Back to basics : Original Celtics, les premiers trèfles poussaient et gagnaient à New York, pas à Boston

Le 25 déc. 2021 à 11:12 par David Carroz

Original Celtics

Pour comprendre ce qu’on vit aujourd’hui, il est important de connaître ce qu’il s’est passé hier. C’est ainsi qu’à travers le portrait de différentes équipes ayant brillé bien avant que la NBA ne soit une ligue toute puissante, TrashTalk vous propose de vous replonger dans une partie de l’histoire du basketball aux Etats-Unis, bien loin des tirs du parking et autres Top 10 qui rythment notre quotidien. Aujourd’hui on part vers le trèfle porte-bonheur des Original Celtics.

Lorsque les fans de basket se penchent sur les plus grandes équipes de l’histoire, les dynasties qui ont marqué leur sport, le nom des Celtics revient forcément avec insistance. Il faut dire que la franchise de Boston a collectionné les titres et a vu passer quelques légendes au sein de son vestiaire. Pourtant, bien avant que le trèfle ne soit un porte-bonheur dans le Massachusetts, c’est du côté de New York que l’un des symboles de l’immigration irlandaise aux États-Unis s’est associé à la balle orange, au début du vingtième siècle, avec les Original Celtics. Et avec autant de succès – à l’échelle du basketball de l’époque – que les futurs Celtes de Bean Town en NBA des décennies plus tard.

La preuve que bien avant que le vert soit à la mode à Boston repose d’ailleurs sur le choix du blaze de la franchise. Alors que Walter Brown monte son équipe pour les débuts de la BAA à l’été 1946, quelques surnoms semblent tenir la corde : Whirlwinds, Unicorns et Olympics sortent du lot. Mais Brown opte finalement pour Celtics, se justifiant ainsi :

Ce nom a une grande tradition dans le basketball depuis les anciens Original Celtics de New York. Et Boston est rempli d’Irlandais. On va les mettre dans des tenues vertes et les appeler les Boston Celtics !

Aujourd’hui, l’ensemble des accomplissements et la trace laissée dans l’histoire par la franchise du Massachusetts sont tels que cette tradition a bien été respectée, voire confortée. Mais au départ l’héritage était tout de même lourd à porter. Leurs titres de champions de l’Eastern Basketball League en 1922 – pour leur seule participation à la compétition sur une saison complète – puis en American Basketball League en 1927 et 1928 ne sont qu’un aperçu rapide de leur apport au basketball qu’ils ont révolutionné sur et en dehors des parquets. À tel point que leur domination a causé leur dissolution. Mais quel chemin les Original Celtics ont-ils pris sur deux petites décennies pour marquer à ce niveau leur sport loin de la médiatisation de la NBA de l’époque actuelle ?

Immigration et création

Tout débute donc à New York, en 1914. La ville est un point d’entrée pour de nombreux immigrants qui viennent tenter leur chance dans le Nouveau Monde. Ces derniers s’installent souvent à Big Apple, différentes communautés voyant le jour au sein de NY. Des Allemands, des Juifs, des Polonais, des Irlandais, des Italiens… Dans notre cas, ce sont ceux d’origine celtique qui nous intéressent. Sur la première décennie du vingtième siècle, plusieurs centaines de milliers (presque 400 000) débarquent aux USA, principalement dans les grandes villes de l’est. Pour ces minorités, une façon de s’intégrer passe par le sport. Si le baseball et la boxe sont ceux qui cartonnent aux États-Unis au début du siècle, l’arrivée récente du basket offre une opportunité de s’imprégner de la culture US, tout en apportant sa propre touche à un sport qui reste balbutiant.

La balle orange est encore jeune mais elle prend ses marques et se structure à Big Apple. Les foyers de l’époque font souvent jouer des équipes comprenant des enfants de ces mêmes foyers, tout comme des adolescents des quartiers populaires avoisinants, mettant ainsi sur pied des formations identitaires. C’est ainsi que les Celtics voient le jour sous l’impulsion de Frank McCormack.

Cette équipe – la première des C’s – n’est finalement rien de plus qu’un club de quartier, majoritairement composé d’immigrants irlandais vivant dans le quartier Chelsea de Manhattan, entre Hell’s Kitchen et Hudson Guild. Pour ceux-ci, le sport est également un moyen de se trouver des héros, des figures auxquelles s’identifier alors que l’ordre établi par les Protestants laisse peu de place aux Catholiques dans l’ascenseur social. Malheureusement, cela ne se fait pas sans préjugés. Bien au contraire, puisque les Irlandais sont régulièrement catalogués comme costauds, mais pas futés, donc bons pour les activités physiques.

Les Celtics trouvent leur public, forcément au sein de la même communauté, avant que les États-Unis rejoignent le premier conflit mondial en 1917. À l’image de l’équipe, Chelsea abrite de nombreux immigrés irlandais, ce qui facilite la reconnaissance des Celtics. Sur cette période de trois ans, on trouve des traces de succès modestes pour le club au sein des compétitions locales.  Tout d’abord via le circuit des dance hall – de nombreuses équipes ne disposent pas de de gymnase et jouent dans les dancing à cette période. Puis la réputation grandit au gré des victoires. Les Celtics sortent donc de New York pour visiter les États voisins du Connecticut et du New Jersey. S’ils ne sont pas encore la machine à gagner et à amasser du cash qu’ils vont devenir, leur popularité est sur la pente ascendante.

McCormack, lors de son départ pour la guerre, laisse les commandes des Celtics à James “Jim” et Thomas Furey, pensant récupérer les clefs à son retour. Mais les nouveaux dirigeants ne sont pas de cet avis et débordent d’ambition pour l’équipe au trèfle. Jim, qui n’a que 25 piges, compte bien réorganiser l’effectif pour en faire un excellent produit d’appel pour le night club de Thomas, qui va servir de salle où jouer pour les C’s. Le premier nommé des frangins – caissier à l’époque – dispose d’un véritable esprit entrepreneurial et voit bien dans le basket une opportunité business. Ses qualités de communicant vont faire le reste pour pouvoir installer cette dynastie.

Pour mettre sur pied leur “produit”, ils comptent bien s’appuyer sur la petite réputation des Celtics en conservant certains joueurs de l’ère McCormack mais surtout le nom. En effet, ce dernier revêt une grande importance à une époque où les clubs ne disposent pas de biens comme un salle et que les ballers vont et viennent d’une équipe à une autre au gré du cachet proposé pour chaque match. Après un passage par les tribunaux, Frank McCormack garde la main sur le nom New York Celtics. Mais pas sur le club, que les Furey gèrent désormais, en le rebaptisant Original Celtics.

La construction des Original Celtics

À la fin de la guerre et après la reprise de l’équipe par les frères Furey, les Celtics s’ouvrent à des immigrés d’origine différente. Seuls deux Irlandais des C’s de McCormack font toujours partie de l’effectif, John “Pete” Barry et Johnny Whitty, même si ce dernier n’a jamais eu un rôle majeur sur le terrain pour les Celtes. Jim et Thomas Furey suivent la tendance de cette période de transition entre les deux conflits mondiaux, à savoir l’émergence du sport spectacle grâce à plus de temps libre et d’argent pour les Américains, mais aussi une meilleure assimilation des immigrés déjà présents chez l’Oncle Sam due à une diminution des migrations de masse.

Dans les années vingt, le divertissement sportif – ou du moins destiné à des spectateurs – devient aussi un moyen de calmer les tensions entre les différents groupes ethniques, de s’affronter sur un terrain avec des règles, ainsi qu’un loisir prisé du fait de la prohibition. C’est là qu’il prend ses bases de produit de consommation. C’est aussi durant cette décennie que le basketball connaît sa première grande évolution, avec sa professionnalisation, à laquelle les Celtics participent activement.

Leur succès, en dehors de leur rôle de pionniers sur les questions contractuelles, repose beaucoup sur leur affranchissement des questions des origines des joueurs puisque si le nom rappelle l’Irlande, les joueurs sont désormais d’horizons différents, ce qui est loin d’être la norme au départ. Pour Furey, il faut avoir les meilleurs ballers dans l’équipe. Alors que certains auraient pu craindre que cela diminue l’attachement ethnique aux C’s, c’est l’effet contraire qui se produit puisque les nouveaux arrivants ont plutôt apporté des supporters qui partageaient leurs origines. Le succès est donc double : sportif, mais aussi économique avec des affluences grandissantes.

Jim Furey construit donc son roster à partir de deux historiques des Celtics, Pete Barry et Johnny Whitty. Les deux sont présents au club depuis 1914 et vont faire partie de l’aventure pendant de longues années, plus de vingt pour le premier, presque quinze pour le second. Leurs rôles sont très différents, même si tous les deux restent le plus souvent dans l’ombre des stars de l’équipe. Barry excelle dans les tâches ingrates et la défense, préférant offensivement passer la balle à ses coéquipiers plus talentueux. Whitty lui ne foule pas souvent les parquets, se contentant de faire le nombre quand d’autres joueurs manquent à l’appel. Il tient plus un rôle d’encadrant  lorsque l’équipe part en tournée, Jim Furey – qui va devenir son beau-frère – restant à New York lors des déplacements.

En 1919, une première vague de recrues débarque chez les Original Celtics, lançant l’ouverture de l’équipe à des origines plus variées que les Irlandais, jusqu’à ce qu’ils deviennent une alliance entre les Gaéliques du début, des Allemands, des Juifs mais aussi des Européens de l’est. Une réunion peu banale dans le contexte mondial de l’époque, mais qui reflète bien l’évolution de la société new-yorkaise à une échelle plus grande que celle du sport. Bien entendu, le choix des nouveaux venus ne répond absolument pas à des critères d’intégration ou de diversification pour Jim Furey. Il souhaite juste faire progresser ses Celtics.

Ernie Reich coche bien cette case, lui qui s’impose depuis trois saisons comme un excellent scoreur dans les différentes ligues qu’il fréquente. Rapide, bon dribbleur et possédant un bon tir – les deux pieds collés au sol, à deux mains, selon les standards de l’époque – il ne va malheureusement pas avoir le temps de marquer l’histoire des Celtics. En effet, il chope une pneumonie en février 1922 et meurt dans la foulée alors qu’il n’a même pas encore soufflé ses trente bougies.

À l’instar de Reich, les trois autres joueurs signés par les Celtics cette saison-là ne vont pas traîner dans l’équipe, même si leur destin est bien moins tragique. Joe Trippe, Mike Smolick et Eddie White servent de rampe de lancement à l’effectif légendaire, mais ils n’en font pas vraiment partie. Ils posent les bases qui vont mener à l’excellence, permettant aux Original Celtics de remporter 65 victoires en 69 matchs. Le tout en assurant de belles rentrées d’argent puisque l’affluence à domicile tape régulièrement dans les 4 000 péquins.

Certes, le roster au trèfle va encore connaître quelques mouvements au cours des années qui suivent. Mais la volonté de mettre en place une équipe stable est bien ancrée dans la tête de Jim Furey qui doit encore jongler avec des joueurs s’acoquinant avec l’équipe la plus offrante. En choisissant de programmer des matchs le weekend, alors que la plupart des ligues évoluent en semaine, il bénéficie déjà d’une première parade pour construire dans la continuité. L’excellent bilan de 1919-20 associé à l’ambition de Furey fait que les Original Celtics commencent à s’autoproclamer champions du monde. Pas assez pour la manager qui en veut toujours plus et qui continue donc son recrutement pour renforcer les siens.

En 1920, c’est le vétéran Oscar “Swede” Grimstead qui rejoint les Celtes, pour une seule petite saison avant d’être remplacé par George “Horse” Haggerty. Les deux joueurs possèdent quelques similitudes, comme leur côté excentrique – voire farceur – qui attire les fans. Horse poursuit plus longtemps son aventure celte, apportant rebond et défense aux siens. Quelques années plus tard, il laisse à son tour sa place à un pivot plus jeune – Joe Lapchick – son apport devenant de plus en plus limité avec l’âge. C’est bien beau d’être l’un des premiers joueurs à tenir la gonfle à une seule main – pas un mince exploit, les ballons de l’époque étant plus larges qu’aujourd’hui – mais ça ne suffit pas à faire de vous un intouchable, contrairement aux autres recrues qui vont débarquer les mois suivants et qui vont surtout marquer l’histoire des Original Celtics : Henry “Dutch” Dehnert,  Nat Holman, Chris Leonard et Johnny Beckman.

Le premier devient le symbole du jeu collectif des Verts en étant le point d’ancrage de leur attaque au poste haut. Agile malgré son apparence de bourrin, son QI basket et sa qualité de passe en font un homme de base de l’équipe, surtout qu’en défense il ne laisse pas sa part au chien non plus. À ses côtés, Johnny Beckman est un mec déjà reconnu comme une star dans le monde de la balle orange, parmi les meilleurs scoreurs en activité. Il écume depuis dix piges toutes les ligues à porter de train. À son arrivée aux Original Celtics, il devient l’option offensive numéro un – rôle qu’il partage ensuite avec Nat Holman – tout en ayant l’intelligence de se fondre dans le moule collectif de l’équipe.

Cette équipe encore renforcée continue d’enchainer les victoires. Au printemps 1921, c’est une série face aux New York Whirlwinds qui doit définir qui est le patron de la balle orange à Big Apple. Mais elle symbolise avant tout les soucis causés par les mouvements incessants des joueurs d’une équipe à l’autre. Alors que la confrontation est à un partout, la rencontre décisive ne va finalement jamais se jouer. On avance plusieurs raisons – pas d’accord financier, peur d’émeutes… – mais l’une des principales causes serait l’arrivée future – et peut-être même en plein milieu de la série – de Nat Holman et Chris Leonard aux Original Celtics, en provenance… des Whirlwinds.

Si le second nommé – d’origine allemande – présente plutôt un profil de role player la faute à un tir peu fiable, il fait son trou grâce à sa défense qui lui vaut le surnom de “The Dog”. Bien qu’âgé en enfilant le maillot au trèfle – déjà 30 ans – il ne vient pas en préretraite. Il va poursuivre l’aventure celte pendant sept piges. Costaud en défense également, Nat Holman dispose d’une palette bien plus large qui font de lui un joueur complet. Toujours en mouvement pour offrir des solutions, capable de shooter mais aussi de faire tourner la balle, il a la réputation d’être un véritable gentleman. Il possède tout de même la dose de vice nécessaire pour être considéré comme l’un des précurseurs du flopping. La star de l’équipe, c’est lui.

Deux derniers ajouts majeurs au cours des années suivantes viennent compléter les bases solides posées pour une longue domination du basketball professionnel. Tout d’abord Joe Lapchick en 1923, un pivot en avance sur son temps. Bien sûr, il offre une présence physique – 1m96, ce qui est conséquent quand le basketball était plus une question de vitesse que de taille – pour contrôler l’entre-deux et le rebond, mais aussi une belle agilité, des qualités de passe et de tir qu’on ne trouve pas chez les autres centers des années vingt. Sur le papier, le complément est parfait pour remplacer le vieillissant Haggerty. Sauf que le jeune Lapchick – 23 ans – n’est pas habitué au jeu collectif des Original Celtics, ni à leur style défensif, si bien qu’il lui faut de longs mois pour s’adapter. Une fois cette période écoulée, le Tchécoslovaque d’origine s’affirme comme la pièce manquante du puzzle.

Puis Davey Banks débarque de Philadelphie – il brillait au sein des SPHAs, South Philadelphia Hebrew Association –  au milieu des twenties. Doté d’une condition physique irréprochable, il impose un marathon soir après soir à ses adversaires qui ne peuvent suivre son rythme. Si bien qu’il excelle en fin de match, quand tout le monde commence à baisser de pied. Son apport est avant tout offensif car il est le moins bon défenseur de la bande.

Chemin de fer et argent

Jusqu’en 1921, l’organisation du basketball professionnel frôle l’anarchie. Les règles diffèrent d’une ligue à une autre, les joueurs évoluent dans plusieurs équipes en fonction de l’offre la plus intéressante financièrement pour eux mais aussi des calendriers, si bien que les équipes elles-même ont du mal à s’y retrouver. On vous laisse donc imaginer les difficultés pour fidéliser un public dans de telles conditions. Si on ajoute à cela que les compétitions sont avant tout au niveau régional – un trajet Los Angeles New York demande un tantinet d’organisation – l’harmonisation du basketball pro sur l’ensemble du sol américain est un doux rêve, pour les ligues comme pour les équipes.

La question des trajets trouve une première réponse avec le développement du chemin de fer qui facilite les déplacements des joueurs. Mais aussi des fans car les transports en commun au sein des villes connaissent aussi de belles avancées dans la seconde moitié des années dix. D’ailleurs, les premières ligues avec un minimum de succès regroupent des équipes dont les villes sont desservies par le train, l’accessibilité primant sur la question de gros ou petit marché lors des premières décennies du basket, avec des salles construites au centre de la zone urbaine, à proximité des gares.

Si ces nouvelles infrastructures favorisent le développement du basket, elles font surtout grossir le porte-monnaie des joueurs. En effet, ces derniers se rendent vite compte qu’en multipliant les trajets pour jouer dans plusieurs équipes dans différentes ligues, ils peuvent toucher de plus nombreux cachets, match après match, tout au long de la semaine, en faisant monter les enchères auprès des propriétaires. Les joueurs des Celtics suivent cette tendance, jusqu’à une nouvelle révolution. Les proprios se sentent logiquement lésés par ce système, incapables d’être sûrs de la présence d’un joueur majeur puisqu’il peut très bien avoir reçu une offre plus alléchante ailleurs lors d’un soir de match.

Pour se faire une idée de la balance, Joe Lapchick – futur membre des Original Celtics – se souvient qu’il est passé de 10-15 dollars par rencontre en 1919 à 100 dollars environ au début des années vingt. En jouant une centaine de matchs par saison, son salaire non taxé était donc de 10 000 dollars annuels, à une époque où le revenu moyen des Américains avoisinait les 2 000 billets verts. Dans le même temps, un ticket pour assister à une rencontre tournait autour du dollar, pour des enceintes dépassant rarement les 2 000 places. Une bataille financière bien partie pour couler les propriétaires.

Les ligues tentent donc de mettre fin à cette surenchère, en interdisant par exemple aux équipes de signer des joueurs évoluant dans des ligues concurrentes et en synchronisant les calendriers afin de ne pas avoir des matchs de compétitions différentes le même soir. Les mesures ne fonctionnent pas plus que cela, les différentes ligues ne jouant pas forcément le jeu en privilégiant leur intérêt personnel plutôt que celui collectif.

Lassé de ces errements, Jim Furey tape du poing sur la table et sort le carnet de chèque pour mettre la pression à tout le monde, ligues comme joueurs. Afin d’éviter de voir ses cadres jouer sous d’autres couleurs, il leur propose désormais des contrats d’exclusivité à partir de 1921. Il est l’un des premiers managers à suivre cette voie. Deux conséquences en découlent. Tout d’abord, il faut rentabiliser un tel investissement, donc partir jouer toujours plus loin, toujours plus souvent. Mais aussi de façon plus inattendue, cela impacte positivement le niveau de jeu des siens. En restant tout le temps ensemble, ils développent une alchimie en tant qu’équipe et un style comme rarement un groupe de basketteurs avaient pu le faire jusque-là. Ils ne misent plus uniquement sur la défense mais également sur un jeu offensif collectif bien léché. Cet aspect leur permet de s’économiser en continuant d’écraser la concurrence. Un héritage que les futures grandes équipes de barnstorming vont savoir reprendre à leur sauce

En échange de ce salaire plus élevé, les Celtics se mettent d’accord pour ne plus porter d’autre maillot que celui arborant le trèfle. Un coup dur pour les ligues, car désormais les meilleurs joueurs sont chez les Original Celtics, donc à moins d’être celle où les C’s évoluent, la perte d’intérêt est immense. Surtout, l’argent aligné par Furey pour conserver ses stars dépasse ce que d’autres équipes sont prêtes ou capables de sortir, tandis que les autres joueurs, conscients de la situation, réclament toujours plus. Le chemin de la banqueroute est tout tracé et nous rappelle aujourd’hui une des causes des lock-out en NBA.

C’est ainsi que tour à tour en 1923, l’Eastern League (en début d’année) et la New York State League (en décembre) mettent la clef sous la porte, les dirigeants n’ayant réussi à convaincre les joueurs de revoir leurs émoluments à la baisse. Entre l’instauration des contrats exclusifs chez les Original Celtics et la fin de ces ligues, Furey et les siens ont tout de même réussi à empocher leur premier titre officiel en 1922 en remportant l’Eastern League face à Trenton, coup de tampon validant la construction de cet effectif.

L’effondrement de cette organisation du basketball professionnel n’est pas un frein aux ambitions des Original Celtics. Les ligues n’existent plus ou ne permettent plus de rapporter d’argent ? Qu’à cela ne tienne, Jim Furey et les siens accélèrent sur le barnstorming. Le blé est là selon le manager qui comme souvent réfléchit avant tout en termes d’impact financier. Et une fois de plus, le chemin de fer joue un rôle prépondérant en facilitant les opportunités de déplacement des Celtes pour se frotter à d’autres équipes accessibles en train.

À ce petit jeu-là, les hommes de Furey n’ont pas d’égal. Ils enchaînant les rencontres et les kilomètres. 205 matchs pour 193 victoires en 1922-23, le tout en attirant plus d’un million et demi de fans dans l’ensemble du Nord Est, dont 23 000 personnes à Cleveland lors d’une confrontation pour l’anniversaire de George Washington. Ils poursuivent sur leur lancée en 1923-24, s’assurant toujours plus de revenus en voyageant toujours plus, toujours plus loin (direction le Midwest). Puis en en 1924-25 en partant vers le Sud.

Ce succès donne des idées aux promoteurs et propriétaires de salles qui comptent profiter de la popularisation du basketball par les Original Celtics – ainsi que là encore du réseau ferré toujours plus développé – pour relancer un projet de ligue professionnelle plus grande, plus stable. L’American Basketball League voit ainsi le jour en 1925. Cette nouvelle concurrence pour les Celtics ainsi que des trajets plus coûteux en temps – besoin d’aller plus loin car l’ABL a interdit à ses équipes de se frotter aux C’s – réduisent le nombre de rencontres jouées par les hommes de Furey qui se contentent de 102 matchs en 1925-26.

La domination des Original Celtics en ABL cause leur perte

Dans un premier temps, les Original Celtics refusent de rejoindre l’American Basketball League. Tout d’abord car ils s’estiment capables de poursuivre leur business de leur côté, mais aussi parce que l’ABL ne compte pas être une ligue intégrée, excluant de facto les New York Rens, rivaux mais néanmoins proches des joueurs au trèfle.

Il nous est impensable de jouer dans une ligue qui refuse la participation d’une équipe comme les New York Renaissance. Nous préférons rester indépendants et pouvoir affronter n’importe quel adversaire, sans discrimination autre que leur niveau sportif – déclare Jim Furey.

C’est d’ailleurs suite à ce refus que l’ABL impose à ses équipes le boycott des Celtics, en guise de représailles. Mais devant la croissance de l’ABL et les retombées financières comme médiatiques possibles pour eux, les Original Celtics font machine arrière en 1926. Dans un premier temps en tant que Brooklyn Celtics, puis sous le nom de New York Celtics. Pour autant ils n’abandonnent pas les confrontations avec les Rens. Ils les affrontent encore régulièrement sur des dates libres de leur calendrier, dans des rencontres devenues des classiques qui ont permis le développement du basketball afro-américain.

Notons aussi qu’à ce moment de l’histoire des Celtes, Jim Furey perd de son importance. En effet, il se retrouve enfermé à Sing Sing pour trois ans pour avoir détourné de l’argent de sa boite, probablement pour payer une partie des salaires très élevés de ses joueurs. Si son incarcération est bien documentée, son lien avec les Celtics et la nouvelle situation entre le manager et l’équipe restent flous.

Lors de leur arrivée en ABL, ils prennent la place des Brooklyn Arcadians. Ceux-ci viennent de perdre leurs cinq premières rencontres de la saison. Leurs dirigeants ne souhaitent pas poursuivre le carnage sportif – et financier. Malgré ce retard de cinq défaites, les Celtics redressent la barre et finissent la première partie de la saison à la quatrième place de la ligue. Forts de cette remontée, ils plient la deuxième moitié de l’exercice pour se frotter au tenant du titre, les Cleveland Rosenblum. L’équipe de l’Ohio, bien qu’en difficulté sur cette seconde partie de saison, compte bien renverser la tendance. Il n’en est rien devant la force de frappe des Original Celtics. Les hommes au trèfle remportent les trois matchs de la série pour s’adjuger le trophée de 1927 en ABL, pour leur première saison au sein de cette ligue.

Logiquement, ils attaquent l’exercice suivant avec le statut de favoris, même si les autres équipes se renforcent en espérant lutter contre les joueurs au trèfle, en particulier Philadelphie et Cleveland. Personne en ABL n’imagine que ce premier succès est synonyme de domination outrageuse pour la suite de la compétition. Belle erreur. Malgré les difficultés financières des frères Furey qui se tournent vers le proprio du Madison Square Garden – Tex Rickards – pour reprendre la franchise ou encore le changement de format de la ligue – qui bascule d’une saison en deux partie à un découpage en deux divisions suivi de Playoffs avec les deux premiers de chaque poule – les Original Celtics déroulent leur basket.

Si cette supériorité attire les fans adverses – curieux de les voir en action mais aussi pleins d’espoir d’un exploit – lorsqu’ils évoluent loin de leur base, elle finit par lasser à New York, avec des affluences en baisse au MSG. Des questions sur le futur de la ligue mais aussi des hommes verts commencent à se poser au printemps, avant même l’arrivée des Playoffs qui leur sont promis. Cette perte d’intérêt provoquée par la mainmise des Original Celtics sur l’American Basketball League déplait et de nombreuses réunions sont au programme de l’été pour résoudre ce problème.

En attendant, l’équipe new-yorkaise réussit le back-to-back en s’imposant 3-1 en finale face à Fort Wayne. En deux saisons, ils ont remporté plus de 80% de leurs rencontres, terminant le travail quel que soit le format de Playoffs proposé. Avec un effectif sans point faible, composé des meilleurs joueurs de la ligue, mais surtout un jeu collectif au-dessus de tous leurs concurrents, les Celtics dérangent. Pour éviter le désastre financier, les dirigeants de l’ABL décident de dissoudre l’équipe en envoyant les joueurs dans les autres franchises pour plus d’équité sportive. Lapchick, Denhert et Barry atterrissent à Cleveland où ils enchaînent un troisième titre personnel en trois ans, confirmant d’une certaine façon la supériorité individuelle des Original Celtics.

Dans les années trente, les Celtics tentent plusieurs comebacks, au sein des ligues new-yorkaises, mais surtout en mode barnstorming. Mais entre le départ à la retraite de certains cadres, l’âge grandissant et l’usure physique des autres, la gloire passée n’est pas au rendez-vous, si bien qu’en 1941, les Original Celtics disparaissent définitivement.

La révolution par le jeu

Comment mesurer l’impact des Original Celtics sur le basket ? Bien entendu, il y a les trophées. Peu nombreux de façon brute, avec seulement trois titres. Mais ramenés au nombre de saisons pleines au sein d’une ligue professionnelle, on tape le sans faute. Ajoutons à cela la révolution contractuelle et l’intérêt lancé pour la balle orange au cours des tournées de l’équipe, et on commence à avoir un beau dossier en faveur des hommes au trèfle.

En dehors de cet apport sur le business et celui historique des trophées remportés, les Original Celtics marquent surtout leur époque par leur style de jeu. En conservant une ossature au sein de l’équipe pendant de longues années, ils développent une alchimie et un jeu de passe jamais vus auparavant. Sans forcément inventer des nouveaux schémas offensifs, les hommes de Furey perfectionnent des techniques connues : passe et va, les coupes au panier pour recevoir la balle de la part d’un joueur situé poste haut.

C’est souvent Dutch Dehnert qui se colle à cette position. Le pivot play qu’il érige au rang d’art est d’ailleurs la marque de fabrique des Celtics. Ils maîtrisent le move comme personne. À tel point que l’une des raisons de l’instauration des trois secondes dans la raquette – ainsi que son élargissement en ABL – est de mettre des bâtons dans les roues aux Celtes, même si Dehnert et son gros boule s’adaptent rapidement à ce changement de règle, rendant la tentative caduque.

Dutch est la plaque tournante des C’s grâce à sa qualité de passe et son QI basket. La gonfle arrive vite dans ses mains en tête de raquette tandis que ses coéquipiers savent les coupes vers le panier – domaine de prédilection de Nat Holman et Davey Banks – et les mouvements en périphérie à effectuer pour que celle-ci leur soit rendue parfaitement dans la course. Dans cette stratégie, un arrière – Ernie Reich ou Pete Barry – reste toujours en retrait pour servir de solution de repli.

En attaque, la balle doit bouger. Les dribbles sont limités pour gagner en fluidité et en vitesse, mais aussi car le résultat de l’impact de la balle sur le sol est aléatoire sur des terrains pas toujours réguliers. Cette dernière raison implique aussi de proscrire quasiment toutes les passes avec rebond. En gros, le système est simple : faire tourner la gonfle pour un maillot vert disponible, bouger constamment pour proposer des solutions.

À mesure que les saisons s’enchaînent avec le même noyau de joueurs, les transmissions s’accélèrent et ces échanges permanents en mouvement ravissent le public tout en offrant des paniers faciles aux Original Celtics pendant que leurs adversaires s’épuisent à essayer de suivre ce rythme pour récupérer la possession. Cette capacité à faire tourner la gonfle leur permet de gérer leur avance sans trop se fatiguer, en confisquant le ballon. Une stratégie classique de l’époque, surtout pour les équipes de barnstorming qui économisent ainsi leurs forces quand les rencontres se multiplient.

Avec un tel style de jeu pratiqué sur plusieurs saisons, l’entente sur le parquet grandit et facilite d’autant plus les relations techniques entre les joueurs. À ce sujet, Nat Holman raconte une anecdote lors d’une rencontre serrée entre les Original Celtics et le Washington Palace. Horse Haggerty, ancien joueur des C’s, évolue désormais à Washington. C’est lui qui doit remettre la balle en jeu au moment où Holman crie “Horse, ici”. Instinctivement, celui qui a été son ancien coéquipier lui refile le ballon et le filou score tranquillement sous le cercle. Malheureusement, aucune image ne peut confirmer ou réfuter les propos d’Holman, mais selon les observateurs de l’époque, l’histoire demeure parfaitement crédible tant les liens entre les Celtics sur le parquet étaient forts.

Si la circulation de balle et le mouvement en attaque sont la marque de fabrique des hommes de Jim Furey, le style qui a fait grandir leur réputation, ils ne se reposent pas uniquement sur le secteur offensif pour empiler les victoires. Bien au contraire, ils tirent une vraie fierté de l’autre côté du terrain à présenter là-aussi une cohésion collective pour poser les barbelés.

Très agressifs, les Original Celtics sont les premiers à mettre en place les switchs constants en défense. Pas d’adversaire attitré, mais chacun doit se charger du joueur le plus proche, peu importe de qui il s’agit, mêlant ainsi défense de zone et défense individuelle. Ce qui demande une grande capacité d’adaptation mais surtout beaucoup de rigueur. Un système défensif qui vaut d’ailleurs quelques difficultés d’adaptation au jeune Joe Lapchick lorsqu’il rejoint la maison verte. En maintenant une pression sur l’adversaire tout au long du match, ils finissent toujours par les pousser à la faute.

En outre, malgré leur supériorité technique ainsi que dans la maîtrise des fondamentaux, les joueurs au trèfle refusent de se laisser battre dans l’agressivité ou l’envie. Si bien que si le niveau d’intensité augmente, ils répondent présents, par le vice et les muscles. Entre les flops de Nat Holman pour abuser l’arbitre, les coups de chaud de Swede Grimstead ou Horse Haggerty se jetant dans la mêlée ainsi que la force de Dutch Dehnert ou Joe Lapchick, les Original Celtics ont des arguments pour toutes les situations, voire être ceux qui font vriller le match si nécessaire. Ce qui aboutit à des confrontations plus que tendues avec les Philadelphia Warriors, donnant naissance à l’une des premières grandes rivalités de la balle orange chez l’Oncle Sam. Cette animosité entre les clubs fait surtout écho à la concurrence entre les ballers de la Cité de l’Amour fraternel et ceux de Big Apple, les premiers recevant souvent moins de considérations que leurs homologues new-yorkais.

Pour pouvoir assurer ainsi des deux côtés du terrain, les Celtics n’ont pas d’autre choix que d’être au top physiquement. Certes, on ne parle pas de cyborgs comme on en croise actuellement en NBA avec un suivi athlétique et diététique aux petits oignons. Il parait même que Dutch Dehnert ne crache pas sur un petit verre après le match, mais aussi avant. Cependant les Celtes sont affutés pour l’époque. En même temps, comment enchaîner deux matchs consécutifs lors des double headers en étant hors de forme ? Attention, on ne parle pas de cinq heures de basket entrecoupés par des temps-morts ou des pubs. L’horloge des 24 secondes n’a pas encore vu le jour, ni l’arrêt du chrono – en dehors des dernières minutes d’une rencontre – ce qui raccourcit la durée du match. Celui-ci durait deux fois 20 minutes avec une pause de 10 minutes, le tout finit en une heure. Sans horloge donc, son rythme est moins élevé qu’aujourd’hui. Mais d’un autre côté, le terrain est bordé de filets – voire de cages – ce qui élimine les sorties de balles, donc les moments d’arrêts de jeu.

Dès 1959 – date de création du Hall of Fame, les Original Celtics ont été intronisés au panthéon du basketball, preuve de leur apport à ce sport. L’héritage laissé est immense, en termes de jeu, de business et de médiatisation. Ce sont eux qui ont façonné le basketball professionnel, des années avant l’arrivée de la BAA qui accouchera ensuite de la NBA. D’une certaine façon, ils ont assuré la transition de la préhistoire à l’histoire du basketball. D’ailleurs, certains membres des Original Celtics ont poursuivi ce travail une fois l’équipe dissoute. Nat Holman – accessoirement surnommé Mr. Basketball – en tant que coach au City College of New York, faisant du programme l’un des meilleurs du pays en passant le flambeau à Red Holzman qu’il côtoie là-bas. Joe Lapchick lui aussi va squatter les bancs, mais de la NBA en emmenant trois fois les Knicks en finale. Holman et Lapchick ont depuis été intronisés une nouvelle fois au Hall of Fame, de façon individuelle. Tout comme Johnny Beckman et Dutch Dehnert. Une preuve de plus, s’il en fallait, de la marque indélébile posée sur le basketball par cette équipe et ceux qui la composaient.

 

Source : The Originals de Murry Nelson


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