Harlem Globetrotters vs New York Renaissance – Part 2 : le World Pro Basketball Tournament comme juge de paix

Le 27 mars 2022 à 09:54 par David Carroz

New York Renaissance vs Harlem Globetrotters et Abe Saperstein vs Bob Douglas
Source image : Youtube, montage TrashTalk

New York Renaissance vs Harlem Globetrotters. Une rivalité qui sonne comme un derby de Big Apple pour savoir qui va s’asseoir sur le trône de la balle orange. Pourtant, si  la question du règne et du pouvoir entre les deux équipes aux visions et aux trajectoires bien différentes se pose bien, cette lutte oppose en réalité un Black Five new-yorkais à un autre chicagoan. Elle concerne le basketball afro-américain lors de la première moitié du vingtième siècle.

Alors que la hype des Harlem Globetrotters s’accroît, il reste un obstacle de taille à surmonter pour les hommes d’Abe Saperstein : les New York Renaissance qui règnent au sommet du basketball afro-américain – et même de la balle orange en général. Une équipe bien différente de la leur dans sa vision portée par le propriétaire Bob Douglas qui refuse de répondre aux provocations de son homologue jusqu’en 1939.

“We want Rens”

Cette année-là, Abe Saperstein et les siens surfent sur le succès. Rien ne semble pouvoir les arrêter. Sauf un petit caillou que sont les Rens. Ceux qui continuent de leur voler la vedette mais surtout le cœur des Afro-américains. Il reprend donc son entreprise médiatique pour attaquer son rival. Il faut dire qu’une victoire sur les Original Celtics quelques mois plus tôt a boosté sa confiance, si cela était nécessaire. Bien que les hommes aux trèfles ne soient plus l’équipe dominante de la fin des twenties et du début des thirties, leur nom pèse encore dans le game et ils restent des références. Il rédige donc un communiqué de presse

Nous voulons les Rens

Les Harlem Globetrotters, une des meilleures équipes afro-américaine de basketball, essaient d’obtenir une rencontre face aux New York Renaissance, les champions du monde du basketball de couleur.

Cette fois-ci, le crime de lèse-majesté n’est pas impuni et Eric Illidge, le bras droit de Bob Douglas répond sèchement. Le message est clair : les Rens considèrent les Harlem Globetrotters comme des clowns et ils acceptent le défi. Ils sont prêts à leur botter le fion, où ils veulent, quand ils veulent. Il souligne au passage qu’Abe s’est déjà permis de dire que les hommes de Chicago ont déjà battu ceux de Harlem, ce qui est faux. Si les mots ne sortent pas directement de la bouche de Bob Douglas, nul doute qu’il les a tout de même soufflés à son associé vu l’antagonisme avec Saperstein.

La balle est dans le camp des Globetrotters. Subitement ils semblent avoir perdu le numéro de téléphone de la presse et de Douglas. Rien ne bouge. Le fait que les Rens aient répondu suffit à Saperstein, même s’il prend un tacle au passage. Peu importe qu’elle puisse être mauvaise, cette publicité existe donc on parle de lui et ses joueurs. C’est tout ce qui compte. Malgré la pression des journaux afro-américains, aucun arrangement ne voit le jour pour une confrontation. Les Rens remettent alors de l’huile sur le feu. Ils demandent à Saperstein de répondre ou alors de se taire à jamais puisqu’il semble se dégonfler.

La première confrontation

C’est finalement de l’extérieur que le coup de pouce va venir avec la première édition du World Pro Basketball Tournament, en 1939 à Chicago. Les deux équipes sont invitées – les seuls Black Fives de la partie – et se trouvent dans le même tableau. Histoire d’éviter le choc en finale ? N’oublions pas qu’on reste dans une Amérique ségréguée.

Forcément, la hype monte au sein de la communauté afro-américaine, la rivalité est au sommet. Il ne reste plus qu’à jouer le match. Bon ok, à battre aussi les premiers adversaires proposés aux deux équipes pour que la confrontation ait bel et bien lieu. Pas un problème, les Rens s’imposent 30-21 pour leur entrée en lice face aux New York Yankees. Pendant que les Trotters – qui doivent passer un tour de plus – enchaînent deux succès, 41-33 sur les Fort Wayne Harvesters et 41-33 face au Chicago All-Americans.

Le voilà. Le moment de vérité est arrivé, le 27 mars. Bob Douglas, pourtant rarement présent lorsque les siens jouent loin de Harlem, est dans la place, au Chicago Coliseum. Tout comme la presse blanche, qui se moquait jusque là du tournoi ainsi que de la rivalité entre les deux Black Fives – ou de tout ce qui est en lien avec les Afro-américains en général – et qui commence à prendre la mesure du choc. L’expérience est du côté des New York Renaissance, mais les Harlem Globetrotters ne comptent pas passer à côté de l’occasion.

Dommage, un 8-1 d’entrée en faveur des New-yorkais scelle quasiment l’issue du match. Certes, les hommes de Saperstein réussissent un run en fin de rencontre pour se rapprocher, profitant d’un léger relâchement adverse. Mais dans les ultimes instants, Tarzan Cooper clôt les débats pour une victoire 27-23 des Rens. Au plus grand plaisir de la foule composée majoritairement d’Afro-américains. Preuve qu’au sein de la communauté, le cœur penche encore pour Bob Douglas et les siens, même dans l’Illinois. Comme en plus ils remportent la finale dans la foulée, Abe Saperstein va devoir remettre à plus tard son rêve de les détrôner. Pas sûr que les encouragements sur la qualité du jeu des Globetrotters suffisent à consoler les joueurs . Ils ne savent pas s’ils auront une nouvelle opportunité. Pire, ils doivent ruminer cette défaite pendant de longues semaines, leur saison ayant pris fin après le tournoi.

La revanche

Peu enclin à se laisser marcher dessus, Abe Saperstein passe à l’action pour pouvoir inverser le cours de l’histoire. Conscient des limites de son effectif face à celui de Douglas plus grand, plus fort, plus solide, il se met en tête de le retoucher, si besoin en profondeur. Tout d’abord en tentant d’attirer dans son Black Fives des joueurs des Rens en leur proposant de plus gros contrats. En vain. Il faut alors se pencher vers d’autres solutions. C’est vers l’Ouest du pays qu’il se tourne, loin de l’influence de son rival.

La refonte est en marche et la saison suivante confirme la montée en puissance de cette nouvelle génération. Des Harlem Globetrotters en mission qui laissent de côté les gags et sketchs pour coller des branlées et se préparer au mieux à une éventuelle confrontation à venir face à leurs rivaux. Une version Daft Punk : better, faster, stronger qui va avoir le droit de disputer sa revanche. Toujours au World Pro Basketball Tournament, en mars 1940.

Pour la seconde édition du tournoi, les deux équipes se retrouvent dès les quarts de finale. Les Rens attaquent une fois de plus pied au plancher pour prendre le large, mais cette fois-ci les GlobeTrotters reviennent vite dans la rencontre. Le match est bien plus serré que la première manche et se joue dans les derniers instants pour tourner en faveur des hommes d’Abe Saperstein. Une victoire qui aurait dû leur valoir le titre, mais comme lors de la première édition, les organisateurs ont bien pris le soin d’éviter que la finale puisse opposer les deux Black Fives, peu importe qu’ils soient les deux meilleures équipes en lice.

Les Globetrotters doivent encore cravacher. Avec un soutien de poids. Car si Douglas et Saperstein ne peuvent pas spécialement s’encadrer, les joueurs, eux, se vouent un immense respect. Si bien que lors de la finale, les Rens sont aux premières loges pour encourager leurs rivaux. Ils ont perdu leur titre, mais est-ce si grave si ce sont d’autres Afro-américains qui récupèrent le flambeau ? Ils sont d’ailleurs également présents pour célébrer le succès des Trotters lors des festivités organisées à Bronzeville.

Une passation de pouvoir

C’est désormais au tour des Rens de chercher à rejouer les Trotters. Eric Illidge réclame régulièrement une belle. Pour lui, les Globetrotters ont eu du bol. Les New York Renaissance ont joué leur pire match depuis des années, et malgré cela l’écart n’est que de un point. Une demande qui reste lettre morte, les deux Black Fives ne s’affrontent plus pendant plusieurs années. Si les hommes de Douglas conservent un bon niveau, ils sont désormais dépassés par la popularité de leurs rivaux. Les courbes sont inversées, déclin pour l’équipe d’Harlem, explosion pour celle de Chicago. Les dynamiques sont inversées.

Pendant que les Globetrotters surfent sur leur succès, les Renaissance amorcent leur déclin. Moins préparés pour sillonner les petites villes du Midwest, moins ancrés loin de NY et de l’Est, donc en difficulté pour faire rentrer de l’argent lors de la Seconde Guerre mondiale, ils voient leurs rivaux prendre de l’ampleur.  Les Trotters ont trouvé leur créneau, qu’ils connaissent et maîtrisent depuis des années maintenant.

Le dernier affrontement entre les deux Black Fives se déroule une fois de plus lors d’un World Pro Basketball Tournament, celui de 1944. Les deux équipes se font sortir en demi-finale et se disputent donc la troisième place. Les Trotters s’imposent pour laisser dans les livres d’histoire une marque de 2-1 en leur faveur face aux Rens.

Après le conflit mondial – bien mieux géré par les Trotters – l’écart est encore plus grand. Les meilleurs Afro-américains privilégient l’équipe de Saperstein, peu importe leur situation géographique. Lentement mais sûrement, les Rens disparaissent de la carte, au profit des hommes des Globetrotters dont l’influence et la médiatisation ne cesse de grandir.

Pire, en 1949 : Douglas loue les Rens à Saperstein pour les warm-ups des Trotters, symbole des trajectoires opposées. Deux ans plus tard, il reprend la main sur son équipe pour repartir en tournée. Mais la renommée et la gloire sont désormais loin. Les Globetrotters encore plus, leur terrain de jeu devenant le monde entier. Ce sont eux qui sortent gagnant de cette rivalité d’un point de vue médiatique, les New York Renaissance étant souvent oubliés dans l’histoire de la balle orange.

Source : Spinning the Globe: The Rise, Fall, and Return to Greatness of the Harlem Globetrotters de Ben Green