Draft NBA : comment rebondit un joueur quand il n’a pas été appelé ?

Le 21 juin 2022 à 16:22 par Arthur Baudin

Draft
Source image : montage TrashTalk via YouTube

Non Sebastiano, lâche cette teille de Bacardí et file à l’entraînement. Tu n’as pas été drafté ? Et alors, ton monde s’effondre-t-il ? Qui a dit que des années de travail découlait forcément un résultat immédiat ? Même si la déception est grande, tu as encore tant à accomplir Sebastiano. Et puis 1m74 pour 59 kilos aussi, c’était franchement culotté.

Qu’est-ce qui arrive quand on n’est pas drafté ? Eh bah on ne joue pas en NBA. Hop, fin du papier, pensez à laisser un commentaire et à nous suivre sur tous les réseaux.

C’eût été un peu simple. Dans quatre jours aura lieu la 76e draft NBA. Cet évènement annuel permet à 60 prospects d’intégrer la National Basketball Association en passant par la grande porte. Développé de la sorte, la phrase fait un peu reportage France Télé, mais c’est juste histoire de bien contextualiser. Que se passe-t-il quand un joueur déclaré candidat pour la draft – ou automatiquement éligible, s’il est dans sa 22ème année – n’est pas sélectionné par l’une des 30 franchises NBA ? Son aventure s’arrête-t-elle aux portes de son rêve ? Est-il automatiquement inscrit dans la newsletter de Gravelines Dunkerque et Cholet Basket ? Doit-il faire une croix sur les moulures du Madison Square Garden ? Un parcours sportif n’est heureusement pas linéaire à ce point. Toutes les portes fonctionnent, il suffit d’en trouver la clé (cette phrase n’est pas d’Albus Dumbledore).

Signataire d’un contrat alternatif

Les joueurs NBA non draftés sont un peu ce scénario à l’américaine, faussement inscrit en sens commun du parcours d’un basketteur. Il est rarissime que d’un « toc toc toc » à la petite porte découle une grande carrière. Par « grande carrière », on n’entend pas forcément « qui se termine sur l’estrade du Hall of Fame », mais qui pose au moins ses fesses en NBA sur plusieurs saisons, avec un vrai rôle au sein d’une franchise. Des exemples ? John Starks, Bruce Bowen, Ben Wallace, Connie Hawkins, Brad Miller, Udonis Haslem et Fred VanVleet, pour les plus glorieux d’entre eux. Mais s’il fallait monter un top 15 des meilleurs joueurs non draftés de l’histoire, Wesley Matthews en serait. Le joueur est très chouette, mais loin du haut de panel auquel l’expression « top 15 » peut faire penser. Eh oui, dans toute l’histoire de la NBA, seuls six non draftés ont déjà participé à un All-Star Game : Connie Hawkins, John Starks, Brad Miller, Ben Wallace et Fred VanVleet. Toujours les mêmes blazes repris en boucle, qui illustrent ainsi l’essentialité d’une sélection à la draft dans le succès d’un joueur.

Mais nous ne sommes pas là pour expliquer qu’un joueur non drafté n’a aucune chance de réussir. Une fois qu’Adam Silver et Mark Tatum ont appelé les noms des 60 petits génies de leur génération, certaines franchises prennent directement contact avec des joueurs restés sur le carreau. C’est ce qu’ont fait les Lakers à l’été 2021 en proposant deux « two-way contracts » à Joel Ayayi et Austin Reaves. Résultat de ce move, Austin Reaves a réalisé une pure saison rookie avec des moyennes de 7.3 points à 46% au tir dont 32% du parking, 3.2 rebonds et 1.8 assist. Pour Joel Ayayi – fierté du drapeau – l’histoire est un peu différente. Selon Chad Ford de NBA Big Board, les Lakers ont signé le Français seulement quelques secondes après l’appel du 60e et dernier choix par Mark Tatum. Comment expliquer cette instantanéité ? Passé le 40e choix, son agent aurait activement travaillé à le faire sortir/éjecter de la draft en se montrant plus dur dans les négociations avec les franchises. Eh oui, les Lakers avaient déjà envoyé leur offre de two-way contract à Joel pendant le second tour. Intéressé par la possibilité d’évoluer au sein d’un effectif « appauvri », Mister Ayayi a ainsi fait une croix sur la draft pour tenter de s’imposer à Los Angeles, avec le – très difficile à porter – statut de non drafté. Manque de bol pour lui, un mois plus tard, Russell Westbrook signe aux Lakers.

AUSTIN REAVES FOR THE WIN 🚨 pic.twitter.com/Pf4ZGldcUG

— NBA TV (@NBATV) December 16, 2021

Entrer en NBA par la voie d’un contrat alternatif, c’est adopter une mentalité différente de celle des gars déjà en place. On porte les uniformes NBA, la franchise nous donne accès aux installations, mais le sol menace de se dérober à chaque instant. Il suffit d’un mauvais entraînement couplé à un deal en interne, pour que les dirigeants vous pointent du doigt comme un gros morceau de barbaque : « Sinon lui, on peut le dégager non ? ». Oui, lui, ils peuvent le dégager. Il est donc primordial d’arriver couteau entre les dents pour afficher ses qualités avec régularité et ainsi aller chercher une place dans l’effectif qui, dans le meilleur des cas, se traduit par un contrat garanti. Parmi les plus remarquables exemples de « step by step », le fraîchement titré Gary Payton II, débarqué en NBA par un trou de souris. En 2016, il n’est pas drafté et Daryl Morey lui propose un contrat de trois ans partiellement garanti à Houston. Mais le mois d’octobre qui suit – et après seulement six matchs de présaison – The Glove Jr. est déjà remercié par la franchise texane. Le 2 avril 2017, il signe un contrat de plusieurs années – là encore partiellement garanti – à Milwaukee. Mais les Bucks le coupent sept mois plus tard, avant de le resigner sous two-way contract, puis de le recouper dans la foulée. Lueur d’espoir, il signe un two-way contract avec les Lakers, n’est pas conservé, signe un nouveau deal à Portland, est coupé, puis tire enfin la bonne ficelle à Washington. Un simple contrat de dix jours lui permettra d’en dégoter un second, cette fois jusqu’à la fin de saison. Ses performances n’étant pas encore grandioses, il passera en G League pour y gagner le titre ainsi qu’un joli trophée de DPOY. Sa réputation est faite. Trois ans plus tard, il est champion NBA avec un rôle clé dans l’effectif des Warriors.

Le décollage fut laborieux, mais le vol est si doux.

GP2 having fun with fans 😂 pic.twitter.com/pN0nuoNCRL

— 95.7 The Game (@957thegame) June 20, 2022

L’Europe, ce n’est pas si nul…

Qui au collège, ne s’est jamais extirpé des heures d’étude pour filer au CDI ? Une belle époque, malgré la sauvagerie dont pouvaient faire preuve certains ados. Parole de rédacteur, une fois un gars a mis la pastille bleue des urinoirs dans sa bouche pour « prouver sa puissance ». Bref, si en plus de s’extirper des heures d’étude pour filer au CDI, certains le faisaient pour aller jouer à « Europeo » sur l’ordinateur, c’est que l’on s’adresse à une certaine élite. Quel lien avec le papier ? En sortie de NCAA, beaucoup de joueurs – une grande majorité – ne jurent que par le basket cainri. Ils n’ont rien connu d’autre. Pour beaucoup, traverser l’Atlantique n’est même pas une option, alors qu’en réalité, c’est la seule dont ils disposent. Les férus du championnat de France connaissent le malaise que ce décalage peut produire à l’arrivée d’un petit nouveau en Europe (le lien avec Europeo, donc). On n’est plus en 2004 hein, la plupart des joueurs s’intègrent parfaitement et – surpris par le répondant des équipes – se prennent au jeu. Mais il y a encore des milliers de contre-exemples. On se souvient d’Isaiah Cousins, un renfort de Cholet Basket, parti sans prévenir avant la fin de saison. « Il a même menti à l’un de ses partenaires, histoire que celui-ci l’emmène à l’aéroport » confiait Philippe Hervé, alors coach de l’équipe. Cette petite anecdote pour illustrer que filer en Europe n’est pas gage de réussite dans la culture NCAA. Il y a de l’argent à se faire, c’est bien, mais l’on s’éloigne géographiquement de la NBA.

Ed Cota

Ed Cota ? Il a été quatre saisons durant – de 1996 à 2000 – l’un des meilleurs meneurs de l’histoire de North Carolina. L’université n’a remporté aucun titre sous son égide, mais les stats à la 10 points pour autant de passes décisives ont fait de lui le grand maestro de son époque : 3e meilleur passeur de l’histoire de la NCAA, et 1er de North Carolina. Que retiendra-t-on de lui en NBA ? Walou. Par manque de garanties sur son profil – 1m83 pour moins de 90 kilos – aucune franchise NBA n’a pas pris le risque de le drafter. En 2003 et 2004, il est double champion de Lituanie avec le Zalgiris Kaunas, puis remporte l’EuroLeague en 2005 avec le Dynamo Saint-Pétersbourg. Un vrai joueur de basket au joli palmarès, mais dont le nom restera tu par les prochaines générations. Un autre exemple est le cas de John Linehan. Professionnel exemplaire, surnommé « le Virus », il est considéré comme l’un des meilleurs défenseurs universitaire de l’histoire. La raison ? Un record all-time de 385 interceptions en NCAA, avec un match à onze steals. En 2002, à la question « Quel a été le meilleur défenseur que vous ayez rencontré ? », Kobe Bryant a répondu : « Ça va peut-être vous faire rire, mais c’est un gars qui s’appelle John Linehan ». Et pourtant, double champion de France avec Cholet Basket et le SLUC Nancy, ce meneur d’1m75 n’a jamais eu le droit de fouler un parquet NBA. Peut-être l’a-t-il mal vécu, mais son investissement – partout où il est passé en Europe – laissait à penser le contraire.

… Mais ça passe mieux après un peu de G League

À la différence des two-way contracts proposés par les franchises NBA, le contact ne s’établit pas instantanément entre les joueurs non draftés et les clubs européens. Dans la triste hypothèse où il n’est pas retenu jeudi soir, même si Yoan Makoundou écoute probablement les propositions des clubs français, son objectif reste la NBA. Et c’est un peu pareil pour tous ceux qui ont grandi dans le système de performance actuel, et qui ont du mal à envisager autre chose que la Grande Ligue ou son antichambre (G League). Pour la plupart, il leur faudra encore un peu de temps avant d’accepter de s’éloigner géographiquement des radars de la NBA. Par exemple, John Linehan est resté deux ans en G League avant de rejoindre le Paris Basket Racing. Encore dans la fleur de l’âge, on ne privilégie pas forcément l’histoire du CSP Limoges aux opportunités qu’offre une « sous-franchise ». Est-ce dommageable ? Boarf, à chacun son rêve. Les gosses des années 70 juraient davantage par l’EuroLeague. Aujourd’hui, la NBA prend la lumière.

Undrafted out of Marquette in 2015, a stop in the NBA G League and now NBA CHAMPION in Year 3… Juan Toscano-Anderson! #NBA75 pic.twitter.com/o2zW5nX1Ip

— NBA (@NBA) June 17, 2022

Dans un peu plus de 48h, Adam Silver et Mark Tatum changeront à jamais la vie de 60 jeunes adultes. Dans l’ombre de ces petits chanceux, d’autres prospects vont chercher à rebondir après une immense désillusion. Vous connaissez désormais la formule.