Interview TrashTalk x Clément Fernandes et Eva Marsac : le duo derrière les chaussures Tarmak !
Le 06 juil. 2023 à 17:30 par Arthur Baudin
À l’occasion de la sortie de la collection « NBA MID-3 » par Tarmak, TrashTalk a rencontré Clément Fernandes et Eva Marsac, deux profils implantés au cœur du renouveau de la marque de basketball de Decathlon. Discussion.
Qui êtes-vous ?
Clément Fernandes [designer] : Ça fait cinq ans et demi que je suis chez Tarmak. À la base je n’étais pas spécialement designer chaussures, je faisais ce qu’on appelle du « design industriel », c’était très large. Avant d’arriver chez Tarmak, j’ai fait un stage dans une entreprise de sneakers en Italie, haut de gamme, et très inspirée de l’univers du basket. Quand je suis entré chez Decathlon, là je suis vraiment entré dans le domaine du sport et de la performance, alors qu’avant j’étais uniquement axé sur le style. J’ai découvert tout l’univers de la chaussure de basket. C’est pour moi l’un des produits les plus intéressants à dessiner. Il y a une très forte valeur de style, et une très forte valeur technique, c’est cet équilibre qui fait que c’est passionnant. Il n’y a pas énormément de sports où, dans les deux domaines, tu peux pousser le curseur aussi loin.
Eva Marsac [ingénieure] : J’ai commencé ma carrière chez Tarmak, par un stage : j’ai fait une école d’ingénieure spécialisée dans les matériaux textiles. J’ai eu un stage à faire et j’ai passé six mois chez Tarmak. J’y ai ensuite signé un CDD puis un CDI. Du textile, j’ai évolué vers la chaussure. C’est une bascule que j’avais envie de faire depuis le départ. Comme Clément le dit, c’est un produit super technique et très important pour les athlètes. Il y a énormément de matériaux différents, des défis sur la conception et puis ça pose des problématiques sur le corps humain qui rendent la création d’une chaussure de basketball hyper intéressante. Ça fait maintenant 4 ans que je suis spécialisée dans la conception des chaussures et je m’éclate dans chaque nouveau projet.
Dans le processus de création d’une chaussure, à quel moment collaborez-vous ?
Clément : Moi je trouve qu’il n’y a pas vraiment de moment, car c’est très collaboratif. Il y a des périodes où l’on va avancer chacun de notre côté, mais c’est assez court généralement. On est très interdépendants.
Eva Marsac : C’est un travail en binôme. Même si en ingénierie, on peut donner un cadre – avec toutes les études en recherche et développement qui ont été faites – et le designer doit les prendre en compte au moment de créer son design. Mais sinon ouai, c’est hyper collaboratif.
Quelles sont les nouveautés de la collection “NBA MID-3” ?
Eva : On a travaillé surtout les aspects de confort, maintien du pied et développement durable. Sur la tige, on a privilégié l’ « apport de maintien » pour bien se sentir en sécurité et le confort d’accueil avec des mousses plus épaisses et plus denses.
Après sur le côté développement durable, le design de la semelle est identique à celle de la deuxième version, par contre on a changé les matériaux : on a un EVA biosourcé, un caoutchouc recyclé. Donc on a bossé sur la semelle, tout en gardant les propriétés de dynamisme. C’était le cœur du projet. On a aussi travaillé la résistance et la durabilité de la chaussure, car on sait que l’usage outdoor se développe de plus en plus.
Clément : Alors sur le design, je vais rendre à César ce qui appartient à César… c’est pas moi qui ai bossé dessus. Mais je peux en parler. L’idée de cette chaussure, par rapport aux deux premières qui sont sorties, c’est d’avoir un côté – dans le bon sens du terme – un petit peu plus “rétro” que les autres. Elle va être hyper rassurante visuellement. Et tout ce côté confort dont Eva a parlé, va se ressentir sur le design, très exacerbé dans les volumes, avec des composants mis au goût du jour. Hyper réconfortant et rassurant.
C’est frustrant Clément, de devoir adapter son design aux recommandations de l’ingénieure ?
Clément : Ça peut arriver sur des détails techniques, mais généralement non. La performance est censée nous inspirer. Rien ne doit être gratuit dans les produits : bien sûr de temps en temps, on se fait kiffer avec des petits détails qui n’ont pas forcément d’utilité technique. Mais à Tarmak, on essaie de faire en sorte que tout soit au service de la technique. Je dis n’importe quoi, mais si on veut parler d’un rebond, moi je vais le traduire dans une semelle avec une texture et une géométrie qui mettent en valeur cette technicité. La technique et la performance sont une inspiration plus qu’une contrainte.
Eva Marsac : C’est pour ça qu’on travaille en collaboration. Tous les aspects design doivent avoir une fonction sur le produit, donc on essaie au maximum d’y parvenir. Toutes les choses ont un coût, toutes les choses ont un impact environnemental aussi – on y est particulièrement sensibilisé dans nos conceptions Tarmak – donc rien n’est posé au hasard. C’est ce qu’on appelle du design fonctionnel. Après les chaussures de basket sont, dans les codes, des chaussures bien chargées. On peut se faire des petits kifs, mais on essaie au maximum de lier performance, design et empreinte environnementale.
50/50 entre la performance et le design ?
Clément : Ces questions sont vraiment intégrées dans les briefs au lancement d’un projet. On sait qu’on ne peut pas faire 100% performance et 0% style, surtout sur une chaussure de basket où le premier critère de choix est « Elle est belle ou elle n’est pas belle ». Aussi primaire que cela puisse paraitre, c’est le critère qui ressort tout de suite chez les clients. On pourra jamais dire uniquement performance, ou uniquement style : dans les deux cas ce serait raté.
Du point zéro jusqu’à la mise en rayon : combien de temps prend la création d’une chaussure ?
Eva : Deux ans. On a 18 mois de conception, et puis après c’est du temps de production et de livraison, car nos productions sont principalement basées en Asie.
À titre personnel, êtes-vous des consommateurs de NBA ?
Clément : Je pense qu’on va avoir des réponses très différentes *rires*.
Eva : Moi je suis joueuse de basket, j’ai beaucoup beaucoup joué quand j’étais plus jeune, mais par contre non je ne regarde pas la NBA. Pas en dehors des réseaux. Je ne me qualifierais pas comme une grosse consommatrice.
Tu jouais où ?
Eva : Là j’ai arrêté mais j’étais en centre de formation au Nantes Rezé Basket, j’ai joué à Limoges en Ligue 2 et puis…
Clément : Elle oublie de dire qu’elle est trop forte hein.
…
Clément : Moi c’est tout l’inverse *rires*. Je ne suis pas du tout basketteur. À la base, je fais du ski et du foot. Mais par contre j’ai la culture des produits de basket, et depuis que je suis Tarmak, je suis pas mal la NBA. Je regarde les Playoffs, je connais les gros joueurs, je sais ce qui s’est passé avec Ja Morant…
Vous êtes très complémentaires.
Clément : Ouai carrément.
Et du coup Eva, tu joues avec les chaussures que tu développes ?
Eva : Bah oui bien sûr, et en plus j’ai de la chance car je fais la taille de base. Celle autour de laquelle on développe la chaussure. Donc j’essaie les prototypes qu’on reçoit. Après, mes sensations ne sont pas celles de tout le monde, je ne me fie pas uniquement à ce que je ressens pour concevoir. Mais oui, bien sûr que je joue avec nos produits.
Ça doit être un pur kif.
Eva : À fond ! Le dernier modèle qu’on a fait avec Clément, qui ne sortira pas tout de suite, j’ai qu’une hâte c’est de jouer avec ce midi. Ça va être la première fois que je vais les essayer.
Avant, la marque n’étais pas super sexy. Et maintenant, la perception du basketteur lambda vis-à-vis de Tarmak a complètement changé.
Clément : Là pour le coup je vais séparer un peu le style de la technique. Les deux ont énormément progressé. La technique a forcément progressé, dans le sens où à chaque nouveau modèle, on apprend des choses. Des connaissances qu’on calque sur le modèle suivant. Les technologies évoluent. Et en termes de style, on s’amuse de plus en plus. La NBA nous a ouvert des portes. Au début on s’est même un peu fermé les portes nous-mêmes. En termes de couleur notamment, car on a voulu être très respectueux envers la culture NBA, l’héritage tout ça, les franchises. On était très premier degré. Puis en interne, on nous a demandé de nous lâcher un peu plus. De nous amuser sur les couleurs. Maintenant, on part un peu plus dans tous les sens. Le produit proposé au public est plus sexy.
Eva : Ça fonctionne oui. Et je pense qu’avec ce projet, on a montré qu’on pouvait vendre des paires très techniques à des joueurs experts, et on a réussi à toucher une nouvelle clientèle, plus jeune notamment. En interne, les équipes se sont données les moyens. Tout le monde a pris le projet à bras-le-corps. Que ce soit en production comme en conception. Les équipes commerciales aussi, ça a été un gros boulot de marque. On a appris beaucoup de choses, et puis on en a encore sous le pied *rires*.
Aujourd’hui, vous avez des joueurs professionnels qui portent vos chaussures ?
Eva : Il y a une équipe Jeux olympiques qui est constituée au sein de Decathlon. Il y a donc une connexion qui se fait avec ces athlètes “JO”. Isaia Cordinier du Virtus Bologne en Italie, fait partie de ce groupe, on travaille un modèle directement avec lui. Plus globalement, on fait tester tous nos modèles à des athlètes. Pas essentiellement des pros, mais aussi des joueurs et joueuses de N2 ou N3.
Clément : Travailler avec des pros nous apporte une autre expérience, d’autres éléments qu’on n’a pas avec des basketteurs amateurs. Mais on ne fait pas forcément de chaussures pour les athlètes de haut niveau mais qui vont plaire et seront adaptées pour plein de joueurs en fonction du style de jeu ou du poste. C’est une ambition supplémentaire, mais ce n’est pas notre target.
Donc l’ambition première, c’est le grand public ?
Clément : Si on arrive à toucher des basketteurs pros, y’a pas de souci. Mais ce n’est pas notre volonté de concevoir POUR eux. Notre but est, on va dire, un peu plus démocratique. Voué au plus grand monde. Maintenant, dans le plus grand monde, on intègre aussi des athlètes.
Eva : On veut de plus en plus travailler avec des athlètes de haut niveau. Isaia [Cordinier] est précis dans ses retours. C’est quelqu’un qui verbalise hyper bien. Et ça nous aide beaucoup, c’est intéressant et exigeant. C’est aussi cela qui nous tire vers le haut, donc y’a une vraie volonté de plus en plus travailler avec ce genre d’athlètes. Mais comme disait Clément, il faut que ça reste accessible à tous.
Et y’a ce petit fantasme de voir un jour sa création fouler un parquet NBA ?
Clément : Bien sûr, ça va arriver.
Eva : Forcément, c’est dans la tête de tous.
Clément, en tant que designer, si tu avais un budget illimité, à quoi ressemblerait ta paire de chaussures ?
Clément : Roah… bah vous êtes pas prêts je pense. Je dois te le décrire à l’oral ?
Ouai vas-y, si t’y as déjà pensé hein !
Clément : Bien sûr qu’on y a déjà pensé. L’année dernière, on a fait un exercice de vision dans lequel on a créé deux modèles de chaussures, un peu futuristes, avec des concepts techniques et de style, censés nous inspirer pour les années à venir. Après, on peut encore aller plus loin. Si je devais décrire ma chaussure au budget illimité… déjà y’a pas de lacets. Parce que les lacets ça sert à rien. C’est une chaussure qui se lace toute seule avec un composant qui vient se former autour de ton pied, comme si c’était Venom. Avec une semelle qui s’adapte à la morphologie de ton pied. Tout serait adapté à tes muscles, à ta force et à ton style : un peu une chaussure caméléon Venom.
J’imagine que ce sont des modèles que tu n’as pas le droit de nous transmettre, tes prototypes d’essai ?
Clément : Exactement *rires*.
Et toi Eva ?
Eva : Pour ma part, pas une énorme chaussure. Assez fine, légère et au niveau du design, je préfère les trucs sobres. C’est plutôt le feeling de se sentir bien en jambes avec les chaussures qui me plaît. Tu sais qu’elle est là, tu te sens en sécurité, tu peux faire des appuis forts et aller driver sans glisser. C’est sur ce feeling global.
Clément, à quel point l’identité des franchises NBA t’inspire-t-elle dans les dessins des collections Tarmak ?
Clément : Alors… ça dépend. On ne va pas se mentir, il y a des franchises qui sont beaucoup plus inspirantes que d’autres. Certaines sont un véritable challenge. D’autres, au contraire, nous permettent de nous amuser. Le Heat est dans cette dernière catégorie. On peut vraiment faire plein de choses. La chaussure Warriors par contre, est bien plus difficile à rendre sexy avec les couleurs de Golden State.
C’est vrai que quand t’y pen…
Clément : Mais on a réussi ! On a réussi. Comme je te disais tout à l’heure, avant on était timides et un peu humbles. On ne voulait pas trop toucher aux franchises et à leurs identités installées. Et au fur et à mesure, sur des franchises comme les Bulls, on commence à aller creuser dans les archives et on trouve des trucs hyper inspirants qui nous aident à sortir du rouge et noir un peu basiques. En allant creuser dans l’historique culturel d’une franchise NBA, c’est possible de trouver de petites private jokes bien précises pour en faire un rendu cool.
Et les joueurs ?
Clément : Non, les joueurs, on n’a pas le droit. La plupart sont sous contrat avec d’autres équipementiers. Pour te donner un exemple, si avec la paire Lakers, je veux citer un titre de championnat, je n’ai pas le droit : je dois tous les citer. Si pour les Bulls, j’inscris une année spécifique, bah tu sais que t’es en train de parler de Jordan. Donc t’as pas le droit. Si tu mets une certaine année pour les Lakers, tu sais que tu vas parler de Shaq ou Kobe, donc ce n’est pas possible. Malheureusement.
C’est une grosse contrainte ça ?
Clément : Boarf non, ce serait cool, mais ça reste un point de détail.
Eva : Je pense même que ça travaille ta créativité Clément, pour parler d’une franchise différemment.
Clément : Clairement.
Comment définir la patte Tarmak en 2023 ?
Eva : C’est l’audace des équipes Tarmak, de tout le monde. Y’a de la passion. Beaucoup de personnes interviennent sur ce modèle.
Clément : On kiffe beaucoup au quotidien.
Merci à vous deux ! Bon courage dans vos futures conceptions.
Si vous souhaitez retrouver, observer, analyser, envoyer à un ami et vous la jouer française jusqu’au bout, voici un lien vers la nouvelle gamme des Tarmak NBA MID-3, résultat du travail d’Eva Marsac et du second designer de l’équipe Tarmak.