Coupe du Monde 2006 : quand l’ogre espagnol est né
Le 21 août 2023 à 12:05 par Pierre Bourgeois
À l’approche de la Coupe du Monde 2023, l’Espagne fait logiquement partie des favoris de la compétition. Tenante du titre, la Roja est l’une des meilleures sélections du monde depuis près de 20 ans. Une renommée aujourd’hui acquise, mais qui n’avait rien d’évident au début de XXIe siècle. Mais comment s’est-elle imposée comme l’une des nations majeures du basket européen et mondial ? Pour le comprendre, on revient sur la Coupe du Monde 2006, ou le début de l’âge d’or du basket espagnol.
Parmi les 24 sélections qui participent à ce Mondial 2006 au Japon, plusieurs font office de favoris : les Etats-Unis, emmenée par les prodiges de la Draft 2003, l’Argentine, détentrice du titre olympique de 2004, et la Grèce, championne d’Europe en 2005. Derrière ces trois ogres, la France et l’Allemagne nourrissent elles aussi des ambitions, au même titre que… l’Espagne, on y arrive. Depuis le début des années 2000, la Roja affiche des résultats très encourageants dans les grandes compétitions. Et après être montés sur le podium à plusieurs reprises, les Espagnols rêvent de gravir la plus haute marche.
L’effectif espagnol est alors assez jeune (23 ans de moyenne) mais comporte quelques futurs grands noms du basket européen. En tête de liste, Pau Gasol, sélectionné en troisième position de la Draft NBA 2001. Vainqueur du trophée de rookie de l’année, il s’impose déjà comme un joueur solide de la Grande Ligue. À ses côtés, les extérieurs Raul Lopez et Juan Carlos Navarro, avec qui Pau fut champion d’Europe (1998) et du Monde (1999) chez les juniors. Los niños de oro (surnom donné à cette génération) sont à la fois entourés de vétérans comme Jorge Gimenez et Jorge Garbojosa et de jeunes espoirs tels que Rudy Fernandez et Marc Gasol. Un groupe pétri, mais alors PÉTRI de talent.
Un parcours sans faute
Les coéquipiers de Pau Gasol entament idéalement le Mondial en remportant leurs cinq matchs de poule. En huitièmes de finale, ils sont opposé à la Serbie-et-Monténégro, championne du monde en 2002 sous le nom de Yougoslavie. Favorite, l’Espagne fait respecter son statut en s’imposant 87-75. Elle rejoint en quarts de finale la Lituanie, face à qui elle avait échoué en finale de l’Euro 2003. Pau Gasol et Juan Carlos Navarro ne semblent pas l’avoir oublié, puisqu’ils réalisent tous les deux une grosse performance – respectivement 25 et 22 points – pour permettre à leur équipe de s’imposer sans trembler (89-67). Direction les demi-finales pour la Roja, qui fait face à un encore plus gros morceau : l’Argentine.
Avant même le début de la rencontre, la rivalité entre les deux équipes se fait ressentir. Tout au long du match, elles se rendent coup pour coup sans qu’aucune ne parvienne à prendre d’avantage significatif. Le money-time s’annonce épique, mais est gâché par la blessure de Pau Gasol, qui se fracture le pied sur une mauvaise réception. L’intérieur serre les dents, mais doit finalement quitter son équipe après lui avoir donné six points d’avance à moins de deux minutes de la fin de la rencontre (73-67).
Sans son taulier, l’Espagne encaisse un run de 7-2 et passe proche de la correctionnelle sur un tir à 3-points manqué par l’ailier argentin Andres Nocioni. Mais elle s’impose finalement 75-74 et accède à la finale de la Coupe du Monde pour la première fois de son histoire.
En finale se dresse face à elle la Grèce, tombeuse de Team USA en demi et championne d’Europe en titre. La tâche s’annonce difficile pour les Espagnols, privés de leur meilleur joueur pour cette finale. En jean et sur béquilles, Pau Gasol vit la rencontre depuis le banc de touche. Mais son petit frère Marc le remplace magnifiquement en réalisant une grosse performance défensive sur les intérieurs grecs. La défense de fer qu’il contrôle aux côtés de José Calderon permet à de limiter les Grecs à 47 points, le plus petit total de l’histoire pour une finale de Coupe du Monde ! De l’autre côté du terrain, Juan Carlos Navarro et Jorge Garbajosa (10/20 à eux deux derrière l’arc) portent leur équipe. La Roja s’impose 70-47 et décroche son premier titre mondial au terme d’une finale qui n’a laissé lieu à aucun suspens.
Malgré sa blessure et son absence en finale, Pau Gasol est désigné MVP de la compétition. Avec des moyennes de 21,3 points, 9,4 rebonds, 1,4 passe et 2,4 contres, il est l’artisan majeur du titre espagnol. Mais après plusieurs années à dominer individuellement sans faire gagner sa sélection, c’est surtout la récompense collective que savoure l’intérieur.
“C’était une superbe performance, tant en attaque qu’en défense. J’ai adoré suivre ça depuis le banc, j’étais comme un gamin. C’est l’un des plus beaux moments de ma vie, pas juste de ma carrière […] Si j’avais le choix, je me casserais à chaque fois le pied si le résultat final est le même.” Pau Gasol, à l’issue de la finale
La naissance de la Grande Roja
Si ce titre de champion du monde est le premier sacre international de l’Espagne, il est surtout loin d’être le dernier. Il représente même le commencement d’une dynastie, la première brique d’un immense édifice construit tout au long du XXIe siècle. La Coupe du Monde 2006 voit en effet la naissance d’une génération dorée qui a dominé la scène européenne et même mondiale pendant de longues années.
Après leur sacre mondial en 2006, les Espagnols se hissent jusqu’en finale de l’Euro 2007 avant de remporter les deux éditions suivantes (2009 et 2011). Aux Jeux Olympiques, où ils n’avait jamais fait mieux qu’une 7eme place, ils se hissent à deux reprises (2008 et 2012) en finale. C’est en revanche plus compliqué lors des Championnats du Monde, où ils échouent à rallier les demi-finales en 2010 et 2014. Ah, c’est l’heure d’être chauvin ! Parce que les succès français face à l’Espagne sont (trop) rares, on est obligé de rappeler cet épisode de 2014 où les Bleus éliminent la Roja de sa propre compétition dès les quarts de finale.
“L’Espagne chute au pire moment, dans un Mondial qui devait être le jubilé de ses plus vieux joueurs, comme les frères Gasol ou Juan Carlos Navarro.” El Pais, 2014
Mais comme elle l’a prouvé lors des années précédentes, la Roja est une grande équipe, et les grandes équipes se relèvent toujours. Après cette désillusion, Gasol, Navarro & Cie reprennent les armes et partent à la reconquête de leur suprématie mondiale. Ils enchaînent un sacre à l’Euro 2015, une médaille de bronze aux J.O. de 2016, et une autre à l’Euro 2017, avant de remporter la deuxième Coupe du Monde de l’histoire de leur pays en 2019. Indestructible, insubmersible, inoubliable,… les adjectifs manquent pour qualifier cette génération de plus en plus dorée.
Un à un, ses membres quittent la sélection : Juan Carlos Navarro et Felipe Reyes en 2017, Pau et Marc Gasol en 2021, Rudy Fernandez jamais… Ce groupe qui a tout connu laisse peu à peu sa place à la jeunesse espagnole, et la transition est plutôt réussie puisque la Roja continue de gagner. Preuve en est, l’Euro remporté il y a moins d’un an à Berlin.
Premier titre majeur de la Roja, la Coupe du Monde 2006 restera comme l’évènement qui a marqué la naissance d’une génération espagnole dorée qui a dominé le basket européen et international pendant plus de dix ans. Même si beaucoup de ses victoires se sont faites aux dépens de nous, Français, on est obligés de rendre hommage à cette immense nation de notre sport… sans pour autant leur souhaiter de nouveaux succès !
Source texte et image : FIBA