Article proposé par Gauthier Deba, rédacteur bénévole et spécialiste jeux vidéo, parce que la vie est plus belle quand on balance des gros pixels orange dans un cercle de forme rectangulaire.
Sources texte : ESPN, 1up.com, Ars Technica
Le 07 nov. 2020 à 11:54 par TrashTalk
Parmi les licences de jeux vidéo, NBA Jam est l’une des plus emblématiques tous sports confondus. Les Big Heads, les dunks acrobatiques et les punchlines du speaker vous disent forcément quelque chose. Sorti en 1993 sur arcade avant d’être porté sur une myriade de plateformes, l’histoire de NBA Jam est pavée d’anecdotes en tous genres. Chez celles et ceux qui ont pu se frotter au jeu, les souvenirs restent souvent impérissables. On se penche sur l’origine de cette référence incontournable du paysage vidéoludique de la grosse balle orange.
Au début des années 1990, la société Midway Games bénéficie d’une solide réputation dans le monde du jeu vidéo, spécifiquement celui de l’arcade. Le dernier succès en date n’est d’autre que Mortal Kombat sorti en 1992, un sanglant concurrent à Street Fighter qui assure au studio une certaine réserve de picaillons. Toutefois, les développeurs font grise mine en voyant la courbe de ventes de leur dernier shooter Total Carnage en demi-molle. Les attentes commerciales ne sont pas atteintes, il s’agit de retrouver un peu de vigueur avec un nouveau titre. Par conséquent, Mark Turmell, développeur et designer, ira chercher l’inspiration dans le passé. Il tombera sur le jeu de basketball au succès relatif ; Arch Rivals, sorti en 1989. L’idée est simple : implémenter les personnages digitalisés tirés des jeux NARC et Mortal Kombat à Arch Rivals. Après avoir travaillé seul sur le prototype, Mark Turmell montre le résultat à Neil Nicastro, le patron d’alors. Satisfait, ce dernier reconnait toutefois que voir Sub Zero cagoulé avec une dégaine de basketteur sur le corps donne le tournis.
Ainsi, le studio de développement envoie à la NBA une VHS sur laquelle une démo plus avancée du jeu a été enregistrée. Seulement, l’idée d’apposer son logo sur les bornes d’arcade donne des sueurs à Tonton David qui s’efforce de polir l’image de la Ligue avant tout. A New York, ville où se situe le siège de la NBA, les salles d’arcade sont parfois situées dans des coins lugubres où les dealos croisent des types de mauvais augure auxquels il serait sage de ne pas être associé. De plus, Arch Rivals ne constitue en aucun cas le meilleur argument pour calmer les angoisses des décideurs de la Grande Ligue. Bien entendu, les bornes arcade ne sont pas systématiquement installées dans des coupe gorges sans issue où papa rentrerai en chaussette et les poches retroussées après une partie de NBA Jam. Midway fait parvenir une deuxième vidéo dans laquelle ils mettent en valeur des lieux plus propice au bonheur de la famille américaine modèle jouant sur une borne. De fait, outre la visibilité évidente qu’apportent les bornes arcade, Midway assure que la NBA ne doit pas s’inquiéter pour son image. Les deux partis trouvent un accord ; pour chaque borne vendue (2000 dollars pièce), la NBA empoche 100 billets verts de royalties.
Bien qu’Arch Rival ait servi de fondation, NBA Jam ne ressemble à rien d’autre sur la scène du jeu de sport. Sur le plan graphique, l’utilisation des personnages digitalisés apporte pléthore de détails participant à un réalisme final saisissant. Un réalisme qui tranche avec des choix artistiques radicalement différents à l’image des visages disproportionnés et caricaturés. Le caractère exagéré des animations, à l’instar des sauts gigantesques, ne tire pas son origine de l’imagination des créateurs mais est le fruit de tests empiriques réalisés par l’équipe. Ce travail de mixologues s’achève sur un cocktail sur-vitaminé dans lequel les contres autoritaires prennent le relais des dunks spectaculaires. Dans des matchs où les axes verticaux et horizontaux s’équipollent, seuls les goaltendings barbares sont répréhensibles tandis que le reste dépend grandement du skill des joueurs. Substantiellement, le gameplay fait le café en favorisant à outrance le jeu rapide.
La première version du jeu embarque les 27 franchises NBA et 54 joueurs. Dans un souci de cohérence, l’équipe de développement décide d’attribuer aux joueurs des statistiques sous forme de jauges plus ou moins remplies. Les critères retenus sont la vitesse, la défense, le dunk et les tirs à 3-points. De fait, artiller comme un cochon derrière l’arc avec Mutombo ne s’avère pas productif. Malgré tout, il est toujours possible d’apprécier ce buffle de Karl Malone s’empoigner l’entrejambe – “Grab his Johnson !” – 3 mètres au-dessus du panier avant de violenter un Marcel Larceau aux abois. C’est peut-être la plus belle description de NBA Jam.
Fondamentalement orienté run and gun, le jeu repose uniquement sur des rencontres 2-on-2 composées de quatre quart-temps de trois minutes. Bien qu’il soit possible de jouer seul, le jeu expose tout son potentiel à travers les modes multi-joueurs. Le choix est donné à deux joueurs de s’affronter ou de jouer ensemble. Si ces derniers s’entendent correctement, des combinaisons variées peuvent être exécutées. Lorsqu’un joueur plante trois paniers consécutifs, celui-ci passe au stade Super Saiyen illustré par un ballon on fire. Ainsi, il bénéficiera d’une meilleure réussite aux shoots, d’une détente améliorée et d’un mode Turbo – endurance – inépuisable jusqu’à que l’adversaire mette fin au carnage en marquant à son tour. La borne arcade permet à quatre joueurs de prendre les commandes pour une expérience multijoueur entière. Afin d’animer des parties multijoueur, Midway n’a pas hésité à subrepticement laisser la possibilité de contrer la balle lorsque celle-ci amorce à peine sa descente. Le tout est saupoudré d’une pincée de hasard pour laisser un siège confortable à la mauvaise foi.
Dès lors, peut-on formuler autre chose que des éloges sans passer pour un rageux derrière son clavier ? Le seul regret qui puisse légitimement être exprimé est l’absence de deux joueurs au casting : Gary Payton et Michael Jordan. Le premier ne passe pas le cut lors de la sélection des joueurs jeu – le tandem Kemp – Schrempf représente Seattle – alors que le second gère sa propre image. En 1993, l’autorisation d’exploitation de His Airness appartient à Electronics Arts, acquise pour réaliser le jeu de plateforme Michael Jordan : Chaos in the Windy City. Mécaniquement, MJ ne figurera pas et la fabrication des bornes démarre. Bien plus tard, Midway recevra un appel d’un distributeur qui leur informe que The Glove – qui profite d’une notoriété est désormais plus importante – “paierai le prix qu’il faudra pour apparaitre dans le jeu”. Une historiette qui ne surprendra personne. Midway transmet alors au joueur les consignes pour prendre des photos qui puissent être intégrées. Les développeurs reçoivent ainsi les images du meneur et… de MJ qui semble également vouloir s’inviter. Par la suite, une petite quantité de bornes comportant les deux chambreurs d’élite avec sera produite. Une autre grande gueule fera le chemin inverse en disparaissant du jeu. Charles Barkley rejoint Accolade qui bosse sur le jeu Barkley Shut Up and Jam, très similaire à NBA Jam.
Bien. Maintenant parlons moula, parlons pèze, parlons Saint-Frusquin. La prise en main intuitive des contrôles et cette promesse de pouvoir doucher son adversaire toutes les 20 secondes font parties des ingrédients qui ont propulsé les ventes. L’immédiateté du plaisir n’aura d’égale que celle du succès. NBA Jam s’impose comme l’un des titres arcade les plus en vogue. Le jeu rapporte plus d’un milliard (!) de dollars au cours du premier trimestre de sa sortie. Un record absolu. Les bornes, dont les caisses doivent être vidées tous les jours, génèrent chacune près de 2000 brouzoufs par semaine avec une pointe située à 2 468 dollars pour une seule d’entre elles. Pour le site ESPN, Mark Turmell relate un fait divers qui illustre l’enthousiasme ambiant : une borne à due être éteinte après le déclenchement d’une baston survenue à Chicago opposant des joueurs les doigts visiblement collés au joystick contre ceux qui attendaient leur tour. En tout, ce seront 20 000 bornes qui seront monnayées aux USA.
Un succès sur arcade implique nécessairement des portages sur les machines domestiques. Pour cela, dites bonjour à la société d’édition Acclaim Entertainment qui suit une stratégie consistant à acheter des droits d’exploitation de jeux ou de licences préexistants pour lancer des versions consoles. Elle avait passé un deal lui autorisant à récupérer tous les droits des jeux de Midway pour gérer les portages des jeux sur les consoles de salon et portables. En contrepartie, le studio touche des royalties pour chaque cartouche vendue. Son co-fondateur Greg Fischbach perçoit d’emblée le potentiel lucratif d’une sortie de NBA Jam sur les consoles de salon. Au site 1up.com, il pose la question :
“Vous vendez 15 000 bornes d’arcade à 2 000 dollars pièce et 2 millions de copies d’un jeu à 40 dollars, à votre avis quelle version a le plus de succès ?”
De son côté, Mark Turmell, lucide, estime qu’Acclaim doit essentiellement son succès grâce aux titres Mortal Kombat et NBA Jam. Pendant ce temps-là, on tire la gueule dans l’open space de Midway. A ce propos, le développeur Shawn Liptak évoque au journaliste Matt Leone le dégout avec lequel l’équipe de développement a reçu la nouvelle :
“Il y avait ce sentiment général que Acclaim était en train de faire plus d’argent avec notre jeu que nous n’en faisions nous-même. […] Ils se sont appropriés notre jeu et ont mis leur nom dessus.”
Sous la coupelle d’Acclaim, Iguana Entertainement, studio de développement texan, doit choisir : travailler sur le portage de Mortal Kombat ou de NBA Jam. Jeff Spangenberg penche du côté du jeu de basket qu’il considère comme étant meilleur (comme si on pouvait comparer NBA Jam et Mortal Kombat, Jeff) et non violent. Grand bien leur en a pris, les revenus annuels de la boite crèvent le plafond avec 5 million de dollars encaissés.
L’amertume des géniteurs de NBA Jam ne ralentit pas Acclaim. En investissant 10 millions de dollars, l’éditeur se jette dans une campagne promotionnelle de grande envergure diffusant des spots publicitaires télévisés en prime time et dans 1 400 cinémas. Les portages reçoivent un excellent accueil critique par la presse spécialisée et les joueurs. Techniquement, les monolithes de 16-bits ne peuvent pas rivaliser avec la puissance des bornes d’arcade. De ce fait, les sacrifices sont incontournables. Concrètement, les graphismes restent de haute volée mais perdent en détails. La version Genesis accuse des couleurs fadasses et sur les deux consoles la qualité du son est réduite. Ces limitations poussent les développeurs à figer le public pour garder un maximum de fluidité dans les animations. Globalement, ce sont des défauts imputables aux performances des plateformes. Iguana Entertainement peut plaider non-coupable. Sur la Sega GameGear, le constat s’avère plus contrasté. L’expérience de jeu n’est pas désagréable mais aucun miracle visuel ne se produit sur un écran de 3,2 pouces. Des pauses régulières sont indispensables pour soulager les yeux avant que les globes oculaires ne prennent la tangente.
Quoiqu’il en soit, l’important est ailleurs. Le plaisir de jouer reste intact grâce à ce gameplay aux petits oignons. Toutes les équipes, tous les dunks, toutes les punchlines et le mode Turbo répondent à l’appel. Un système de mot de passe permet de sauvegarder la progression dont la finalité consiste à battre les autres équipes pour devenir le NBA Jam Champ. Le mode multijoueur promet de passer de bons moments à plusieurs pendant les jours de pluie. Pour les mieux équipés – d’un Hudson Multitap sur Super Nintendo par exemple – un foursome entre personnes de bonne famille peut s’organiser en tout bien tout honneur.
Comme pour la version arcade, les deux aboyeurs Gary Payton et Michael Jordan ne sont pas jouables. L’absence d’un autre grand nom des parquets se fait remarquer : Shaquille O’Neal. Aucune raison officielle n’a jamais été communiquée mais, une fois encore, Electronics Art possède probablement les droits sur l’image du Floridien puisqu’en 1994 Shaq Fu est balancée sur les étals. Enfin, pour maximiser les fins de rencontres serrées, il semblerait que les développeurs aient trouvé une ficelle peu scrupuleuse. Dès que l’écart au score se creuse en faveur du joueur, l’ordinateur step up soudainement. S’en suit un tabassage en règle jusqu’à que le tableau d’affichage s’équilibre. Dite adieu aux blowouts où tout le monde s’ennuie sur le canapé, c’est la magie du gaming comme on dit..!
La NBA Jam a administré des doses de dopamine en injection intraveineuse avec une pelle mécanique à des millions de joueurs. Le Shaq fut également un grand amateur du jeu et puisqu’il n’est pas du genre à talocher des enfants – sauf dans Shaq Fu, on pense à toi Nezo – pour pouvoir jouer sans attendre, il s’achètera deux bornes. L’une restait branchée chez lui pendant que l’autre l’accompagnait durant ses voyages durant la saison avec le Magic. Après avoir martyrisé ses adversaires sur le parquet, il poursuivait le chantier sur NBA Jam. Là aussi, il pouvait compter sur son coéquipier Nick the Brick. Pour la suite de l’épopée du jeu, rendez-vous dans le nouvel épisode de Allez, gaming à base de suites nulles et de scandale avant le renouveau à partir de 2010 !
Article proposé par Gauthier Deba, rédacteur bénévole et spécialiste jeux vidéo, parce que la vie est plus belle quand on balance des gros pixels orange dans un cercle de forme rectangulaire.
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