Black History Month : Clarence Gaines, le symbole du basketball au sein des établissements traditionnellement noirs
Le 26 févr. 2023 à 10:46 par David Carroz
Clarence Gaines aka Big House. Rarement un entraîneur n’a symbolisé un programme basket universitaire – celui de Winston-Salem – avec une telle importance. S’il a marqué l’histoire de la balle orange et de sa communauté au point d’être intronisé au Hall of Fame en 1982, rien ne lui promettait un tel destin, hors norme comme son physique.
Mec ! La seule chose que j’ai vue plus grande que toi est une maison !
Voilà comment Clarence Gaines hérite de son surnom Big House lorsqu’il est accueilli à Morgan State. Simple gamin qui débarque à la fac pour poursuivre le rêve d’éducation de ses parents, ses mensurations (1m92, 120 kilos) sont déjà celles d’un homme. Et ne sont pas pour rien dans son arrivée dans cette HBCU (Historically Black Colleges and Universities, universités traditionnellement noires) du Maryland, loin de Paducah, sa petite ville natale du Kentucky. En effet, son gabarit lui a ouvert la porte des équipes de sport du lycée – en particulier le foot américain et du basket.
S’il se considère comme un baller moyen qui s’en sort grâce à son physique, son niveau en tant que bloqueur au foot US ainsi que ses bons résultats scolaires lui permettent d’obtenir une bourse d’étude dans plusieurs HBCU : Lincoln University, Howard University et Morgan State College. C’est dans cette dernière que Clarence Gaines débarque en 1941, car elle offre un cursus médical en phase avec son aspiration, devenir dentiste.
Sauf qu’une fois diplômé, il se rend compte que l’argent mis de côté ne lui permet pas de payer l’inscription dans l’école dentaire. Alors qu’il réfléchit à ses possibilités, deux coups de pouce vont changer sa vie. Tout d’abord un ancien élève de Morgan State, Coach Wilson – en charge du sport à la Winston-Salem Teachers School – lui propose de devenir son adjoint. Direction donc la Caroline du Nord, avec comme seul objectif de gagner suffisamment d’argent pour payer la suite de ses études.
Si Gaines s’acquitte de ses tâches, le taf – et la paie – ne le fait pas rêver. Il poursuit juste car il a donné sa parole, attendant la fin d’année. Les équipes ne sont pas très reluisantes : le campus de 500 élèves est majoritairement composé de filles, les garçons présents sont ceux qui n’ont pas été enrôlés par l’armée. Pas les meilleurs athlètes. Et lorsque la fac montre la sortie au duo Wilson-Gaines – la direction les pense de mèche avec des étudiants qui font grève pour avoir une meilleure bouffe à la cantine – Big House retourne à ses réflexions pour trouver un job qui lui permettra de financer son école dentaire.
Deuxième coup de pouce. Winston-Salem le rappelle en 1946. Sans successeur à Coach Wilson, la fac offre le poste d’entraîneur principal à Clarence, 23 piges, sans expérience autre que celle d’adjoint. Et qui ne maîtrise que le football américain. Malgré ses doutes, Gaines arrive à la conclusion suivante : autant se jeter à l’eau en voyant où cela le mène. Tout en mettant un peu d’argent de côté. Il ne le sait pas encore, mais il ne reprendra jamais ses études. À la place, il va s’inscrire dans l’histoire du basketball.
Pourtant, ce sport est loin d’avoir sa priorité et il se sent tout d’abord largué. Il gère sans souci la saison de football américain, mais il ne sait pas toujours comment s’adresser à ses ballers. Il apprend sur le tas. En particulier auprès d’un homme. John McLendon, coach de la fac voisine de North Carolina College for Negroes, qui attaque sa révolution de la balle orange en donnant plus de vitesse à ce sport. Un lien fort se crée entre les deux hommes qui sillonnent les routes ensemble pour recruter des joueurs. Dans le même temps, Big House se rend compte qu’il ne peut pas gérer toutes les disciplines de front. Il décide de se contenter du basketball car il a moins de joueurs à enrôler que pour le football américain.
Malgré un budget restreint, Clarence Gaines fait progresser le programme basket de Winston-Salem. À mesure que l’équipe propose de meilleurs bilans, ses anciens élèves complètent son réseau de recrutement, au point de lui proposer deux pépites qui accélèrent la renommée de Big House : Cleo Hill en 1957 puis Earl Monroe en 1963. Deux joueurs qui propulsent logiquement Winston-Salem sur le devant de la scène en permettant à la fac de faire grossir son armoire à trophées : en 1967, dans le sillage de Earl the Pearl, les Rams – surnom de l’équipe – remportent le titre NCAA de division II, une première pour une HBCU. Le point d’orgue de la carrière de Clarence Gaines.
Par la suite, le recrutement devient de plus en plus difficile. La décision Brown vs Board en 1954 ouvre les universités blanches aux étudiants afro-américain. En 1966, c’est le titre des Texas Miners – avec un cinq majeur composé uniquement d’Afro-américain – qui pousse ces facs à aller encore plus chercher des athlètes dans le vivier de cette communauté. Le discours de Clarence Gaines autour du fait qu’un gamin va avant tout sortir avec un diplôme, passer de l’adolescence à l’âge adulte et s’offrir un avenir dans la vie active avec le basketball comme simple moyen éducatif n’attire plus. Il ne peut pas lutter à armes égales. Le programme s’en ressent. Pire, en 1985 l’arrivée d’un nouveau président au sein de la fac aboutit à une coupe importante du budget consacré au sport.
À partir de ce moment-là, Big House qui a déjà ramené huit titres CIAA (conférence réservée aux établissements pour Afro-américains) se voit gentiment mais sûrement poussé vers la sortie. Jusqu’à sa retraite en 1993, 47 ans après sa prise de pouvoir. Avec 828 victoires (pour 447 défaites) au compteur, soit le meilleur total pour un coach Afro-américain (et le second à l’époque derrière Adolph Rupp).
Des chiffres hallucinants, mais souvent passés sous silence car réalisés dans une HBCU, loin des spotlights de la division I NCAA. Des chiffres également qui ne racontent qu’une partie de l’histoire, car plus que jouer au basket, ce qu’offrait Clarence Big House Gaines et Winston-Salem, c’était un avenir pour des jeunes Afro-américains laissés sur le bord de la route sans grandes perspectives.
Source : They Call Me Big House de Clarence Gaines