Nikola Jokic perpétue la lignée des pivots MVP : 21 ans après Shaquille O’Neal, le Serbe rappelle l’existence de la raquette à nos enfants

Le 09 juin 2021 à 17:40 par Arthur Baudin

Pivots
Source image : montage TrashTalk via YouTube

Sortez les cuirasses et rangez vos skills d’enfants pourris gâtés, la viande est de retour dans vos magasins Adam Silver. Oubliée la tendance aux jets de caillasses, à l’habile insolence et aux remuantes fulgurances, l’élection de Nikola Jokic vient remettre les pendules sur les T et les barres à l’heure. Débrief.

Paraît-il que pour devenir le meilleur joueur de basket-ball au monde, il serait impératif de bosser sa détente, son explosivité et son cardio. Ponctuation d’une blague qui a trop duré, les nutritionnistes recommandent leurs services aux joueurs NBA. De côté tous ces charlatans déshumanisants et allergiques au moindre soupçon de diabète, le vrai bonhomme n’en a que faire de ces règles despotiques. Mais alors, comment dominer ? Si l’on se fie au profil de Nikola Jokic – tout juste élu MVP de la saison 2020-21 – soyez grands et croquez la vie à pleines dents : « Je te rajoute un peu de fromage sur ta raclette ? Oh oui, avec plaisir, il faut que je sois drafté l’an prochain ». Ce qui était précédemment une simple boutade entre deux beaufs va-t-il devenir un dialogue audible dans tous les centres de formation ? Si cela vous fait bizarre, il faut dire que les années 2010 ont passé sous silence les carrières de nombreux postes 5. On pense à des types comme Andre Drummond ou Hassan Whiteside qui auraient sûrement vendu plus de jerseys en 1994 que lors de cette décennie. D’autres se sont imposés dans la peinture avant de subir les nouveaux codes qui ont fait du jeu extérieur, une figure de proue dans la NBA moderne. Symbole de ce constat, Dwight Howard, arrivé second juste derrière Derrick Rose dans la course au MVP 2011. L’ancienne gloire du Magic s’est ensuite envolée pour Houston où il a passé trois années dans l’ombre de James Harden. Comportement coupable ou non, difficile de croire que – même s’il s’était enfilé trois litres de Jager avant chaque match – cela se serait passé de cette façon dans les nineties. Bis repetita pour Tyson Chandler, Marc Gasol et Joakim Noah. Ces gars-là ont eu des moments de lumière – d’accord – mais vos enfants porteront-ils fièrement leurs flocages ? Beaucoup de sueur, mais pour quel héritage ?

C’est la première fois depuis Shaquille O’Neal en 2000 qu’un poste 5 est élu Most Valuable Player en NBA. Ce n’est donc que la deuxième fois en 26 ans, les Steve Nash, Kobe Bryant, LeBron James, Stephen Curry et autre Giannis Antetokounmpo ayant pris le relais de ces grosses brutes impétueuses. On a également eu une belle mouvance sur le poste 4 avec des garçons comme Tim Duncan, Dirk Nowitzki et Kevin Garnett, brillants de par leur mobilité et un jeu détaché du bastion. Ainsi, est-ce too much de parler d’une petite révolution quant à l’élection de Nikola Jokic ? Pas du tout, son profil respire l’authenticité et représente excellement la nouvelle génération de pivots. Accrochez-vous bien puisque quelques années après leurs compères extérieurs, les postes 5 sont en train de gagner en polyvalence. Comme un retard comblé, le shoot extérieur se perfectionne, leur handle n’est plus qualifié d’alogique et certains gambadent comme LeBron derrière Iggy. Zoom en 2034, les guards ne sont alors plus que des pivots privés de leurs centimètres. Le plus petit joueur de la Ligue est J.J. Barea Jr. et survit grâce à ses floaters du parking. Retraité aigri, Stephen Curry parle d’un « Hunger Games constant » pour ses homologues de taille. Plus sérieusement, même si Rudy Gobert est toujours à des années lumières de pouvoir dribbler dans le dos, ce retour en force du jeu intérieur nous fait prendre conscience que – contrairement au foot – le basket-ball est encore loin de taper son plafond. On le voit également avec Joel Embiid, arrivé deuxième derrière Nikola Jokic dans la course au MVP. Si ce n’est de la modestie et du calcium dans les jambes, que manque-t-il réellement au Camerounais ? D’autant plus flippant quand on sait que – partout dans le monde – les clubs adaptent leur formation aux tendances dominantes du moment. Dans 10 ans, Nikola Jokic, Joel Embiid et Anthony Davis seront-ils des banalités parmi tant d’autres ? L’idée est forte et les traits un peu gros, mais la balance se rééquilibre enfin.

Jokic is the first center to win the NBA MVP award since @SHAQ in 2000 💪 pic.twitter.com/mgsyWAMpnu

— SportsCenter (@SportsCenter) June 8, 2021

L’heure de la cohabitation, enfin ? C’est en tout cas ce vers quoi tendent les météorologues pour la décennie 2020-2029. Jamais – au grand jamais – la répartition du jeu entre intérieurs et extérieurs n’a été aussi harmonieuse. Bien que les années 2000 furent le parc d’attraction des paires Steve Nash – Amar’e Stoudemire, Kobe Bryant – Shaquille O’Neal ou encore Tony Parker – Tim Duncan, la décadence médiatique de cette période traduit un certain égarement en quête de cet équilibre. Aujourd’hui, peu nombreuses sont les équipes qui ne cherchent pas à bâtir un effectif complet. Si en 2001 on pouvait foutre Allen Iverson avec Nazr Mohammed et un Dikembe Mutombo vieillissant dans la raquette, Donovan Mitchell doit aujourd’hui avoir son Rudy Gobert, Trae Young son Clint Capela, Damian Lillard son Jusuf Nurkic et Malcolm Brogdon son Myles Turner. Combler ce que le talent ne peut pas faire tout seul avec un Renault Trafic ô combien utilitaire, c’est l’idée. Mais l’inverse marche aussi ! On le voit avec Joel Embiid qui dépend de ses faiseurs de rythme, avec Nikola Jokic qui compte sur ses extérieurs pour multiplier les coupes, avec Anthony Davis qui – actuellement – ne peut pas colmater ses manquements par la bonne forme de ses extérieurs. Dès que l’équilibre est brisé, cela affecte indubitablement les résultats collectifs. Voilà pourquoi l’on peut d’ores et déjà pronostiquer une décennie diversifiée où le pull-up de Trae Young, les balades de Luka Doncic et la prose intérieure de Nikola Jokic vaudront tous trois autant sur l’échelle de l’efficacité. Oui, le basket-ball, c’est un sport d’équipe.

Les pivots élus Most Valuable Player en NBA

  • Nikola Jokic : MVP 2020-21
  • Shaquille O’Neal : MVP 1999-00
  • David Robinson : MVP 1994-95
  • Hakeem Olajuwon : MVP 1993-94
  • Moses Malone : MVP 1978-79, 1981-82, 1982-83
  • Bill Walton : MVP 1977-78
  • Kareem Abdul-Jabbar : MVP 1970-71, 1971-72, 1973-74, 1975-76, 1976-77, 1979-80
  • Bob McAdoo : MVP 1974-75
  • Dave Cowens : MVP 1972-73
  • Willis Reed : MVP 1969-70
  • Wes Unseld : MVP 1968-69
  • Wilt Chamberlain : MVP 1959-60, 1965-66, 1966-67, 1967-68
  • Bill Russell : MVP 1957-58, 1960-61, 1961-62, 1962-63, 1964-65

Comme quoi, rien ne fonctionne mieux qu’un bon coup d’épaule bovin pour se rendre au cercle. La cause étant Stéphane et Damien, beaucoup donnaient les intérieurs comme une espèce en voie de disparition. Rouvrons les bouquins et corrigeons notre erreur, Nikola Jokic vient de réécrire l’histoire. 


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