L’héritage de Daryl Morey aux Rockets : entre ambition, innovation et déception, il ne manquait qu’un titre de champion

Le 18 oct. 2020 à 13:19 par Alexandre Taupin

Daryl Morey 20/06/2020
Source image : Youtube

La Woj bomb est tombée ce jeudi soir : le mariage entre Daryl Morey et les Rockets est terminé. Treize ans après son arrivée au poste de General Manager, “MoreyBall” a décidé de rendre son tablier pour voguer vers un nouveau projet (à l’Est ?). L’occasion de revenir sur l’héritage d’un grand monsieur de Houston. 

En 1789, Benjamin Franklin disait : rien dans ce monde n’est certain, à part la mort et les taxes. Si l’on devait adapter cette phrase en 2020 pour Houston, on aurait probablement dit : personne dans cette franchise n’est indispensable, à part James Harden et… Daryl Morey. Si certains nous pardonneront cet aparté historique, il est vrai que voir le départ de l’architecte des Rockets a de quoi marquer vu l’ampleur de son œuvre sur la décennie. Certes, les derniers arrivants parleront de l’échec des Playoffs 2020 ou de la crise chinoise qui a coûté des millions à la NBA mais résumer Daryl Morey à ces deux faits serait oublier le travail de mammouth effectué par le bonhomme durant treize longues années.

10 mai 2007, un jeune executive de 35 ans succède à Carroll Dawson, General Manager de Houston. Son nom ? Daryl Morey. Cet ancien du “MIT” sort de trois années en tant que couteau-suisse dans les bureaux des Celtics. A Houston la mission est de taille pour faire oublier celui qui a façonné les années Yao Ming / Tracy McGrady mais le petit nouveau a du temps, et surtout beaucoup d’idées. En 2007, les Fusées sont loin d’être une équipe toute cassée. Au duo magique cité juste au-dessus s’ajoute un groupe de joueurs de devoirs dans lesquels on peut citer Shane Battier, Rafer Alston, Aaron Brooks ou encore Luis Scola. A ce noyau on peut même ajouter Metta World Peace, alors Ron Artest, acquis par le nouveau GM pour une bouchée de pain l’été suivant du côté de Sactown. En 2008-2009, Houston a donc tout de l’équipe poil à gratter à l’Ouest. La concurrence est déjà rude et malgré 53 wins, les Texans ne récoltent que le cinquième bilan de la Conférence. Ils seront néanmoins les seuls à pousser les Lakers, futurs champions, dans leurs retranchements en forçant un Game 7. Des perspectives qui donnent envie mais qui vont vite se dissiper. Après deux belles saisons en régulière mais vite achevées en Playoffs (premier et second tour), l’heure est au renouveau pour Daryl Morey et son équipe. Metta World Peace file chez les Lakers pour faire le back-to-back, Yao Ming se blesse gravement, manquant toute la saison suivante et prenant sa retraite au début de celle qui suivra, tandis que Tracy McGrady qui n’était déjà plus que l’ombre de lui-même sera bazardé aux Knicks. Débutent alors trois années de vaches maigres pour Houston. Qui dit reconstruction dit destruction et par extension… Draft, mais là il y a un hic dans le plan du GM : Leslie Alexander, propriétaire de l’équipe, ne veut pas d’une équipe qui se contente de perdre : il FAUT faire bonne figure. Les Rockets deviennent donc une équipe moyenne, pas assez forte pour viser bien haut mais pas assez mauvaise pour piocher de purs talents. Kevin Martin, acquis dans le trade de T-Mac (encore chez les Kings) fait alors figure de première option avec Luis Scola comme lieutenant. Autant dire que la cote pour le titre n’est pas très élevée. Mais malgré tout, la consigne du boss est respectée, Houston ne finit aucune saison dans le négatif. Trois exercices dans le ventre mou sans la saveur des Playoffs, c’est trop pour DM qui flaire la moindre star à ajouter à son effectif. Et il ira finalement la chercher dans l’Oklahoma.

28 Octobre 2012 : une date à entourer, encadrer, souligner dans la carrière de Daryl Morey.

Un jeune barbu réclame alors la thune qu’il mérite du côté d’Oklahoma City mais Sam Presti fait son difficile : c’est l’occasion inespérée. Incapable de s’entendre sur une prolongation de contrat, James Harden accepte un départ vers Houston en échange de Kevin Martin, Jeremy Lamb et des tours de draft. Les débuts sont tonitruants et le front office tout entier peut souffler : il y a de nouveau une star aux Rockets, et l’avenir s’annonce prometteur. Après une saison de Show Barbudo, l’attractivité des rouges et blancs est à la hausse et ça tombe bien, il y a du free agent de dispo. C’est finalement Dwight Howard qui débarque, laissant un immense goût amer aux rivaux Lakers. Le tandem est constitué et il y a de quoi s’enflammer, on parle de l’un des attaquants les plus impressionnants de la Ligue avec l’un de ses meilleurs défenseurs. Une force de la nature à l’extérieur, une autre à l’intérieur. Très vite, les comparaisons sont lancées, sans doute à tort, et on rêve d’un tandem Kobe-Shaq 2.0 dans la cité des Fusées. La suite s’avérera nettement plus compliquée… Le Projet D12 dure trois ans, soldé par deux éliminations au premier tour et une Finale de Conférence contre des Warriors largement supérieurs. Plus encore que les résultats, c’est l’alchimie entre le combo guard et son pivot qui fait tâche, et il ne faut pas longtemps à Morey pour appuyer sur le bouton reset. Exit McHale puis Bickerstaff et place à Mike D’Antoni, c’est le début de l’ère small ball à Houston.

Petit point important à rappeler à ce moment de l’histoire mais qui a toute son importance : Daryl Morey est un amoureux des “analytics”, comprenez par là les données, les stats avancées. Comment améliorer l’efficacité d’une équipe, quels shoots sont les plus fiables et les plus rentables pour gagner etc etc.. En ce sens, il trouve un grand camarade de jeu avec Mike D’Antoni. Comme l’ancien moustachu des Suns et des Knicks, le GM est persuadé que le tir à 3-points est désormais capital pour envisager la victoire finale, comme le prouvent par exemple Warriors et Cavs. Le run and gun est toujours à la mode et les acquisitions d’un Eric Gordon ou d’un Ryan Anderson vont dans ce sens alors que Clint Capela viendra remplacer Dwight avec efficacité dans la peinture, et surtout sans se plaindre. Le succès est immédiat : Houston remporte 55 victoires. Si la saison régulière est de nouveau au top, les Playoffs restent un problème. Kawhi et le collectif des Spurs sont malheureusement trop forts pour un Ramesse trop isolé. Comment améliorer encore cette équipe et soulager un peu le leader du poids offensif qui pèse sur ses épaules ? Chris Paul a le seum du côté de L.A ? C’est une occasion en or et Pat Beverley, Montrezl Harrell et Lou – Strip Club – Williams en font les frais. C’est encore un pari gagnant et la saison viendra le prouver. Record de franchise, première place à l’Ouest avec 65 wins, cette fois c’est sûr il faudra compter sur eux au printemps. Le plan se déroule sans accroc jusqu’au Game 5 de la Finale de Conf’, moment choisi par la cuisse de CP3 pour faire des siennes. Les Warriors retournent l’avantage et brisent le rêve légitime de titre de Houston. L’équipe n’atteindra plus un tel niveau. Bis repetita la saison suivante et nouvelle déception contre des Warriors toujours aussi forts et dominants. L’ère Chris Paul-James Harden s’achève dans les regrets et les reproches.

Tout comme avec Dwight, l’alchimie entre le meneur et son arrière se dégrade et très vite la question se pose de savoir s’il n’y en a pas un de trop. Le choix est vite fait. Perdre le Point God c’est perdre un gros morceau et l’assurance d’une compétitivité, aussi mieux vaut ne pas se rater sur son remplaçant. Qui a le spleen dans la ligue ? Et pourquoi pas Russell Westbrook, la star du Thunder, annoncé sur le départ ? Le meneur est un monstre de stats mais il échoue à faire passer un cap à sa franchise depuis le départ de Kevin Durant. Le point positif c’est qu’il est comme cul et chemise avec la barbe alors les problèmes d’égo ne se poseront pas. Poussé par le duo Harden-Fertitta (nouveau proprio), Morey tente sa chance malgré certaines inquiétudes. En effet, Brodie a besoin de la balle comme James et s’il va aussi vite que voudrait D’Antoni, il n’a pas le shoot d’un point guard parfait pour du small ball. Tout n’est pas non plus à pointer du doigt, loin de là. Associer les deux joueurs c’est rassembler deux MVP en puissance dans la même équipe et viser les premières places pour plusieurs années. Sur le plan marketing, c’est aussi une magnifique exposition, notamment en Chine où les Rockets sont adulés depuis le passage de Yao Ming. Petit problème : Daryl Morey s’ouvre sur les problèmes sociétaux chinois et se retrouve au milieu d’un énorme tollé médiatique. C’est la fin de l’histoire d’amour entre l’empire du milieu et la NBA : les matchs sont bonnement et simplement déprogrammés. Financièrement le coup est immense pour Adam Silver mais aussi pour la franchise, qui peut faire une croix sur une manne financière non-négligeable. Passé proche du renvoi, le GM va pouvoir voir son œuvre se poursuivre mais mieux vaut assurer les résultats. Sur le papier c’est intriguant et le début de saison va dans ce sens. Efficace d’entrée, Houston cumule onze wins en quatorze matchs mais cela ne dure qu’un temps. Le début d’année 2020 va afficher les doutes sur le jeu des Texans et leurs limites alors que Westbrook et Harden donnent parfois l’impression de se marcher dessus. Daryl Morey n’est pas un homme à faire les choses à moitié et quitte à faire all-in, il va pousser le dévouement à son système à son point le plus extrême en transférant son pivot contre… du shooteur. Mike D’Antoni ne peut plus dire qu’il n’a pas de came pour ses expériences. Une expérimentation qui ne durera pas, par la faute du COVID, qui stoppe la saison seulement quelques matchs plus tard. La reprise donne l’occasion de pouvoir se tester mais le résultat est plutôt inquiétant : Houston est capable du meilleur comme du vraiment pire. Les Playoffs viendront confirmer cette impression avec une qualification en serrant les fesses contre le Thunder de… Chris Paul et une élimination sans appel contre les Lakers.

Une fin de saison cauchemar qui donnait forcément lieu à beaucoup de questions. Quid de l’association Westbrook-Harden ? Continuer le small-ball sans Mike D’Antoni, débarqué quelques semaines après l’élimination de trop ? Comment renforcer l’équipe alors que les finances sont dans le rouge ? Un sacré chantier que l’on imaginait dans les mains de Daryl Morey… mais il n’en sera rien. Si le timing de son départ peut interpeller (l’équipe n’a ni coach, ni GM à un mois de la draft), on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir tout donné pour la franchise. Alors que beaucoup ont fait le dos rond pendant la dynastie Warriors, lui n’a eu de cesse de courir après le titre, prenant des risques et jouant le jeu à fond. C’est aussi la marque des grands. Son départ va laisser un immense vide mais son successeur aura l’effectif et l’attractivité pour permettre de rebondir très vite. Comme quoi, on peut partir en laissant beaucoup sur la table.

Daryl Morey et Houston c’est treize années de vie à deux qui se terminent. Que retenir en priorité ? L’arrivée d’Harden ? La lutte contre les Warriors ? La crise chinoise ? Le méga small-ball ? Un bilan de treize saisons dans le positif ? On vous laisse vous faire votre avis, toujours est-il qu’à travers toutes ses décisions, il a fait de sa franchise une place forte de l’Ouest et ça ne changera pas avant bien longtemps. Le dirigeant n’a pas été champion, mais l’homme en avait la carrure. 


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