L’interception de Frédéric Forte sur Toni Kukoc, un geste dans l’histoire du basket français
Le 27 janv. 2023 à 18:36 par Avana Rakotoson
Le 15 avril 1993, le regretté Frédéric Forte réalisait un geste défensif qui allait rentrer dans l’histoire du basketball français, et même de tout le sport tricolore. Son interception décisive sur Toni Kukoc offrait aux sports collectifs de l’Hexagone le tout premier titre continental majeur de leur Histoire. Retour sur ce moment mémorable.
Il est des victoires qui marquent l’Histoire. Celle du Limoges CSP lors de la finale de la Ligue des Champions d’Europe de basketball (l’ancêtre de l’EuroLeague) à Athènes face aux Italiens du Bennetton Trévise, menés par la légende croate Toni Kukoc, en est une. Quelques semaines avant d’être rejoints par l’Olympique de Marseille, le Cercle Saint-Pierre devient, en ce jour d’avril 1993, le tout premier club français à remporter un titre continental majeur dans un sport collectif.
La présence des Limougeauds dans ce match pour le titre est déjà un exploit, eux qui ont notamment fait tomber en chemin le Real Madrid de l’autre grand joueur européen de l’époque, le Lituanien Arvydas Sabonis. Mais c’est cette victoire en finale qui les fera rentrer dans la grande histoire du sport de l’Hexagone. À jamais les – vrais – premiers.
Dans ces succès historiques, il n’est pas rare qu’il y ait des gestes qui, des années après, demeurent encore dans la mémoire collective comme des symboles forts, des moments marquants de ces heures de gloire. La plupart du temps, on retient une action offensive spectaculaire, un gros tir rentré, de préférence à un moment bien avancé de la rencontre, quand le score est serré et la tension à son paroxysme.
Pour Limoges, c’est sans aucun doute cette interception de Frédéric Forte sur Toni Kukoc pour sceller le titre dans les ultimes secondes de la confrontation qui restera dans les souvenirs. Malheureusement parti trop tôt en 2017 à seulement 47 ans, le meneur limougeaud est éternel dans la légende du basketball et du sport tricolore, et plus encore dans celle de son club, dont il deviendra coach puis président après de sa carrière de joueur.
Le maillot floqué du numéro 4 de Frédéric Forte rejoint ceux d’Ed Murphy et de Richard Dacoury en haut de Beaublanc. pic.twitter.com/PUyIpV6gE2
— Matthieu Marot (@MatthieuMarot7) February 1, 2020
Récit de l’action. À soixante-douze secondes du buzzer final dans l’enceinte athénienne, Limoges mène 55-52. Oui, nous sommes bien dans le quatrième quart-temps. Comme dirait l’autre, c’est une autre époque, un autre basket. Kukoc remonte le ballon. Il faut bien comprendre qui est le numéro 7 du Bennetton à cette époque-là. À 24 ans, le Croate est sans doute le meilleur joueur au monde hors NBA.
Un talent rare balle orange en mains que cette légende du YouTube basket game français saura vous décrire mieux que personne. Autant vous dire qu’à cet instant du match, Limoges is in trouble comme l’Angola contre la Dream Team. Le maestro choisit le un-contre-un, et c’est Jure Zdovc, le meneur slovène du CSP, qui passe à la casserole. Trois-points pour les Italiens, 55 partout, il reste une minute, balle aux Limougeauds.
Sur la possession suivante, Frédéric Forte va s’illustrer une première fois, mais pas tout à fait pour les bonnes raison. Celui qui est alors un jeune meneur de 23 ans, en train de faire son trou en club et en sélection, tente de servir Jim Bilba dans la raquette, mais envoie une affreuse saucisse qui sort des limites du terrain. Par chance pour les joueurs du coach serbe Bozidar Maljkovic, Bilba est victime d’une faute de… Kukoc, ce qui lui offre deux passages sur la ligne. L’intérieur guadeloupéen, par ailleurs auteur d’une grande finale, rentre ses deux lancers. 57-55 pour Limoges. Il reste quarante secondes à jouer, la suite appartient à l’Histoire.
Trévise remonte le ballon par l’intermédiaire de, vous l’aurez deviné, Toni Kukoc. C’est à nouveau Zdovc qui défend sur lui. Bien decidé à cuisiner une nouvelle fois la défense limousine, celui qui rejoindra la NBA et les Chicago Bulls l’été suivant appelle un écran. Les Limougeauds switchent, et c’est Forte qui se retrouve face au génie croate. Le numéro 4 du CSP n’est pas le plus petit meneur qui soit. Du haut de son mètre 92, il est plus grand par exemple que Tony Parker ou Thomas Heurtel. Problème, Kukoc n’est pas grand que par le talent. Avec ses 2,11m, il domine de près d’une vingtaine de centimètres à son vis-à-vis français. La mismatch est réelle.
Pourtant, le regretté Fred saura compenser son déficite de taille par une remarquable intelligence défensive. Alors que Toni le génie tente de s’élever pour planter une nouvelle banderille de loin, Forte parvient à faire gicler le ballon des mains du natif de Split (Croatie), et contre-attaque. La défense trévisane revient, mais les Limougeauds ne paniquent pas et font circuler la balle. Faute des Italiens sur Zdovc. Le Slovène fait 2/2 sur la ligne, 59-55, il reste onze secondes.
La fin de match semble interminable, entre les ratés aux lancers de Terry Teagle pour Trévise puis de Michael Young côté CSP. Mais après une ultime brique à 3-points de Iacopini, Patrick Montel et André Garcia – aux commentaires pour France 2 – peuvent exulter derrière leurs micros, les coéquipiers de Richard Dacoury sont champions d’Europe.
Le moment charnière de ce money-time restera cet incroyable geste défensif de Frédéric Forte à moins de 20 secondes du terme. Car si le futur MVP du Final Four avait marqué à ce moment-là, Trévise aurait pris la tête au tableau d’affichage. Au lieu de cela, l’intervention du natif de Caen débouchera sur une action qui permettra aux Limougeauds de reléguer leur adversaire à plus d’une possession. Si l’Ohio a “The Block”, alors on pourrait dire que le Limousin a “The Steal”. Plus qu’une action défensive de grande classe dans un moment crucial d’une finale, cette interception restera comme un geste décisif pour obtenir un trophée historique.
Trois décennies plus tard, l’héritage de ce premier sacre continental est énorme pour le sport tricolore. Merci aux Limougeauds d’avoir ouvert la voie, et surtout merci à leur vaillant numéro 4 pour son sang-froid et sa maîtrise défensive dans un moment clé. Pour ce que ce moment de légende a apporté au sport français, merci à vous M. Forte, et reposez en paix.
Sources : YouTube, CSP Limoges