Black History Month : Earl Lloyd, le premier basketteur afro-américain sur un parquet NBA
Le 21 févr. 2023 à 08:37 par David Carroz
À jamais les premiers. S’ils sont trois – Earl Lloyd, Chuck Cooper et Nathaniel Clifton – à se partager les honneurs d’avoir fait tomber la barrière raciale en NBA, c’est bien Lloyd qui a eu le privilège de fouler les parquets de la Ligue en premier, hasard du calendrier
Bones McKinney, le nouveau coach des Caps, a fait rentrer Earl Lloyd, la star nègre de West Virginia State et il a pris la majorité des rebonds
C’est sans cérémonie que la première de Earl LLoyd sur un parquet NBA s’affiche dans la presse. Les propos de Al C. Weber dans son article “Risen Paces Royals to Opening Victory” du Rochester Times-Union ne fait pas grand cas des débuts du rookie. Pourtant, les premiers pas de Lloyd dans la Ligue ne sont pas communs : ce 31 octobre 1950, il devient le premier joueur afro-américain à jouer en NBA. Un rôle de pionnier débuté quelques mois plus tôt.
Le 25 avril pour être précis. Certainement encouragés par les Celtics qui ont drafté Chuck Cooper quelques instants plus tôt, les Washington Capitols misent aussi sur un Afro-américain en sélectionnant Earl Lloyd au neuvième tour (101è position), lui donnant de facto un rôle de précurseur qui va faire tomber la barrière raciale en NBA cette saison-là avec d’autres membres de sa communauté.
Pourtant, lorsque Lloyd termine son cursus à West Virginia State – un établissement traditionnellement noir – en 1950, il ne s’imagine pas écrire une telle page de l’histoire. La NBA née de la fusion entre BAA et NBL en 1949 est ségréguée, à l’instar de la société américaine. Quant à lui, il se voit plutôt devenir professeur ou coach, des métiers importants et utiles pour sa communauté. Puis le basket, comment en vivre ? Seuls les Globetrotters sont en mesure de payer des ballers afro-américains et les places sont chères, comme le rappelle le pionnier :
Tous les enfants noirs qui voulaient jouer au basket en tant que pro n’avaient pour seule aspiration que d’être un Harlem Globetrotters.
Mais Earl Lloyd peut faire partie des heureux élus. Son talent a tapé dans l’œil de Saperstein qui lui propose un essai. Mais entre le conseil de son coach universitaire lui disant de ne pas s’engager à la va-vite avec les Trotters et les conditions de vie avec l’équipe qu’il n’apprécie guère, Lloyd ne donne pas suite à l’offre. Ce qui ne change rien à sa surprise lorsqu’il découvre, par l’intermédiaire d’une camarade sur le campus, qu’il a été drafté par une équipe professionnelle appelée Washington Capitols.
Ce n’est pas du bluff, et le 31 octobre 1950, Earl Lloyd est sur la feuille de match pour la rencontre face aux Rochester Royals. S’il débute sur le banc, il entre tout de même en jeu et contribue avec sa dizaine de rebonds. Le tout, dans un quasi total anonymat, comme il s’en souvient lui-même :
Si vous aviez dû choisir un lieu pour que ce match génère peu de réactions, Rochester était le bon endroit. Il y fait froid et personne ne déteste quelqu’un d’autre en plein hiver, on voit juste des gens qui s’aident, des Noirs qui aident des Blancs à pousser leur voiture dans la neige et vice-versa.[…] Vu que c’était la soirée d’Halloween, les gens ont peut-être cru que j’étais un lutin ou quelque chose comme ça.
Une explication au peu d’impact médiatique de cette grande première vient tout d’abord de la place du basketball – et de la NBA – dans le paysage sportif nord-américain. Bien loin derrière le baseball, le football américain, l’athlétisme ou la boxe, la balle orange n’attire pas les foules. Ni la presse. Les personnes qui s’intéressent au basketball sont habituées à voir des Afro-américains sur un parquet, en particulier dans le Nord Est du pays, où des rencontres universitaires intégrées sont monnaie courante. Les fans connaissent donc une forme d’intégration.
Enfin, en partageant le rôle de précurseur entre eux, Earl Lloyd et ses comparses Nat Clifton et Chuck Cooper ne portent pas le même poids qu’un Jackie Robinson dans le baseball. Leur rôle est moindre – J-Robb s’avère être une star pendant que Lloyd et les autres pionniers sont des role players – dans un sport qui se montre plus ouvert. Cela ne signifie pas que la vie est rose pour Earl Lloyd. Si ses coéquipiers ne manifestent aucun mécontentement, tout comme ses adversaires – du moins jamais directement – les fans ne se montrent pas tout le temps aussi ouverts.
Vos coéquipiers, s’ils pensent que vous pouvez aider l’équipe, il n’y a aucun problème. Il y a bien quelques personnes de ma propre équipe qui auraient préféré que je ne sois pas là mais elles étaient assez intelligentes – tout le monde sortait de la fac (sourire) – pour comprendre que, s’ils avaient choisi de me dire quelque chose de déplacé, ça m’aurait offensé moi mais aussi sans doute d’autres coéquipiers blancs de l’équipe.
Et même si différents pans de la ségrégation rythment la vie de Earl Lloyd à Washington puis Syracuse – il rejoint les Nationals en 1952 après avoir servi dans l’armée pendant que les Capitols mettaient la clef sous la porte – les conditions peuvent être encore pire au gré des déplacements. St. Louis, Fort Wayne, Indiana et Baltimore, autant de destinations peu prisées par les Afro-américains, où outre les insultes racistes des fans – “retourne en Afrique, montre nous ta queue de singe” se rappelle-t-il – la ségrégation dans les hôtels et les restaurants suggère que s’il est accepté sur le parquet, ce n’est pas le cas dans la vie de tous les jours.
Malgré ces conditions et la modestie de Earl Lloyd qui a refusé toute sa vie de mettre en avant son rôle de pionnier, son importance pour la suite de l’intégration de la NBA ne peut pas être négligée. En plus d’avoir été le premier Afro-américain à fouler un parquet NBA, il a également été le premier à remporter un titre en 1955 (avec son coéquipier Jim Tucker), mais aussi l’un des précurseurs sur les bancs de touche, tout d’abord comme assistant (premier Afro-américain) puis comme entraîneur principal (peu de temps après Bill Russell).
Source : Moonfixer de Earl Lloyd