Adrian Wojnarowski : l’homme qui a changé la NBA sans en fouler les parquets
Le 19 sept. 2024 à 17:26 par Thibault Mairesse
Adrian Wojnarowski. Voilà un nom qui est bien connu de tous les observateurs du monde de la NBA. Plus qu’un simple insider, un véritable artisan d’une révolution au sein la Grande Ligue. Sans jamais en avoir foulé les parquets, le Woj a changé notre manière de consommer et de percevoir la NBA.
Le monde avant Adrian Wojnarowski
Avant Adrian Wojnarowski, la breaking news n’existait pas ou du moins pas comme on la connaît aujourd’hui. Les émulsions du 1er juillet pour savoir où le gros agent libre va signer n’existaient pas non plus.
Dans les années 90 et 2000, certaines informations passaient par les communiqués ou les conférences de presse des équipes. Michael Jordan qui part à la retraite en 1993 ? Ce n’est pas un insider qui l’a annoncé, mais bien MJ tout seul, comme un grand.
Autre moyen d’informations, les émissions dédiées comme ce qu’on peut voir sur ESPN, mais le temps qu’elles soient préparées, l’information était déjà traitée et chacun des analystes émettait son avis pouvant biaiser celui des téléspectateurs. La Woj Bomb “Charles Barkley rejoint les Houston Rockets pour former un duo avec Hakeem Olajuwon” n’a jamais existé, et pourtant elle aurait bien fait parler.
Dernier moyen de communication, et là on vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître (ni les moins de 30 voire les moins de 40) : les fax et les magazines. La télévision donnait une information déjà traitée en omettant certains détails jugés inutiles tandis que pour les communiqués de presse, il fallait avoir les moyens de se les procurer.
Sortis bien plus tard, les fax et les magazines permettaient d’obtenir toutes les informations concernant un transfert ou une signature avec notamment les conditions salariales, mais elles mettaient plus de temps pour arriver. Souvent, elles n’intéressaient pas non plus le spectateur lambda, les débats sur “X ou Y est-il surpayé ?” n’existaient pas à l’époque. Pourtant aujourd’hui, ils sont centraux. La “faute” à un seul homme : Adrian Wojnarowski.
Adrian Wojnarowski : la menace à abattre
Avant que le Woj ne secoue le monde de l’information, la télévision avait les pleins pouvoirs. Les chaînes décidaient quelles étaient les infos les plus pertinentes et surtout comment les présenter aux téléspectateurs. Jusqu’à la fin des années 2000, où un certain Adrian Wojnarowski sorti de nulle part, employé chez Yahoo Sports, commence à diffuser des informations au nez et à la barbe des plus grandes chaînes.
Il aurait pu être ignoré, mais le bonhomme est fiable et même trop fiable pour certaines chaînes, à commencer par ESPN. L’entreprise voit la vague Wojnarowski arriver et décide de lui mettre le grapin dessus avant qu’il ne leur fasse sérieusement de l’ombre.
De ses débuts jusqu’à la fin de sa carrière, le Woj est resté le même homme : un journaliste sportif sans foi, ni loi. Pour lui, l’info prime avant tout. S’il doit “s’attaquer” à LeBron James pour informer alors il le fera. Cette logique lui a d’ailleurs longtemps valu le surnom de LeBron Hater. Quand il voit ESPN débarquer avec ses grands sabots, l’insider voit le piège arriver. Il sait que s’il signe, c’est la fin de sa liberté.
Il refuse la proposition. Dans son coin, il continue d’informer et on le remercie. Sans lui, on n’aurait certainement jamais su que les Clippers avaient (presque) séquestré Deandre Jordan chez lui pour qu’il reste dans la Cité des Anges et qu’il ne parte pas à Dallas.
So far, Clippers able to keep everyone else out of house, including Cuban, agents. Everyone. They’re in four-corners until midnight Eastern.
— Adrian Wojnarowski (@wojespn) July 9, 2015
Plus le Woj prend de l’ampleur, plus les chaînes de télévision perdent de la vitesse. Si on veut une info, on se tourne vers l’insider. Plus personne ne s’embête à attendre une émission dédiée pour avoir une analyse, parfois bidon, d’une situation.
En 2017, c’est la goutte de trop pour ESPN. La chaîne toque à nouveau à la porte d’Adrian Wojnarowski avec une offre à hauteur de plusieurs millions de dollars. Le Woj accepte, il sait qu’il a gagné.
Maintenant, c’est lui le boss.
Il peut désormais se tourner vers son nouvel objectif : révolutionner notre manière de consommer la NBA.
La NBA selon Adrian Wojnarowski
Les réseaux sociaux au cœur de la Grande Ligue
Quand le Woj signe chez ESPN, il ne s’adapte pas au média, c’est ESPN qui s’adapte à Adrian Wojnarowski. L’insider continue de se servir de son téléphone comme d’une véritable arme. S’il n’a pas forcément participé à attirer une nouvelle audience comme un Stephen Curry a pu le faire, il a été le premier à comprendre le pouvoir des réseaux sociaux.
L’une de ses premières bombes recensées, c’est le transfert avorté de Chris Paul aux Lakers. Un tweet suffit. À l’époque, 140 caractères valaient plus que 1 000 mots. Le principal de l’information est clair. David Stern bloque le transfert de Chris Paul. Le message sous-entendu l’est tout autant : la NBA cherche à maintenir la compétitivité de sa Ligue.
NBA owners have pushed commissioner David Stern to kill the deal sending Chris Paul to the Los Angeles Lakers, sources tell Y! Sports.
— Adrian Wojnarowski (@wojespn) December 9, 2011
Pourquoi s’embêter à manger des dizaines minutes d’un show télévisé alors qu’un tweet fait le même travail ? Pourquoi avoir besoin d’une émission alors que le Woj tweete simplement : LeBron James n’active pas sa player option pour mettre la pression sur Miami ? L’essentiel est là, le travail est bien fait et les fans délaissent la télévision pour se tourner vers le compte Twitter d’Adrian Wojnarowski.
La NBA se vit sur Twitter
Est-ce qu’il est réellement abusé de dire que la NBA se suit autant sur X que sur le League Pass ? Demandez à Harrison Barnes ce qu’il en pense, lui qui a été transféré aux Kings en plein milieu d’un match qu’il jouait face aux Hornets. Une victime malencontreuse d’une Woj Bomb comme il y en a eu des dizaines.
Suivre la NBA avec un œil sur son téléphone et un œil sur le jeu, c’est limite jouer le choix de la sécurité.
Parfois, Twitter devient l’acteur majeur de certains événements. Le soir de la trade deadline, quels sont ceux qui suivent une émission télé au lieu de regarder le live de TrashTalk suivre attentivement le déroulé des événements au fil des tweets du Woj ou du Shams ? Car oui, Woj a développé le rôle des réseaux sociaux au point d’en faire une composante essentielle de l’éco-système de la NBA.
Adrian Wojnarowski a créé une véritable effervescence et un déferlement de joie ou de haine parmi les fans uniquement grâce à un tweet. Kevin Durant qui part chez l’ennemi des Warriors ? KD devient le Snake, l’ennemi à abattre. DeMarcus Cousins prend le minimum vétéran pour aller chercher une bague facile (lol) à Golden State ? C’est encore un coup du Woj. Le terme ring chaser découle quasiment de cette signature de DMC. Adrian Wojnarowski serait donc à l’origine de certains mots courants du vocabulaire de la NBA à l’image d’Eminem quand il a créé le mot Stan.
Cousins will sign a one-year, $5.3M deal with Warriors, league source tells ESPN. https://t.co/LaTLH3oOTB
— Adrian Wojnarowski (@wojespn) July 3, 2018
Malgré ces flots de haine, de pleurs ou de rires, le Woj a surtout réussir à unir les fans à travers le monde derrière une passion commune. À lui seul, il a certainement eu plus d’influence que bon nombre de médias.
Mieux encore, Adrian Wojnarowski s’est rendu indispensable aux yeux des fans. Un exemple simple. Été 2019, Kawhi Leonard est agent libre. The Klaw fait durer le suspense pendant qu’il se fait suivre en hélicoptère pour savoir où il va signer. Les jours passent, l’attente devient insoutenable. Soudain, la libération nous vient d’Adrian Wojnarowski. “Quoi ? Kawhi part aux Clippers. Quoi ? Il ramène, en plus Paul George”.
Free agent forward Kawhi Leonard has informed runners-up teams of his plans: He’s signing with the Clippers, league sources tell ESPN.
— Adrian Wojnarowski (@wojespn) July 6, 2019
Une star au-dessus des superstars
Malheureusement (ou heureusement, c’est selon), Adrian Wojnarowski n’est pas parfait. Son principal défaut ? Sa soif d’informer, ce qui pourrait presque être un comble. À trop vouloir en faire, il lui arrive de faire passer le plaisir des fans au second plan. Le meilleur exemple reste la Draft.
Avant le Woj, on était collé à notre téléviseur pour savoir si oui ou non LeBron James allait être le premier choix de la Draft 2003. Désormais, ce n’est plus possible. Tous les choix sont annoncés par le Woj ou Shams plusieurs minutes avant leur officialisation par Adam Silver.
Autre défaut du Woj ou plutôt une aptitude qui pourrait agacer : sa capacité à hyper les fans pour rien. Pour cela, il s’est créé tout un vocabulaire pour faire monter la mayonnaise entre un joueur et une franchise. Voir un tweet de Woj “Jimmy Butler se serait entiché d’un intérêt soudain pour les Brooklyn Nets” à l’approche de la Free Agency ne serait pas surprenant alors qu’au final, il n’y aura rien.
Si Adrian Wojnarowski est le chouchou des fans, ça l’est aussi pour les joueurs. Avoir sa Woj Bomb, c’est le symbole d’être un joueur important. Le trade de James Harden à Brooklyn, c’est l’insider d’ESPN qui l’annonce. Par contre, il n’a clairement pas annoncé la signature de Jerome Robinson aux Warriors en 2022 (en même temps, on s’en fout complet).
Le Woj a marqué les esprits, il suffit de voir la réaction d’Isaac Okoro, fier d’avoir été The Last Woj Bomb.
Last Woj Bomb 🤷🏾♂️ #LetEmKnow
— IsaacOkoro (@isaacokoro303) September 18, 2024
Et maintenant ?
Comment vivre sans le Woj ?
Ce titre peut sembler un peu fort et pourtant. Qui ne s’est pas dit “Purée, comment on va être tenu informé sans le Woj ?” ou “Qui est ce qui va le remplacer ?”. Si ça, ce n’est pas le symbole de l’impact du bonhomme, on ne sait plus quoi vous dire.
Adrian Wojnarowski s’en va, mais pas sans laisser de successeur derrière lui. Il est le père spirituel de toute une génération d’insider. Est-ce qu’il y aurait Shams Charania sans Adrian Wojnarowski ? Certainement pas. Il faut dire qu’à l’époque où il bossait chez Yahoo Sport, le Woj a été le mentor du Shams tel Shanks avec Luffy.
Grâce à lui, l’information n’a jamais été aussi rapide et fiable. Il est très rare qu’une information sortie par Adrian Wojnarowski ne soit pas exacte et pour ESPN, il va falloir trouver quelqu’un capable de le remplacer. La chaîne œuvre déjà à répondre à cette question et souhaiterait justement que Shams Charania prenne le relais de son père spirituel.
Le vide laissé par le Woj à l’origine de dérives
La question du successeur d’Adrian Wojnarowski peut être à l’origine de plusieurs dérives. Plusieurs insiders vont chercher à être le prochain Woj. Cette course à l’information peut donner lieu à une vague de fake news sans précédent. Plus que jamais, soyez vigilants à ce que vous voyez sur les réseaux sociaux.
Surtout que Woj a ouvert la porte à l’indépendance. Il est possible que certaines personnes aient appris le lien entre l’insider et ESPN uniquement lors de la retraite du livreur de bomb préféré de votre livreur de bombs préféré. Cela montre bien qu’au sein du monde de la NBA, le Woj a un impact plus grand qu’ESPN. Il a ouvert la voie de l’inside en totale indépendance ou presque. C’est un modèle qui peut fonctionner. Prenons exemple sur le foot où Fabrizio Romano est l’insider numéro 1 alors qu’il travaille en indé.
Peut-être que le prochain Adrian Wojnarowski sera, comme lui, un homme ou une femme qui va émerger sans foi ni loi, et qui va renverser totalement les méthodes de communication traditionnels. Par quels moyens ? On ne sait pas encore. Peut-être que le Woj le sait et préfère se retirer maintenant avant de devoir lutter contre la vague intrépide de la jeune génération…