcément penser aux Spurs de la grande époque. Car ce qui les rend si dominants, si confiants et si maîtres de leur basketball, ce sont ces intangibles que Monty Williams et Chris Paul amènent à travers leur savoir, leur expérience et leur volonté de transmettre. Le talent de Devin Booker n’a jamais été un secret, le potentiel de Mikal Bridges et Deandre Ayton non plus. Ces trois-là n’attendaient que ça, qu’on leur montre la voie. La bonne voie si possible, celle qui mène loin. 

Comme Steve Kerr, Monty Williams a été joueur sous les ordres de Popovich (deux saisons de 1996 à 1998) et il a surtout passé deux années dans le front office des Spurs de 2016 à 2018, longtemps après avoir été coach stagiaire pendant la saison 2004-05, qui a vu les Spurs aller au bout d’ailleurs. Les deux coachs des deux meilleures équipes actuelles en NBA sont plus qu’issus du giron Popovich, ils sont de fidèles disciples de la philosophie du septuagénaire. La dernière série de Finales NBA a donc opposé deux anciens assistants de Pop. On peut ajouter à cela les belles réussites de coachs comme James Borrego avec les Hornets (assistant chez les Spurs pendant sept ans de 2003 à 2010) ou de Quin Snyder à qui la porte du coaching a véritablement été ouverte par Pop lui-même lorsqu’il a confié les Austin Toros à l’actuel coach du Jazz avant de le voir passer par les staffs de plusieurs de ses anciens assistants (Mike Brown à Los Angeles ou Budenholzer à Atlanta). Là, on réalise mieux le sens de la question posée précédemment dans ces lignes : l’ombre de Pop est derrière tant de succès dernièrement qu’il est impossible de l’ignorer. Tenez, une autre question : si un jour des gars comme Steph Curry ou Chris Paul deviennent coachs, quelle genre de philosophie pensez-vous qu’ils vont tenter d’inculquer à leurs joueurs ?

Impossible de ne pas rendre justice à ce monstre du coaching.

Ce qui fait plaisir à voir, c’est qu’après les succès collectifs et individuels, les chiffres vont se charger d’encrer une bonne fois pour toute le génie de Gregg Popovich dans l’histoire. D’autant plus qu’alors que la planète NBA s’apprête à vivre une folle semaine au rythme des trades et surtout des rumeurs les accompagnant jusqu’à la deadline, Pop’ continue de faire ce qu’il fait depuis plus de 25 ans : transmettre du savoir et multiplier les biens du Basketball. Il démontre ainsi que partager finit par payer, que partager c’est déjà un peu commencer à gagner. Et ça… ça n’a pas de prix.