Nouveaux entraîneurs, et nouvelles méthodes : quand la NBA laisse place aux “players coachs” afin de caresser les stars

Le 28 juin 2021 à 15:26 par Bastien Fontanieu

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Source image : montage YouTube

Si le grand manège des entraîneurs fait actuellement son petit tour annuel en NBA, valsant les coachs disponibles ou indisponibles à droite et à gauche, une tendance récente se cimente dans une ligue en constante évolution. En effet, au sein d’une ère du plein players empowerment, les stratèges d’avant ne sont plus autant les bienvenus aujourd’hui. Et les profils d’antan n’ont plus la même cote. Entre changement de méthodes, de visages, et d’approches du job d’entraîneur, zoom sur un virage du poste de coach qui s’apparente de plus en plus à celui d’un as du team building plutôt qu’à celui d’un pro du stratégique sur demi-terrain. 

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Depuis des années – que dire, des décennies – l’image de l’entraîneur de basket auprès du grand public ressemble généralement à celle de Bobby Knight, le légendaire coach des Hoosiers dans l’Indiana. C’est un coach typique que l’on voit, aussi, dans les films claqués diffusés sur RTL9 le jeudi soir. Ces navets que l’on peut associer au football américain, avec un quarterback qui bat tous les pronostics en devenant la star de son lycée et qui chope la darling de la région au bal de sa promo. Ce coach ? C’est souvent un daron, blanc, d’une cinquantaine d’années, cheveux en pagaille et bide à bière, qui transpire autant qu’il hurle et a une vengeance à assouvir envers la vie. C’est un taulier, le roi du tough love, qui a certainement fait son service militaire (voire la guerre dans certains cas) et peut avoir un problème de santé ou d’alcoolémie, au choix et sans faire de cours de socio. On schématise, on grossit le trait, mais vous avez l’idée. Si quelques exceptions peuvent changer la donne de quelques centimètres (Coach Carter), l’image stéréotypique reste la même : un coach de basket, et de sport américain d’une manière générale, est un gueulard dans l’image qu’on lui donne. Un dictateur, qui tape des crises monumentales dans le vestiaire, balance des chaises sur le parquet et rend ses joueurs fous tout autant qu’il les rend meilleurs.

Vous allez me dire, vers où tu nous emmènes là ?

Cette image ne vient pas de nulle part. Au-delà des films qui façonnent en partie notre pop culture récente (dernier exemple en date l’excellent Last Chance U), les coachs qui ont sévi en NBA comme ailleurs ont aussi aidé à bâtir cette réputation en étant des hard-ass, excusez-nous de l’expression. Bobby Knight justement, mais aussi Gregg Popovich, Pat Riley, Mike Krzyzewski, Chuck Daly, Roy Williams, George Karl, Jerry Sloan, Red Auerbach, Red Holzman, John Thompson, et tant d’autres. Une énorme dose de stratégie dans le jeu, certes, mais un statut de paternel gueulant tout-puissant avant tout, qu’on ne peut toucher du petit doigt. Les père la morale de l’Amérique traditionnelle et puritaine, qui aime voir ces quinqua en costard diriger les plus jeunes avec une main de fer. Discipline, et exécution. Sir, yes sir ! Comme si coacher à la dure était la seule manière de véritablement coacher dans le conscient collectif, ou du moins la meilleure manière de faire, en allant parfois jusqu’aux frontières de l’irrespect pour motiver ses troupes.

Cependant, si cette image persiste et certains la maintiennent au sein de la NBA actuelle dans leur approche et leur méthode (Tom Thibodeau, Stan Van Gundy, Nate McMillan), il est indéniable que la Ligue a changé. La société, même, a changé. Et donc les mentalités, et les manières de coacher. Les tauliers d’avant, ou ceux qui ont reprise ces méthodes, ont été pointés du doigt. Et des affaires sont ressorties au niveau universitaire, comme pour dénoncer ces agissements jugés trop violents, alors qu’ils entraient dans une sort de norme auparavant. McMillan, justement, en parlait récemment dans un excellent article de Jeff Schultz dans The Athletic. Le coach des Hawks, qui a été façonné à la dure et a toujours joué à la dure, a compris qu’il devait prendre un peu de recul dans son coaching pour mieux entraîner cette nouvelle génération de joueurs :

“Je sais que j’ai changé. S’il y a bien une chose que j’ai appris au fil des années, c’est que vous devez vous adapter à cette nouvelle génération de joueurs. Je suis un grand fan de Coach K (Mike Krzyzewski), et lorsque j’ai été recruté pour le poste des Pacers dans l’Indiana, il m’a envoyé un message en me disant une seule chose : adapte-toi. Il a dû faire ça à son niveau, avec des élèves qui restaient quatre ans dans son université et d’autres élèves qui ne restaient qu’une saison. […] Il y a eu plusieurs moments avec cette nouvelle équipe, lors desquels j’aurais certainement été dur avec eux, je les aurais défiés, j’aurais dit certaines choses. Mais les temps ont changé. Avant, quand je faisais cela, je le regrettais souvent le lendemain matin car en regardant la vidéo du match en replay je réalisais que ce n’était pas aussi dramatique que ce que je ressentais pendant ou juste après le match. J’ai donc appris à retenir certains de mes mots. Un de mes premiers entraîneurs, Bernie Bickerstaff, faisait ça. Il ne disait rien après le match, rien de positif ou de négatif. Il attendait le lendemain. Et Frank Vogel a fait pareil lorsqu’il était à Indiana. Ce groupe, à Atlanta, il est tellement jeune. Et le leader que l’on souhaite mettre en avant, Trae Young, il est tellement jeune. J’ai des enfants, et j’entraîne des joueurs très jeunes. Toutes ces notions de cris, de hurlements, de négativité, cela ne marche plus comme avant. Je me suis donc adapté. J’ai déjà changé à Indiana, et j’ai encore plus changé ici avec les Hawks. J’étais un coach très exigent sur les entraînements, les séances de tirs. Mais ces dernières années, avec le calendrier et cette nouvelle génération ainsi que les données analytiques données par les équipes, j’ai compris qu’il ne fallait pas faire bosser ces gars aussi dur qu’avant. C’était dur pour moi, mais j’ai changé.”

Ce son de cloche ? On l’a retrouvé également dans les propos de Rick Carlisle, dès son arrivée chez les… Pacers, après avoir quitté les Mavericks il y a quelques jours. Réputé comme étant un coach dur, qui s’est pris la tête avec plus d’un meneur (coucou Rajon Rondo, Luka Doncic), Carlisle a compris qu’il ne pouvait faire comme avant. Que le discours de son premier passage dans l’Indiana, avec des garçons de l’ancienne école comme Ron Artest, Jermaine O’Neal ou Stephen Jackson, ne pouvait pas être répété vu le changement d’audience. Nouvelles mentalités, nouvelles méthodes :

“Je pense que si vous êtes une personne intelligente, vous utilisez votre expérience pour trouver différents moyens de faire encore mieux votre boulot. Il y a des choses que je faisais ici auparavant, que je ne ferai certainement pas aujourd’hui. Les joueurs sont différents de nos jours. Ceci étant dit, ils souhaitent tous être entraînés, ils veulent tous être poussés à atteindre leur meilleur niveau, et ils veulent tous gagner. Donc quelle que soit la méthode à suivre pour avoir cette connexion avec les joueurs, c’est ce vers quoi j’irai.”

Le constat est donc indéniable, coacher comme avant n’est plus trop possible. Il faut garder une grande dose de stratégique, de fermeté et de contrôle de son vestiaire, tout en apprenant à danser sur une corde extrêmement fine, celle des sentiments des joueurs. Doit-on en venir à dire que les joueurs d’aujourd’hui sont… plus sensibles ? La phrase n’est peut-être pas la plus appropriée. Mais disons plutôt qu’il y a une hausse évidente des responsabilités et des prises de positions publiques chez les joueurs, qui font que les entraîneurs ne peuvent plus hurler et exiger autant qu’auparavant. C’est la fameuse ère du player empowerment, dans laquelle le joueur est roi. Gregg Popovich me fait chier avec son autorité et sa méthode de coaching un peu trop à l’ancienne ? Parfait, et bien je vais donc demander mon transfert. L’idée ici n’est pas de singulariser Kawhi Leonard, bien au contraire. Elle est d’utiliser cet exemple comme une porte d’entrée, pour souligner justement les récentes décisions prises par différents managements et joueurs, lorsqu’il a été question de choisir le bon entraîneur ou la bonne franchise. Il a de l’expérience, il sait bien exécuter en sortie de temps mort, il sait s’adapter en cours de match et en défense, il sait parler aux médias,… ok mais s’entend-t-il bien avec notre star ?

Tyronn Lue, Steve Nash, Chauncey Billups, Ime Udoka, Monty Williams, Stephen Silas, Nick Nurse, Jason Kidd. Chacun ses qualités, chacun ses défauts. Mais au moins un point commun et un aspect mentionné en tête de gondole, et recherché par les recruteurs en tête de CV : la connexion avec les joueurs. Comme dans cet article d’ESPN datant de septembre 2020, au moment de recruter Nash chez les Nets, au sein duquel Sean Marks le boss de Brooklyn revient sur ce qui l’a poussé à recruter le meneur Hall of Famer, avec qui il avait joué à Phoenix dans sa carrière de joueur :

“Steve est le meilleur bâtisseur d’équipe que j’ai pu côtoyer dans ma carrière. Il avait une empathie incroyable pour un joueur comme moi, le 15ème homme de l’équipe, ou pour un joueur comme Raja Bell, qui était installé à côté de lui dans le cinq majeur. Comme notre propriétaire Joe Tsai l’a mentionné plusieurs fois précédemment, nous avions besoin d’un chef d’orchestre. C’est exactement ce dont nous avions besoin ici, et Steve est le coach parfait pour cela.”

Qu’en serait-il des Nets s’ils n’avaient pas été torpillés par les blessures en Playoffs ? Difficile à dire, on peut en refaire des scénarios sur la série des Bucks avec des si, mais une chose est sûre : personne ne remettait en question la méthode de Steve Nash dès sa saison de coach rookie en NBA. Le parcours a été géré, de manière limpide, et ce malgré des rebondissements incessants tout au long de l’année (transfert de Harden, COVID, blessure de KD, retraite de Aldridge, pression médiatique, changement de groupe). Cette sérénité de groupe vient, en partie, d’une nature humaine et de qualités de leadership (chez Nash comme chez d’autres) qui permettent à toute une équipe de traverser les aléas sans que le bateau coule. Demandez à Paul George, rayonnant sur l’ensemble de ces Playoffs, ce qu’il ressent depuis qu’il a le soutien et les discours de Tyronn Lue dans son quotidien. Demandez à Bob Myers, dirlo à Golden State, ce qu’il pensait de Nash déjà à l’époque en le voyant tisser des belles connexions avec KD, Klay et Curry. Le constat sportif est simple : comment apprendre à James Harden, Kyrie Irving et Kevin Durant davantage de choses sur le plan purement basket ? Ces superstars ont déjà quasiment tout connu. Ce qu’il leur faut, et ce qu’ils désirent, c’est un cadre. Un cadre de travail dans lequel ils se sentent responsabilisés, écoutés, soutenus, par un coach qui va prendre les balles médiatiques en plein torse s’il le faut, et qui les motivera à atteindre un objectif collectif plus grand qu’eux. Pas tabassés, pointés du doigt et façonnés par un coach qui va mettre son égo au-dessus de la pyramide et s’attendra à avoir une exécution militaire de ses ordres sur le terrain.

Phil Jackson est donc, in fine, l’exemple qui revient le plus souvent dans cette capacité presque légendaire à faire unir différentes personnalités dans un même groupe. Bien sûr qu’il fallait du stratégique, des systèmes à respecter, des rotations à rappeler et des temps mort à prendre au bon moment. Mais il fallait aussi un maestro, qui ouvre ses capteurs de chaleur humaine au maximum, et comprenne les besoins de chacun au sein d’un seul et même vestiaire. Une virée à Vegas pour Dennis Rodman, un cigare en tête-à-tête avec Michael Jordan, un coup de téléphone à Steve Kerr, un push dans le dos de Toni Kukoc afin qu’il prenne le dernier tir. Avant-gardiste dans son genre, et lui-même formé par Red Holzman qui était avec Red Auerbach un des pionniers dans la construction d’une âme de groupe, le Zen Master peut aujourd’hui regarder les nouvelles têtes de la Ligue avec un sourire en coin. Aucun n’aura son palmarès au final, cela semble assez aisé à pronostiquer. Mais Tyronn Lue n’as pas joué sous ses ordres pour rien, et Steve Nash n’a pas travaillé avec Steve Kerr pour rien. Nombreux sont les nouveaux adeptes de cette ligue aux codes players friendly, peu s’en sortiront avec des bagues aux doigts. Voyons de plus près, justement, quelles franchises auront effectué le meilleur choix, dans le stratégique comme dans l’humain.

Plus que jamais ce fût le cas dans l’histoire de la NBA, les recrutements d’entraîneurs sont tournés autour des stars. Des connaissances de longue-date, des relations construites au fil du temps, avec les agents et les familles des joueurs, après s’être croisés plusieurs années auparavant. Savoir dicter et répéter 154 systèmes en plein temps mort est une grande qualité à posséder en tant qu’entraîneur, mais comment les exécuter proprement si les joueurs ne sont pas connectés directement avec leur chef d’orchestre ? La parole revient donc aux coachs d’aujourd’hui et de demain, à condition qu’ils soient alignés avec leur star.

Sources : The Athletic / Atlanta Journal Constitution / Indy Star