Le billet d’Alex : Damian Lillard, fidélité mal payée

Le 28 févr. 2023 à 18:30 par Alexandre Martin

Damian Lillard
Source : YouTube / Portland Trail Blazers

“Non mais c’est quoi ce titre ? Damian Lillard touche des millions par dizaine. Il est hyper bien payé !” Effectivement, il les touche, ces millions. Pour autant, sa fidélité sans faille aux Blazers peut aussi être considérée comme mal payée. D’ailleurs, maintenant que vous êtes là, pourquoi ne pas vous laisser porter quelques instants le long de ces lignes ? L’idée n’est pas de vous convaincre, ce serait bien trop radical. Il s’agit de vous exposer un point de vue tout en nuances sur un homme que l’on appelle “Dame”, un monstre offensif, un basketteur formidable et fidèle.

Attaquons d’entrée avec la situation financière du joueur. Le salaire de Damian Lillard s’élève à plus de 42 millions de dollars cette saison. C’est la sixième rémunération la plus haute en NBA sur cet exercice 2022-23, à égalité avec Kawhi Leonard et Giannis Antetokounmpo (source Spotrac). Le tableau ci-dessous  regroupe les dix plus gros salaires cette saison (par cap hit). 

TOP 10 salaires 2022-23 par cap hit Damian Lillard

Le meneur des Blazers est dans la deuxième année d’une extension de quatre ans pour 176 millions, signée le 6 juillet 2019, commencée en 2021 et qui va donc l’amener jusqu’à l’été 2025 où il sera sur le point d’avoir 35 ans. Le 9 juillet 2022, Lillard a signé une nouvelle extension de presque 122 millions sur deux ans pour les saisons 2025-26 et 2026-27. Ces chiffres colossaux sont à mettre en perspective avec le pourcentage du salary cap que représente le contrat actuel de Damian Lillard. 34,3% du cap cette saison, 34,06% la saison prochaine et 34,12% en 2024-25. Ces pourcentages sont basés sur les estimations du niveau du salary cap dans les années à venir.  Estimations à retrouver ICI. Toujours en se basant sur ces mêmes estimations, on constate que l’extension de 122 millions dont va bénéficier Dame pour les saisons 2025-26 et 2026-27 va positionner son salaire autour des 40% du futur salary cap. Ces montants seront à revoir car ils dépendent du prochain deal de droits TV qui sera conclu par la NBA avec les gros diffuseurs américains. Le deal actuel rapporte 2,7 milliards par saison à la ligue, le prochain pourrait permettre de quasiment tripler ce montant ! 

Tous ces chiffres donnent le tournis au commun des mortels. C’est bien naturel et ce n’est que le début. Ils correspondent à la réalité du business de la NBA aujourd’hui. Un business qui se joue à coup de milliard et dont les superstars sont des multi-millionnaires. Dame D.O.L.L.A prend et va encore prendre des millions dans les années à venir, beaucoup de millions. Vu sous l’angle financier, c’est logique. Pourtant, c’est trop selon certain(e)s. Parce qu’il ne se donne pas assez en défense. Parce qu’il a fait une mauvaise saison 2021-22. Il était surtout blessé dès le tournoi olympique. Parce qu’il sera trop vieux et plus assez performant pour toucher autant dans les saisons à venir. Peut-être. Ou peut-être pas. 

En tout cas, la fidélité de Damian Lillard envers les Blazers serait donc largement récompensée par les salaires mirobolants qu’il perçoit. D’autant plus qu’il “ne gagne pas”, sous entendu de trophées collectifs. C’est là que le bas blesse dans cet argumentaire. À mon humble avis. Parmi les dix joueurs apparaissant dans le tableau intégré plus haut, deux n’ont rien gagné non plus et ont pourtant des rémunérations supérieures – légèrement j’en conviens – à celle de Lillard : Bradley Beal et Paul George. Deux autres, Klay Thompson et Kyrie Irving, peuvent se targuer d’être allé au bout au moins une fois mais ils n’étaient pas et ne sont toujours pas l’option numéro 1 de l’équipe. Ce que Lillard est, lui. Tous ces gars sont des superstars. Lillard fait partie des superstars de la ligue. Son salaire est là pour le montrer. Son niveau de jeu aussi. Ne l’oublions pas. 

Cette saison, Damian Lillard tourne à plus de 32 points par soir à 47% au tir, 38% de loin et 92% au lancer. Depuis le 12 janvier dernier, il est tout simplement en feu. Ce jour-là, il a délicatement déposé 50 points en 28 tirs sur la museau des Cavs, une des meilleures défenses de la ligue. Et il a enchaîné, passant 60 points au Jazz et carrément 71 unités face aux Rockets il y a deux jours. 71 points. C’est énorme. Et si vous regardez les pourcentages, ça l’est encore plus !  Il est à 39,4 points de moyenne, à 52% au tir, en 19 matchs joués depuis ce fameux 12 janvier. EN FEU. Avec 7,4 passes décisives par match pour accompagner ce festival au scoring. Lillard est un finisseur hors du commun mais il crée aussi pour les copains. Il est un habitué du fait. Il a un nombre incalculable d’énormes performances derrière lui. Il est un symbole de clutchitude. C’est un monstre offensif complet et cela ne date pas d’hier.

Bien sûr que les Blazers ont donné la designated veteran player extension à Damian Lillard en 2019 ! Bien sûr qu’ils ont tout de suite mis sur la table une autre très grosse extension dès qu’ils l’ont pu, à l’été 2022. Et bien sûr que Lillard a pris ces énormes contrats ! Logique. Ce qui l’est moins c’est la façon dont les Blazers entourent leur joueur star ces dernières années alors qu’il est dans son “prime” comme on dit de l’autre côté de l’Atlantique. Les dirigeants de la franchise n’ont pas réussi à construire de manière suffisamment solide autour du duo Lillard – Aldridge, ni autour du duo Lillard – McCollum et nous sommes déjà en train d’assister au même cas de figure avec le duo Lillard – Simons. Les Blazers sont allés chercher Jerami Grant mais peut-on vraiment parler de base pour aller au bout avec le trio Lillard – Simons – Grant ? Compliqué. De toute façon, quand Damian Lillard a-t-il eu autour de lui un effectif qui faisait des Blazers un contender ? À question simple, réponse simple : jamais. Désormais, il y a urgence. Lillard ne rajeunit pas…

La simple blessure récente d’Anfernee Simons a sonné comme une fatalité pour Portland qui est parti pour finir dans le ventre mou du classement, même pas sûr de jouer les Playoffs et sans pouvoir viser tellement mieux qu’un premier tour… Les Blazers de l’ère Lillard ont une finale de conférence au “palmarès”. C’était en 2019. Depuis, ils ont fait deux premiers tours de Playoffs et puis s’en vont ainsi qu’une saison (2021-22) sans même voir la couleur de la post-season. C’est maigre. L’effectif des Blazers n’est pas assez fort, pas assez profond, pas assez bien équipé en joueurs capables de défendre, en ailiers. C’est indéniable. Dernièrement, Lillard est accompagné de Cam Reddish, Matisse Thybulle et Drew Eubanks en partenaires principaux sur les parquets. À domicile contre Washington juste avant le All-Star break, il en met 39 mais les Blazers perdent de 25…  C’est ça être bien payé ? 

Pourtant, il y a moyen d’entourer une superstar, même quand elle est touche le max. Le salaire de Lillard n’empêche pas les Blazers de construire. C’est une question de volonté des dirigeants. D’autres franchises font d’autres choix et se retrouvent avec des rosters bien mieux fournis en talent, quitte à payer de très gros salaires et à parfois franchir le plancher de la Luxury Tax. Les Warriors, les Clippers, les Lakers, les Suns, les Celtics, les Mavs sont dans ce cas. Ces équipes n’ont pas toutes atteint la récompense suprême mais au moins, elles s’en donnent les moyens. Que vont faire les Blazers cet été ? Proposer un jackpot à Jerami Grant pour qu’il prolonge ? Que dira-t-on si on s’aperçoit, encore une fois, que c’est trop juste ? Qu’il est difficile de faire venir des gros joueurs à Portland car c’est un petit marché ? Milwaukee y arrive. Minnesota y arrive. Les Blazers ont un public de feu qui adore la balle orange et un leader qui montre, année après année, qu’il peut porter tout l’Oregon vers les hauteurs de la grande ligue. Neil Olshey était-il l’homme de la situation ? Joe Cronin l’est-il ? 

Damian Lillard n’est certainement pas entouré à la hauteur de son talent, encore moins à la hauteur de son infaillible fidélité… D’ailleurs, qu’est-ce que la fidélité au final ? Selon le Larousse, il s’agit de la qualité de quelqu’un qui est constant dans ses sentiments, ses affections, ses habitudes. On parle aussi de la qualité de quelqu’un qui ne manque pas à une promesse, qui ne trahit pas un serment. Damian Lillard rentre dans ce cadre. Il repousse même les limites de ce cadre. Une attitude qui, couplée à son ascension offensive, m’a fait beaucoup changer d’avis à propos de ce joueur et du patron qu’il est. Dans une époque où de plus en plus de superstars profitent de leur pouvoir pour demander leur transfert à la moindre contrariété ou dès que le projet ne semble pas voué à gagner tout de suite, Lillard fait figure d’exception. Il prolonge quand on le lui propose. Il prend les sous évidemment mais il honore ses contrats. Il reste à Portland contre vents et marées, quels que soient les équipiers dont les dirigeants l’entourent.

Son sérieux, son travail, son leadership et sa fidélité à sa franchise font de Damian Lillard un modèle. À sa manière, il est en train de marquer l’histoire des Blazers et celle de la NBA. Considérer que ce sont les Blazers qui lui doivent des comptes plutôt que l’inverse n’aurait rien d’offensant. Il est simplement question de reconnaître un franchise player quand on en voit un. Et un franchise player, ça se paie.