La demande de transfert de Kevin Durant, quel impact sur sa legacy ? Bienvenue au bac de philo, vous avez quatre heures
Le 05 juil. 2022 à 20:14 par Nicolas Vrignaud
C’est sans doute ce que l’on retiendra comme moment le plus fort de cette Free Agency 2022 : la demande de transfert émise par Kevin Durant au management de Brooklyn. Après trois ans passés à New York, la superstar souhaite finalement aller voir ailleurs, mettant potentiellement un point final au projet des Nets. Une décision qui aura forcément un impact sur l’image de sa carrière, avant même que l’on sache où il posera bientôt (ou pas) ses valises.
Kevin Durant, c’est qui, c’est quoi dans l’imaginaire collectif de la planète basket ? Difficile de répondre à cette question car il existe une infinité d’avis sur le sujet, alors partons d’abord sur un rappel des faits d’armes du joueur. Drafté par les Sonics en 2007 en deuxième position de sa cuvée, le phénomène KD rend complètement fou tous les acteurs de la Ligue. Rookie de l’Année, puis meilleur scoreur de régulière dès sa troisième saison. Attaquant ultra polyvalent, capable d’être injouable en drive comme au large, Kevin n’est pas fait du même bois que les autres joueurs de NBA. En fait, il n’est pas fait du même bois que la plupart des bons joueurs de la Grande Ligue. Non, KD est destiné à devenir un très grand. En 2012, il échoue en Finales NBA avec le Thunder et face au Heat de LeBron James. La consécration individuelle ultime arrivera en 2014 avec le titre de MVP de saison régulière. En même temps, avec 32 points de moyenne par match, difficile de venir contester quoi que ce soit. Maintenant que la pression est redescendue d’un cran en matière de palmarès individuel, serait peut-être temps d’aller s’offrir une bague non ? L’idée est belle mais dans le même temps, une certaine équipe des Warriors commence à devenir vraiment injouable. En 2015-16, OKC est d’ailleurs à deux doigts de renverser le meilleur bilan de l’histoire de la Ligue. Menant 3-1, la bande de Kevin et de son compère Russell Westbrook s’écroule finalement et s’inclinera 4-3.
Et là, ça part en vrille. Si jusqu’ici, KD était un modèle de fidélité… les choses ne dureront pas. On voyait son duo avec Russ comme l’un des plus solides de la Ligue autant sur le terrain qu’en dehors, mais il faut croire que ce n’était pas le cas. Un SMS. Voilà comment Kevin annoncera à son pote en juin 2016 qu’il prend la tangente direction Golden State. Rejoindre l’équipe qui vient de t’éliminer et qui a remporté 73 matchs sans toi ? Oh là là, les réseaux se déchaînent. Snake, lâche, traître, cupcake : les mots qui reviennent le plus lors de l’annonce officielle ne sont pas mâchés. N’empêche que cette épopée californienne donnera l’une des équipes les plus injouables – si ce n’est la plus injouable – de l’histoire de la Ligue. Deux bagues, deux titres de MVP des Finales pour KD. Ça pèse, mais ça ne rattrape pas son image auprès d’une grosse partie des fans. Après une rupture du tendon d’Achille en 2019 et une finale perdue par les Warriors, Durantula décide qu’il est temps d’aller voir ailleurs pour reconquérir la planète basket et enfin gagner quelque chose ailleurs qu’au pays de Stephen Curry. C’est décidé, ce sera Brooklyn avec Kyrie Irving puis James Harden. Le big three est juste effrayant sur le papier, et passera à une misérable pointure de chaussure d’une finale de conférence en 2021. Tant pis, la prolongation de contrat pour quatre saisons en août de la même année pose les choses : la bague, ce sera à Brooklyn. Sauf que voilà, une année de fiasco plus tard… il y a toujours pas de bague, et sans doute plus de KD pour les Nets.
Kevin Durant has requested a trade out of Brooklyn, sources tell @TheAthletic @Stadium.
— Shams Charania (@ShamsCharania) June 30, 2022
Dans l’imaginaire collectif, il est à peu près acquis que la greatness d’un joueur se base en premier lieu sur ses performances individuelles. Désolé Robert Horry, mais si vos sept bagues sont bien sûr à votre honneur, elles ne font pas de vous un plus grand joueur que d’autres au palmarès bien moins étoffé. Avec cette approche individuelle, c’est dur, très dur d’aller chercher Kevin Durant. Le meilleur scoreur de l’histoire de la NBA ? Pour certains c’est un fait, pour d’autres ça se discute, mais KD est incontestablement assis à la table des machines offensives les plus remarquables all-time. Rajoutez également le palmarès individuel très sérieux du bonhomme, et vous obtenez l’un des meilleurs joueurs à avoir jamais foulé un parquet de basket. La deuxième partie de ce qui fait la grandeur d’un joueur, c’est ce qu’il a accompli collectivement. Double champion NBA, ça pèse très fort. Meilleur joueur de cette équipe pendant deux ans ? Pour certains oui, pour d’autres non. En tout cas, c’est chez Kev’ que sont exposés les deux trophées de MVP des Finales, et ça personne ne peut lui enlever. Le souci, c’est que ces titres ont été acquis au prix d’une décision que beaucoup considèrent comme une trahison. Dans une ère où l’absence de titre fait limite de vous un loser, Durant a fait un choix extrême pour éviter de finir sa carrière sans bague et rejoindre la catégorie des Karl Malone, Pat Ewing, Charles Barkley, Allen Iverson et Cie. C’est très certainement un argument qui a pesé très fort dans la balance à l’heure de prendre une décision en juin 2016.
Le joueur lui-même a souvent cherché à se justifier pour valider en quelque sorte ses titres, un point sur lequel il s’était longuement expliqué dans le podcast de J.J. Redick en 2020. Bien sûr que la conquête d’un Larry O’Brien requiert une préparation et un niveau de jeu exceptionnel, personne ne viendra contredire ceci sans y mettre une bonne brouette de mauvaise foi. Seulement, beaucoup de fans indécis auraient attendu de KD qu’une fois deux bagues en poche, il fasse preuve de grandeur en allant chercher un titre de “lui-même”. Il ne l’a pas encore fait chez les Nets et cherche désormais à quitter le projet Brooklyn pour rejoindre des machines déjà bien en place, comme potentiellement Phoenix et Miami. Tiens, vous la sentez cette odeur de 2016 ? Alors certes, sa décision de vouloir quitter les Nets peut se justifier. James Harden n’est plus là, Kyrie Irving n’est pas étranger au bazar monstre de cette saison et Durant a bientôt 33 ans. Mais quand même. Sean Marks n’est pas un peintre, et avec un peu de patience sans doute que Ben Simmons pourrait retrouver un niveau de jeu qui lui correspond, sans compter les ajustements possibles dans l’effectif en matière d’accompagnement du trio. Aurait-on touché la corde sensible en tapant le mot “patience” sur le clavier ? C’est bien possible. Un titre ne se gagne pas nécessairement en deux saisons, même si l’équipe paraît sur le papier capable d’y arriver. C’est aussi ça la greatness au final. Échouer, persévérer, puis finalement triompher. Un triomphe qui de surcroît aurait sans doute fait fermer pas mal de bouches et inscrit son tempérament de gagnant dans le marbre de la Ligue. Avec cette demande de transfert, toute cette détermination que les fans attendaient pour considérer enfin le joueur comme un champion semble s’être envolée. Pour de bon ?
C’est une bonne question, mais peu de chances que certains fans ne daignent désormais apprécier la carrière de KD pour ce qu’elle est matériellement. L’espoir de l’arrivée à Brooklyn était sans doute de voir KD renouer avec ce qu’il était à OKC : un joueur qui n’abandonne pas, qui se remet d’une finale perdue par le travail jusqu’au point de faire vaciller l’une des meilleures équipes de l’histoire. Tiens d’ailleurs, en parlant des Warriors… leur titre tout récemment acquis semble également faire partie des raisons d’un potentiel départ de Durant. Si jusqu’ici, Steph Curry et sa clique n’avaient rien gagné depuis son départ en 2019, c’est désormais le cas. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que d’une les Dubs ont gagné avant lui, et deux qu’ils ont gagné après. Bien sûr, ce n’est pas pour ça qu’on va réduire la grandeur de tout ce qu’a apporté Kaydi au groupe de Steve Kerr en 2016 et 2019, mais cette simple tentation de relativiser l’importance de son passage est sans doute un aperçu de ce qui doit certainement cogiter dans la tête du numéro 7 des Nets. Le temps presse donc très certainement pour Kevin, de gagner un titre pour montrer que lui aussi est capable d’être victorieux loin des Warriors. En définitive, il semble que la perception de ce qu’est un grand joueur soit différente pour Durant, et c’est ici que se fait toute la fracture entre ce que ce qu’il estime attendre de lui-même et ce que les gens peuvent attendre de lui.
Kevin Durant, vous êtes un sujet fou de complexité. Un joueur exceptionnel ? À n’en point douter. Pour le reste, c’est à l’appréciation de chacun. KD semble calculer sa carrière pour lui seul et là aussi, difficile de lui donner tort… même si ses critères ne sont sans doute pas ceux d’une majorité de fans.
Source : The Old Man and the Three, ESPN