Salut, Kobe.
Nous ne nous connaissons pas, mais je t’écris aujourd’hui. Je t’écris car, comme des milliers, peut-être des millions de personnes ce lundi, je ne sais pas quoi faire. Je suis perdu et je me tourne vers toi.
Il y a une partie de moi, consciente, qui me dit bien qu’on est lundi. Qu’on est en janvier, que c’est censé être le meilleur jour de la semaine, qu’on est en 2020 même. Mais cette partie semble tellement infime que c’en est ridicule. Kobe, je t’écris aujourd’hui car je ne sais pas comment faire autrement. J’ère dans l’appartement, je me suis retourné 37 fois dans mon lit cette nuit, mais rien n’y fait. Allez, ferme les yeux, demain ça sera un autre jour. Ouais, bah nan. La boule au ventre au réveil, le crâne plein, la gorge nouée et cette sensation insupportable qui ne veut pas partir, celle d’avoir cru qu’hier soir était un cauchemar alors qu’en fait il s’agit bien d’une réalité. La plus triste des réalités.
Kobe, je t’écris aujourd’hui en t’ayant dit, dès mes premiers mots, que nous ne nous connaissions pas.
Je t’avoue qu’en fait, c’est faux. On se connaît très bien.
Si, si si. Laisse-moi te dire pourquoi.
On se connaît très bien Kobe, car tu as été là pour moi pendant plus de la moitié de ma vie. Tu as été présent, tous les jours, tous les soirs, pendant l’intégralité de mon adolescence et une bonne partie de ma vingtaine. Alors certes, on ne se parlait pas souvent directement, mais on était proches, quand même. C’est ce que font les vrais amis, les proches.
Tu as d’abord été un poster, en 84 sur 120, scotché sur le mur de ma chambre, directement à droite après avoir ouvert la porte. Quatre morceaux bien enfoncés pour maintenir cette photo du dunk par-dessus Dwight Howard avec le maillot d’Orlando. Tu te souviens de cette action ? En y repensant, quelle action. Au début tu étais un poster, récupéré dans un magazine de basket que je recevais tous les mois. Et ce magazine, t’étais souvent dedans. On parlait de tes exploits, de ton jeu, moi j’étais loin de tout ça car je pensais ne jamais pouvoir reproduire de telles performances, mais dans les mots, dans les lettres, il y avait une sorte de révérence universelle envers toi. Les avis étaient d’ailleurs assez unanimes, tu étais un joueur incroyable et j’apprenais à te connaître. Kobe, tu as d’abord été une image, une photo, scotchée sur le mur de la chambre d’un adolescent qui, pendant des années, s’est réfugié dans le basket. Et tu étais présent, du soir au matin, sur ce foutu mur. Comme un repère, stable, fiable.
Tu as ensuite été un modèle de jeu, un mythe du basket dans la plus pure des formes. Comment te dire… On était une bande de copains, insouciants, et on jouait au basket quand on pouvait, au collège puis au lycée. Parfois c’était en club, ensuite c’était surtout au playground. Et le joueur que tu étais nous imposait, à nous – humains –, de reproduire certains de tes gestes. Ou plutôt, de tenter de reproduire certains de tes gestes. Sont donc venues les premières boulettes de papier, les canettes, les boules de chaussettes. Sont donc apparus les premiers défenseurs fantômes, les prises à deux inexistantes, les feintes incessantes jusqu’à en exploser de rire. Sont donc venues les sessions fade-away, en brandissant le poing quand ça rentrait, comme pour se donner un air qui n’était pas le notre, qui n’était pas le mien. Fuck yeah, moi aussi je rentre des shoots de la gagne comme Kobe. Des shoots de la gagne, comme Kobe. On se retrouvait en retard au bahut et on ne passait pas vraiment une seule semaine sans parler de toi, comme si t’étais un ami de longue-date. Tu as vu le shoot sur les Suns au buzzer ? Nan mais sérieux, 81 points sur les Raptors ? Attends, il passe du 8 au 24, c’est sérieux ? C’est ce que font les gens qui se connaissent, ils se donnent des nouvelles, régulièrement. Et on prenait souvent des nouvelles de toi, Kobe.
Tu as ensuite été un partenaire nocturne. Attention, ne le prends pas mal, c’est mal formulé mais si tu savais à quel point cela représente énormément de choses pour moi. En passant de l’adolescence à la quasi-vingtaine, tu as dépassé mon cadre initial, celui du magazine mensuel et des vidéos téléchargées sur Limewire ou Koreus (quand t’as fait semblant de sauter par-dessus une bagnole avec Ronny Turiaf dans le coin, on a pris 3 jours pour s’en remettre). Tu es devenu celui que je retrouvais, chaque nuit, pour vivre ma passion avec un copain. C’est ce que font les gens qui se connaissent bien, ils deviennent de plus en plus proches et trouvent le modèle idéal pour maintenir et chérir leur relation commune. Toi, tu me disais à demain tous les soirs. Et moi, je me ramenais chaque lendemain pour te regarder. Kobe, pour tant de fans de basket dans le monde entier, quelle que soit l’heure à laquelle les Lakers jouaient, tu leur donnais rendez-vous. Et tu répondais présent, tous, les, soirs. Tu te rends compte, le nombre de discussions qu’on a pu avoir ensemble ? Tu as été un socle, un pilier, un ami fiable sur qui on pouvait compter, que ça aille ou que ça n’aille pas. Et chaque nuit, à la téloche ou sur des logiciels de streaming chinois flippants, on se retrouvait pour parler de basket avec toi, Kobe.
Tu as aussi été un adversaire. Et ça, c’était moins cool. On s’entendait bien, mais tu n’en faisais qu’à ta tête. J’étais fan des Spurs et, régulièrement, tu représentais un obstacle. J’avais de nouveaux amis, en noir et blanc, et toi tu t’obstinais à les rendre malheureux, à nous rendre malheureux. J’étais déchiré car j’avais l’impression de perdre un copain d’enfance, mais mes nouveaux amis étaient si importants pour moi. Le réconfort que j’avais, avant, se transformait en angoisse. Si on rentrait dans un match serré et que tu étais sur le terrain, j’avais les pieds qui transpiraient, la salive qui défilait à toute vitesse. Cette peur, personne d’autre me l’a fait vivre comme toi. C’est ce qui se passe quand on se sent proche de quelqu’un, non ? L’impression d’être déboussolé quand les chemins se séparent. Je crois que c’est moi, en fait, qui ai pris un autre chemin. Je ne le réalise que maintenant, alors que toi tu es resté sur cette même voie, chaque soir, chaque semaine, chaque mois, chaque saison. C’est un autre copain qui m’a rappelé à la raison, fan inconditionnel de ta carrière et de ta personne. Il m’a fait comprendre ce qui était plus important, qu’il ne fallait pas t’en vouloir. Et il avait raison. C’est ce que font les amis, ils se pardonnent au final.
Tu as ensuite été un mentor. Et personne ne le sait vraiment, enfin plus maintenant. Le gamin qui voyait son poster tous les matins, l’ado qui regardait des Top 10 en boucle, et le jeune adulte qui se cherchait ont laissé place à un entrepreneur qui voulait faire comme toi, vivre de sa passion en se donnant intégralement dans celle-ci. Quelle idée, quelle folie. Kobe, je rêvais de faire du basket ma vie et ce rêve est réel aujourd’hui. Tu le vois, ça, de là-haut ? Sais-tu seulement ce que tu as représenté pour qu’on en arrive jusqu’ici ? Laisse-moi te donner un exemple, parmi des milliers. Et tu vas me comprendre car tu sais ce que c’est, ce genre de moment. Kobe, il y a eu combien d’anniversaires ratés, de 25 décembre zappés, de relations chamboulées pour atteindre ce rêve. Il y a eu des ruptures, des discordes, des nièces ou neveux nés sans ma présence. Entêté comme j’étais, je me disais qu’il fallait passer par là. Que cela demandait ce genre de sacrifice, très certainement. Et celui qui me revenait systématiquement en tête, c’était toi. C’était toi, putain. Cette Mamba Mentality, que je croyais complètement commerciale et bullshit au début, j’y ai cru. Et je n’y ai pas seulement cru, je l’ai intégrée en moi. Elle m’a permis d’en arriver là aujourd’hui, tu nous as permis d’en arriver là aujourd’hui. Tu te rends compte ?
Je pensais ne jamais te croiser, puis j’ai eu la chance de le faire, il y a un peu plus de deux ans. C’était à Paris, tu es venu au gymnase Jean-Jaurès (shout out, Sam). Je me souviendrai de cette journée toute ma vie. Pendant près de 15 ans tu étais tout ça, tout ce que je viens de décrire, et soudain tu étais devant moi. Les amis sont honnêtes envers eux, et je vais l’être maintenant ici à l’écrit. Je devais t’interviewer, te poser des questions aux côtés de quelques confrères. J’avais prévu 3-4 questions, pensant récupérer un peu de contenu intéressant à partager avec notre communauté. Et bien tu sais ce que j’ai fait, Kobe ? Tu ne dois pas t’en souvenir, mais je vais te le dire. Je ne t’ai posé aucune question. Le téléphone, que j’avais sorti pour enregistrer le son, je l’ai rangé dans ma poche. Mon angoisse du matin, je l’ai planquée profondément en moi. J’ai soufflé un bon coup et j’ai saisi le moment. J’ai apprécié chaque seconde, ne sachant pas si nous allions nous recroiser, et j’ai souri bêtement, pendant 5 minutes. Oui, Kobe, on s’est croisés le 21 octobre 2017, et rien que d’y penser les larmes me viennent. Je ne regrette rien, comme tu ne devrais rien regretter non plus. On s’est entendus, adorés, on s’est fâchés, peut-être ai-je vécu cela tout seul mais… non. Non, quand on ressent ce que nous ressentons tous ce lundi, on ne peut pas avoir vécu tout cela tout seul.
Tu vois, je me dis de manière pragmatique que je devrais trouver une belle manière de finir ce papier. Qu’il y a des gens qui vont lire ça et que je devrais chercher la bonne façon de conclure. C’est un réflexe, tu connais bien ça. Mais les amis ne se font pas de manières, ils se disent les choses honnêtement, sans artifice, sans filtre. Kobe, un jour je serai peut-être père, et peut-être aurai-je des filles qui aimeront le basket. Peut-être. Sache qu’après tout ce qu’on a vécu ensemble, tu resteras toujours là. Car tu me montreras, aussi, comment un père doit être avec ses filles.
Merci pour tout, Kobe. Merci d’avoir été mon ami, notre ami à tous.