Harlem Globetrotters vs New York Renaissance – Part 1 : deux équipes, deux ambiances entre les meilleurs Black Fives de l’histoire

Le 27 mars 2022 à 09:54 par David Carroz

New York Renaissance vs Harlem Globetrotters
Source image : Youtube, montage TrashTalk

New York Renaissance vs Harlem Globetrotters. Une rivalité qui sonne comme un derby de Big Apple pour savoir qui va s’asseoir sur le trône de la balle orange. Pourtant, si  la question du règne et du pouvoir entre les deux équipes aux visions et aux trajectoires bien différentes se pose bien, cette lutte oppose en réalité un Black Five new-yorkais à un autre chicagoan. Elle concerne le basketball afro-américain lors de la première moitié du vingtième siècle.

Tout débute avant même que les Globetrotters ne soient les Globetrotters, à l’époque où le basketball afro-américain chicagoan est dominé par le Savoy Big Five. Les New York Rens, eux, sont bien les boss de Big Apple. À travers les performances des deux équipes, c’est la rivalité entre les villes et leurs quartiers noirs de Harlem et Bronzeville qui prend naissance au cœur de la Grande Migration.

New York vs Chicago

Avant même l’opposition de style, de caractère ou de vision entre les Rens et les Trotters, ce sont deux villes qui se regardent. Qui veulent s’affirmer. New York, Chicago. Plus précisément deux quartiers. Harlem pour Big Apple, Bronzeville pour Windy City. L’émergence du basketball afro-américain n’est qu’à sa puberté, la première vague de la Grande Migration structure l’avenir citadin de cette communauté. Une communauté qui rêve d’un avenir meilleur loin de la ségrégation sudiste. Les deux villes sont alors des destinations de choix. Mais illustrent parfaitement que le racisme n’est pas qu’une histoire du Sud. En effet, les Afro-américains restent mis à l’écart et des quartiers leur sont réservés.

Le point positif à cette séparation, c’est qu’en étant regroupés, les Afro-américains créent leur société parallèle, avec sa propre culture. C’est cela qui continue d’attirer. Les quartiers de Bronzeville et Harlem deviennent des réservoirs pour lancer une dynamique nouvelle et affirmer sa fierté. Dans ces conditions, de nombreux établissements voient le jour pour permettre aux habitants de se divertir. De s’offrir du bon temps, au son du jazz. Mais aussi de la balle orange car ces salles de danse accueillent aussi des équipes de basket.

Un souffle nouveau sur Harlem et Bronzeville

Par conséquent, une concurrence s’établit entre les deux quartiers pour rythmer la vie de la communauté afro-américaine. Si Chicago souffre d’un complexe d’infériorité par rapport à New York – comme lorsqu’elle s’appelle des années plus tard la “Second City” – Bronzeville ne compte pas lâcher la moindre once de terrain à son homologue de Big Apple. Tandis que Harlem vit sa Renaissance à travers les mots de Langston Hughes, Zora Neale Hurston ou les notes de Duke Ellington, le quartier sud de Chitown – où se situe Bronzeville – n’est pas en reste. Sa vie nocturne est tout autant animée et les grands noms passent aussi par l’Illinois.

Les enceintes sortent de terre pour permettre à tout ce beau monde de s’exprimer. Le Renaissance Ballroom & Casino du côté de Harlem est l’un des meilleurs exemples à partir de 1921. Il abrite les New York Rens, baptisés de la sorte pour faire la promotion de leur salle. La Savoy Ballroom, toujours à New York, est également un lieu de vie sociale très prisé à partir de 1926.  Le basketball a moins sa place et aucun Black Five n’y réside. À l’inverse de son petit frère chicagoan du même nom qui ouvre ses portes en 1927. Et qui devient le terrain de jeu du Savoy Big Five, ancêtre des Harlem Globetrotters. Bronzeville, tout comme Harlem, dispose donc de son équipe phare pour la balle orange. Chacune dans une belle salle appréciée par la communauté afro-américaine.

Et le basket dans tout ça ?

Quand le Savoy Big Five débute son histoire en 1927, sa renommée est forcément bien moindre que celle des Rens. Les gars d’Harlem brillent déjà depuis plusieurs saisons. Alors certes, ils font leur trou dans l’Illinois et s’imposent comme une équipe de premier plan. Mais la marche est un peu haute pour prétendre se frotter à leurs homologues new-yorkais. Pourtant leur manager Dick Hudson tente le coup en fin de saison 1928. Sans réponse de la part de Bob Douglas et ses hommes qui se frottent à une concurrence un poil plus relevée.

Avant même cette demande, une première polémique, ou du moins les premières critiques de la presse envers la formation de l’Illinois remettent en cause sa légitimité. Formée depuis peu – dans ce modèle tourné vers le barnstorming – la publicité autour d’elle est mensongère. Avec de faux pedigrees pour les joueurs la constituant, histoire de mieux se vendre dans les autres villes. Pas du goût des journalistes afro-américains, même ceux de l’Illinois, qui préfèrent largement la classe des Rens qui ne s’affichent pas. Cette opposition de style, de regard, d’approbation ne fait que commencer.

Les soucis de crédibilité et de légitimité se règlent avec la montée en puissance de l’équipe, même si Hudson n’est plus aux manettes. La saison 1928-29 se solde par un bilan de 33-4, dont une défaite pour la première confrontation entre Rens et Savoy. Mais le Black Five chicagoan connaît pas mal de remous en interne. Des mouvements et des séparations qui donnent finalement naissance aux Harlem Globetrotters en 1929. À partir de cette date, l’équipe abandonne sa salle du Savoy Ballroom et se concentre sur les tournées organisées par Abe Saperstein. L’homme qui va prendre lentement mais sûrement le contrôle des Trotters.

Les Globetrotters pas dans la même cour que les Rens

Pendant que les Rens jouent dans les grandes villes contre des équipes réputées – mais aussi des blases moins ronflants pour faire gonfler leur bilan – les Harlem Globetrotters évoluent dans des bleds paumés. Comme souvent dans la provocation et l’hyperbole, Saperstein n’hésite pas à remettre en cause le titre de Colored Basketball World’s Champions des Rens devant les journalistes du Midwest où les Trotters tournent. Côté Rens : aucune réaction. Bob Douglas et ses hommes savent très bien que leurs homologues ne jouent pas dans la même cour, même s’il y a du talent chez les Trotters.

Les Rens se frottent à des équipes pros renommées. Leurs rivaux auto proclamés affrontent la plupart du temps les fermiers du coin. Mais cette différence d’adversité et l’absence de réponse de Bob Douglas ne ferment pas la bouche de Saperstein qui déclare donc que les Rens refusent le challenge. Certes, il rêve certainement de pouvoir les affronter. Mais même dans son délire, le boss des Trotters sait certainement que le mieux pour lui actuellement est que le match se déroule dans la presse plutôt que sur les parquets où il n’a aucune chance. Ce qui ne l’empêche pas l’année suivante de poursuivre dans sa provocation.

Bragging rights

Pour lui, comme les Rens ne veulent pas jouer contre les Trotters, il attribue rétroactivement les derniers titres de champions afro-américains aux siens. Cela sur plusieurs années. Comme toujours, ses fanfaronnades se font à bonne distance d’Harlem, au milieu des tournées dans le Midwest. D’une part car sa pub touche avant tout ce coin des USA où les Trotters jouent régulièrement. Mais aussi car il sait que personne ne viendra vraiment le contredire.

D’ailleurs, même à Chicago, berceau des Trotters, la presse ne se fait pas d’illusion. En début d’année 1934, alors que les Rens sont en déplacement sur les bords du Lac Michigan, la presse locale est dithyrambique, parlant de perfection sportive au sujet de l’équipe de Bob Douglas. Pire, elle n’évoque même pas les Trotters comme concurrent potentiel des Rens.

Ce qui se comprend aisément, car pendant que les Rens se perfectionnent avec rigueur, les Trotters jouent de plus en plus les clowns. Deux salles, deux ambiances. Deux zones d’influence différentes. Si la réputation des Globetrotters dans le Midwest et même encore plus à l’Ouest est au sommet, ce sont toujours les Renaissance qui sont les boss à l’Est du pays. Cela agace Abe Saperstein qui ne veut plus vivre dans l’ombre de ce rival.

Abe Saperstein vs Bob Douglas

Les deux boss des Black Fives sont de parfaits opposés. Des extrêmes même. Deux hommes, deux caractères. Et une relation glaciale. Si Bob Douglas ne doute pas tellement du talent des Harlem Globetrotters, il n’aime pas ce que Saperstein en fait. Pour lui, il faut respecter l’adversaire et le jeu. Les clowneries des Trotters ne rentrent pas dans cette ligne directrice. Question de dignité, qui est aussi importante que la victoire pour celui qui veut tirer vers le haut la communauté afro-américaine. Pour Abe, l’ambition repose bien plus sur la célébrité et le cash qui rentre. Si pour cela il faut donner au public blanc l’image de joueurs noirs dociles afin d’attirer la foule, la question des avancées sociales ne l’importe peu.

Les Harlem Globetrotters étaient devenus l’image que l’Amérique blanche se faisait d’une équipe afro-américaine de basketball. Tant que les Noirs étaient des clowns, roulant leurs adversaires plutôt qu’en se montrant plus rusés qu’eux tout en parlant un Anglais à peine compréhensible, ils avaient le droit de gagner. C’était d’autant plus vrai que ceux qui profitaient de leur spectacle étaient des blancs comme Abe Saperstein, leur propriétaire. – Richard Lapchick, fils de Joe Lapchick un ancien joueur des Original Celtics qui se sont frottés aux deux Black Fives.

Ce sont deux visions qui s’opposent. D’un côté celle du “New Negro”, cher à la Renaissance d’Harlem. Donc d’une certaine façon aux Rens qui en sont les représentants sur les parquets. De l’autre, un retour au Minstrel show accompagné des stéréotypes raciaux que cela implique.

Pour Douglas, ce spectacle ridicule fait reculer la place des Afro-américians dans le sport. Et par conséquent dans la société. Les Blancs ne se rendent pas forcément compte de l’aspect raciste du jeu caricatural des Trotters. Pour certains, ces caricatures sont même leur vision des Afro-américains. Bob Douglas pour sa part le voit bien. Et n’aime pas ça. Cela s’oppose à tout ce qu’il a mis en place. Tout ce qu’il a construit avec les siens, en termes de travail, de dignité, de sérieux. La communauté le rejoint d’ailleurs. Le succès des Trotters et la manière dont il est obtenu efface tous les sacrifices fournis par les Rens depuis de longues années

Abe Saperstein est mort en millionaire parce qu’il a donné aux Blancs ce qu’ils voulaient. Quand je partirai, ça sera sans un sous en poche, mais avec ma conscience. Je n’aurais jamais transformé le basketball en spectacle burlesque. Je l’aime trop pour cela. – Bob Douglas se rappelant cette rivalité en 1979.

Chicago vs New York, Bronzeville vs Harlem, Globetrotters vs Rens, Saperstein vs Douglas. Le tableau est posé pour cette rivalité qui doit désormais se régler sur les parquets. Mais pour cela, il va falloir se mettre d’accord au moins sur un point pour les protagonistes. Comment mettre sur pied cette rencontre pour définir le king du basketball afro-américian alors que les thirties touchent à leur fin.

Source : Spinning the Globe: The Rise, Fall, and Return to Greatness of the Harlem Globetrotters de Ben Green