Toujours plus de tirs à 3-points en NBA, est-ce que ça va trop loin ?
Le 12 nov. 2024 à 16:58 par Nicolas Meichel
Depuis une bonne décennie et la révolution Stephen Curry, le tir à 3-points est devenu omniprésent dans le jeu NBA. Mais alors qu’on pensait avoir atteint certains extrêmes, les acteurs de la Grande Ligue ont décidé de repousser encore un peu plus les limites du tir primé en ce début de saison. Jamais, dans l’histoire NBA, le shoot extérieur n’a eu une place aussi prépondérante qu’aujourd’hui. Focus.
Toujours plus de 3-points en NBA, la preuve en stats
Encore plus que l’impression visuelle, les chiffres sont le meilleur moyen pour se rendre compte à quel point le shoot à 3-points domine le jeu NBA actuel, et pour illustrer la grosse augmentation des tirs primés ne serait-ce que par rapport à la saison dernière.
À l’échelle de la Ligue et des équipes
Moyenne de tirs à 3-points marqués et tentés par équipe et par match, au cours des 3 dernières saisons NBA :
- 2024-25 : 13,2 sur 37,1 (35,5% de réussite)
- 2023-24 : 12,8 sur 35,1 (36,6% de réussite)
- 2022-23 : 12,3 sur 34,2 (36,1% de réussite)
Pourcentage de 3-points tentés sur le total de tirs par match, au cours des 3 dernières saisons en NBA :
- 2024-25 : 41,9% (37,1 sur 88,6)
- 2023-24 : 39,5% (35,1 sur 88,9)
- 2022-23 : 38,7% (34,2 sur 88,3)
Tentatives à 3-points par match cette saison :
- 1er : Boston Celtics avec 51,3 (42,5 la saison dernière)
- 15e : Dallas Mavericks avec 36,5 (35,3 la saison dernière, c’était Indiana)
- 30e : New Orleans Pelicans avec 31,6 (31,2 la saison dernière, c’était Denver)
Paniers à 3-points marqués par match cette saison :
- 1er : Boston Celtics avec 18,5 (16,5 la saison dernière)
- 15e : Dallas Mavericks avec 12,7 (12,6 la saison dernière, c’était Minnesota)
- 30e : Portland Trail Blazers avec 10,1 (11 la saison dernière, c’était Orlando)
Pourcentage de 3-points tentés sur le total de tirs par match (cette saison) :
- 1er : Boston Celtics avec 56,2% (47,1% la saison dernière)
- 15e : Washington Wizards avec 41,7% (39,1% la saison dernière, c’était Charlotte)
- 30e : Toronto Raptors avec 34,9% (35,2% la saison dernière, c’était Denver)
Pourcentage des points marqués provenant des tirs à 3-points (cette saison) :
- 1er : Boston Celtics avec 46,3% (41% la saison dernière)
- 15e : Utah Jazz avec 33,7% (33,5% la saison dernière)
- 30e : Sacramento Kings avec 26,7% (29,9% la saison dernière, c’était Orlando)
Les chiffres ne mentent pas : le tir à 3-points n’a jamais eu une place aussi importante au sein des attaques NBA que cette saison. Les équipes de la Grande Ligue tentent en moyenne 37 shoots derrière l’arc par soir, un record. Cela représente 42% du total de shoots tentés dans un match (par équipe), là encore un chiffre qui n’avait jamais été atteint auparavant. Si certaines équipes font encore (un peu) de résistance, la tendance est assez claire.
On va en reparler plus précisément dans quelques lignes, mais cela saute aux yeux que les Boston Celtics représentent le fer de lance de cette évolution toujours plus marquée vers le shoot à 3-points. Le champion en titre domine quasiment toutes les catégories en matière de tirs primés : personne ne tente et ne marque plus de 3-points que les Celtics, ce qui signifie qu’aucune équipe NBA ne base autant son jeu offensif sur le shoot derrière l’arc. C’était déjà le cas l’an passé, mais Boston a décidé d’aller encore plus loin !
Nombre de joueurs qui tentent au moins 10 tirs à 3-points par match, au cours des 3 dernières saisons :
- 2024-25 : 4
- 2023-24 : 2
- 2022-23 : 2
Nombre de joueurs qui tentent au moins 8 tirs à 3-points par match, au cours des 3 dernières saisons :
- 2024-25 : 22
- 2023-24 : 10
- 2022-23 : 13
Nombre de joueurs qui tentent au moins 6 tirs à 3-points par match, au cours des 3 dernières saisons :
- 2024-25 : 52
- 2023-24 : 42
- 2022-23 : 42
Nombre de joueurs qui marquent minimum 4 tirs à 3-points par match, au cours des 3 dernières saisons :
- 2024-25 : 6
- 2023-24 : 2
- 2022-23 : 4
Globalement, les équipes NBA shootent plus que jamais à 3-points cette saison, et cela se voit forcément aussi à une échelle réduite, avec certains joueurs qui sont en train de changer leur jeu de façon assez radicale.
L’exemple le plus marquant est peut-être Anthony Edwards. La superstar des Wolves est passée de 6,7 tentatives de loin par match l’an passé à 11,8 cette année ! Ant-Man passe clairement plus de temps derrière la ligne à 3-points, ce qui a notamment fait chuter son nombre de lancers-francs (4,6 contre 6,4 l’an passé) étant donné qu’il attaque moins l’arceau.
Pour l’instant, cette évolution de son jeu offensif porte ses fruits car Edwards est le joueur le plus prolifique à 3-points de toute la NBA, avec 5,4 réussites par soir (45,8% de réussite !). Ant est tout simplement sur des bases à la Stephen Curry et en conséquence, son effective field goal percentage (efficacité au tir ajustée selon le fait qu’un tir à 3-points vaut plus qu’un tir à 2-points) explose en ce début de saison : 60,3% contre 52,2% l’an dernier.
D’autres exemples moins marquants mais tout aussi significatifs existent cette saison. On peut citer l’arrière star du Thunder Shai Gilgeous-Alexander, qui tournait à 7,2 tentatives à 3-points de moyenne sur les six premiers matchs de la saison contre 3,6 l’an passé. Oui, vous savez bien calculer, c’est carrément deux fois plus !
Depuis, SGA s’est calmé, se reposant plus souvent sur son habituel jeu mi-distance où il est tellement létal. Néanmoins, Shai prend quand même encore 5,5 tirs à 3-points sur ses 19,1 tentatives par soir. Contrairement à Edwards, cela fait pour l’instant baisser son efficacité offensive, lui qui ne tire qu’à 29,5% de loin pour 50% au global (35,3% derrière l’arc la saison dernière, 53,5% au pourcentage global). Autre conséquence, cela fait baisser – comme chez Ant-Man – son nombre de lancers-francs (8,7 l’an dernier, 7,9 cette année, ce dernier chiffre étant en plus boosté par les 16 lancers de SGA la nuit dernière contre les Clippers).
Enfin, impossible de ne pas citer le meneur star des Hornets LaMelo Ball, qui est tout simplement le joueur qui tire le plus à 3-points cette saison avec pas moins de… 13 tentatives par soir. Il shootait déjà beaucoup de loin (environ 10 tirs primés de moyenne ces deux dernières saisons) mais là il est en roue libre. Avec 37% de réussite derrière l’arc, LaMelo explose sa moyenne de points marqués (29,4 cette année contre 23,9 et 23,3 ces deux dernières années).
Autres cas analysés à la loupe :
Sources stats : Basket-Reference, NBA.com, ESPN, StatMuse
Les Boston Celtics, champion NBA et… experts en mathématiques
Comme vous pouvez le voir dans les statistiques exposées ci-dessus, les Boston Celtics sont l’équipe NBA qui repousse le plus les limites concernant l’utilisation du tir à 3-points. L’arrivée du coach Joe Mazzulla à la place d’Ime Udoka en 2022 a été synonyme d’une hausse significative en matière de 3-points tentés, les C’s passant de 37 tentatives par match à 50 en l’espace de même pas trois ans. Le recrutement de Kristaps Porzingis et Jrue Holiday à l’intersaison 2023 a été un élément clé dans le développement du “Joe Mazzulla Ball”.
Le Joe Mazzulla Ball repose sur le concept du “5-out”, qui consiste à attaquer avec cinq joueurs capables d’espacer au maximum le terrain, pivot compris. L’an passé, avec Porzingis, Holiday, Jayson Tatum, Jaylen Brown et Derrick White dans le cinq, les Celtics ont fait vivre un cauchemar à la majorité des défenses adverses, souvent dépassées par le spacing, le mouvement du ballon et l’adresse de Boston. Les Verts ont terminé la saison 2023-24 avec la meilleure efficacité offensive de l’histoire (123,2 points pour 100 possessions) !
Alors bien sûr, l’attaque des Celtics n’est pas uniquement basée sur le tir à 3-points, mais il est central dans tout ce qu’ils font. L’objectif pour Joe Mazzulla avant chaque match : gagner la bataille mathématique face à l’adversaire.
“J’adore les 3-points, j’adore les maths, j’adore les 3-points ouverts, j’adore les espaces. C’est l’une de nos principales forces. On doit s’assurer d’obtenir le meilleur shoot à chaque possession, et peu importe si ça rentre ou pas, c’est un bon shoot.” – Joe Mazzulla
Un tir à 3-points vaut plus qu’un tir à 2-points (sans blague), et plus vous prenez de tirs à 3-points, plus vous avez de chances de gagner un match de basket. Voici la philosophie de Joe Mazzulla. On caricature volontairement, mais c’est comme ça que le coach des C’s aborde chaque rencontre.
Il fut un temps en NBA où on disait (coucou Phil Jackson) qu’une équipe de shooteurs ne pouvait pas gagner le titre NBA. Aujourd’hui, les Celtics sont champions en titre tout en étant l’équipe qui shoote le plus à 3-points.
Comme souvent dans la Grande Ligue, ce qui marche est imité. La NBA est une “copy-cat league” où on suit la tendance qui a fait ses preuves. Quand les Warriors version Stephen Curry ont commencé à martyriser leurs adversaires à base de banderilles de loin, c’est la Ligue tout entière qui a connu une révolution avec le tir à 3-points. Quand les Rockets de Daryl Morey – Mike D’Antoni – James Harden ont tenté de maximiser leur efficacité offensive (tirs à 3-points, lancers-francs, lay-ups/dunks) pour contrer ces mêmes Warriors, tout ça en se basant plus que n’importe qui sur les stats avancées, ils ont en même temps inspiré d’autres franchises. Aujourd’hui, ce sont les Celtics qui influencent le reste de la NBA. Une NBA qui est le résultat d’une évolution sur dix ans comprenant les Warriors, les Rockets et donc Boston.
Plus que jamais, la Ligue dans sa globalité valorise le spacing et l’efficacité offensive, ce qui a fait du “5-out” l’un des styles de jeu les plus caractéristiques de la NBA actuelle. Beaucoup d’équipes jouent de plus en plus de cette manière, certaines – comme les Knicks avec le recrutement de l’intérieur shooteur Karl-Anthony Towns cet été – n’hésitant pas à bouleverser leur effectif pour espérer rivaliser avec le champion de Boston. Les Wolves d’Anthony Edwards ont eux révolutionné leur jeu offensif, tentant 49% de leurs shoots derrière l’arc (38,4% l’an passé). Et les Suns – désormais coachés par Mike Budenholzer – ont enfin compris l’importance du tir primé (48% de tirs derrière l’arc, 37,8% l’an passé).
Le 3-points à outrance, bonne ou mauvaise chose pour la NBA ?
Vous l’avez compris, le tir à 3-points n’a jamais été aussi important en NBA qu’aujourd’hui. Les joueurs qui ne savent pas du tout shooter sont de plus en plus rares, tout simplement car ces gars-là ont souvent leur place… sur le banc, à moins qu’ils n’apportent un skill ou une polyvalence élite à une équipe, ou si cette dernière est construite d’une façon à ce que le non-shooteur soit entouré de joueurs capables d’écarter le terrain pour garder un certain équilibre au niveau du spacing. Rarement – en tout cas – vous allez voir une équipe avec deux non-shooteurs sur le terrain en même temps.
Plus haut dans l’article, on a cité plusieurs exemples de joueurs qui ont décidé de tirer beaucoup plus à 3-points cette saison, comme Anthony Edwards, LaMelo Ball, Jayson Tatum et Shai Gilgeous-Alexander. Mais ce constat ne vaut pas uniquement pour les extérieurs, ça vaut aussi pour les joueurs intérieurs. Le pivot du Heat Bam Adebayo est passé de 0,6 tentative de loin à 2,4 (quatre fois plus !), l’intérieur de Phoenix Jusuf Nurkic est passé de 1,2 à 2,9, et Robert Williams III a presque tenté autant de tirs à 3-points en deux matchs cette saison (2) que lors de tout le reste de sa carrière (4).
Si voir des intérieurs shooter à 3-points n’est évidemment pas nouveau, on a aujourd’hui des pivots qui étaient habitués à rester dans ou autour de la raquette s’écarter pour tirer de loin. Jamais, il y a encore quelques années, on aurait pu imaginer Time Lord tenter sa chance derrière l’arc, et encore moins faire ficelle.
Even Time Lord is shooting 3s now https://t.co/1do18aoYR4
— Kevin O'Connor (@KevinOConnorNBA) November 9, 2024
Du tir à 3-points à outrance, des pivots qui shootent de plus en plus, du spacing partout, bienvenue dans la NBA version 2025.
L’importance qu’a pris le tir à 3-points dans la Grande Ligue a clairement forcé certains joueurs à sortir de leur zone de confort, dans le but d’étendre leur jeu offensif pour gagner en productivité ou tout simplement pour survivre. La NBA n’a jamais été autant skilled en matière de shooting. Les attaques n’ont jamais été aussi difficiles à défendre au vu du nombre grandissant de menaces extérieurs en NBA, et du spacing que cela peut créer.
Néanmoins, cette avancée dans le shoot à 3-points ne fait pas le bonheur de tout le monde. Bien au contraire. Certains – comme Shaquille O’Neal par exemple – n’hésitent pas à blâmer l’évolution du tir primé pour expliquer la baisse des audiences NBA en ce début de saison.
Shaq believes NBA viewership is down because everyone wants to shoot threes
(🎥 @bigpodwithshaq / https://t.co/FRGChSptKO) pic.twitter.com/RDwog4gtAx
— NBACentral (@TheDunkCentral) November 7, 2024
“Les audiences baissent car on regarde tous la même chose. Tout le monde fait les mêmes actions. […] Stephen Curry et tous ces gars ont bousillé le jeu. Cela ne me dérangeait pas de voir Golden State shooter autant à 3-points à l’époque, mais toutes les équipes ne sont pas des équipes de 3-points, alors pourquoi tout le monde a la même stratégie ? Cela rend le jeu ennuyant.”
On sait que Shaq parle beaucoup, mais ce n’est clairement pas la chose la plus stupide qu’il a pu dire.
“Jeu ennuyant”, “manque de variété dans le jeu”, “tout le monde joue pareil”, “les équipes n’ont plus d’identité”… On entend beaucoup ce genre de refrain depuis le début de saison, que ce soit de la part des Hexperts mais surtout de la part d’un certain nombre de fans. Ces conclusions sont un peu simplistes mais pas dénuées de vérité pour autant.
Oui, pour un fan lambda qui ne va pas forcément remarquer les nuances du jeu, un match NBA ressemble souvent plus à un concours de tirs à 3-points qu’à une vraie rencontre de basket. Certains aspects du jeu sont en voie de disparition à cause de la place prépondérante qu’a pris le tir à 3-points. On pense au jeu au poste, qui n’existe plus beaucoup sauf chez certains pivots élite (bonjour Nikola Jokic) injouables à l’intérieur. Le tir mi-distance – considéré comme le moins rentable en NBA – est presque banni chez certaines équipes, sauf pour les champions de la discipline tels que Kevin Durant, DeMar DeRozan et Cie. Pire encore, certains des joueurs les plus athlétiques de la NBA attaquent moins le panier, et réalisent donc moins d’actions spectaculaires, pour privilégier le shoot à 3-points. Anthony Edwards en est le meilleur exemple en ce début de saison.
Si les raisons qui expliquent la baisse des audiences dépassent le cadre du tir à 3-points, on peut comprendre pourquoi certains fans sont frustrés de voir Ant-Man enchaîner les tirs de loin plutôt que d’aller postériser un gros pivot en face. Et ça c’est un problème pour la NBA. Dans la course effrénée à l’efficacité offensive, c’est le basket dans son ensemble qui perd un peu de sa saveur, ce qui représente forcément un danger pour la Grande Ligue.
“Si vos consommateurs vous disent que votre produit est en train de se détériorer, même si le talent est de plus en plus élevé, alors vous devez vous ajuster. Selon moi, on n’est pas très loin de la crise existentielle pour la NBA.
Les joueurs, les coachs, les dirigeants, ils ont tous compris qu’un 3-points vaut BEAUCOUP plus qu’un 2-points. La façon la plus intelligente de jouer, c’est ce que font les Celtics. C’est la meilleure stratégie. Mais dans le même temps, c’est horrible visuellement parlant.
La Ligue doit changer les règles, car elle joue à un jeu dangereux, très dangereux.” – Nick Wright, FOX Sports
La NBA doit-elle intervenir directement pour essayer de limiter la place que prend le tir à 3-points dans le jeu NBA ? Doit-elle laisser naturellement les tendances se créent puis s’atténuer ?
Pour Nick Wright, qu’on vient de citer, c’est clairement la première option qui doit être choisie, tout simplement car le tir à 3-points n’est pas prêt de s’estomper, au contraire. Comme solution potentielle, Wright fait notamment référence à la proposition de l’analyste de The Ringer Kirk Goldsberry, qui avait proposé – dès 2019 – de retracer l’arc pour limiter fortement les 3-points dans le corner, qui sont de loin le shoot le plus rentable et recherché en NBA (il vaut 3-points à seulement 6m71 dans les corners, 7m24 ailleurs). Goldsberry avait aussi proposé de reculer tout simplement la ligne à 3-points, ou carrément d’autoriser les goaltending sur les shoots derrière l’arc.
Is it time to redraw the 3-point line? Get rid of the corner 3? https://t.co/t0TCaa3E08 pic.twitter.com/ZXzl9Is5Qv
— Kirk Goldsberry (@kirkgoldsberry) April 30, 2019
Tout au long de son existence, les règles du basket – et notamment du basket NBA – ont évolué pour en faire un sport excitant et passionnant à suivre. La Grande Ligue se retrouve aujourd’hui face à une nouvelle problématique. Va-t-elle s’ajuster pour réguler l’importance prise par le tir à 3-points dans le jeu actuel ? Et si oui, comment ?