C’était un 19 février : le chantier d’Ersan Ilyasova face aux Nets, une prestation oubliée

Le 19 févr. 2020 à 08:23 par Theo Boxberger

En NBA, la lumière est souvent faite sur les stars, les mecs qui mettent des points à ne plus quoi savoir en faire, ceux qui ont toujours une petite décla qui peut régaler la presse. Mais il y a des garçons plus discrets, qui se mettent au service du coach et de l’équipe et qui font le travail de l’ombre. Ces joueurs-là sont parfois tout aussi important pour un effectif qu’un énorme scoreur. Ersan Ilyasova fait partie de ces gars-là… et on revient aujourd’hui sur sa masterpiece.

Il est 19 heures au Prudential Center de Newark dans le New Jersey lors d’une charmante soirée de février 2012, et les Bucks sont venu affronter les Nets dans un match au sommet de l’Est (ou presque). Dans cette saison de lock-out, seulement une trentaine de matchs se sont joués jusque-là. Les Bucks, menés par Brandon Jennings, sont à une neuvième place intéressante, en embuscade donc pour les Playoffs, lorsque l’équipe du New Jersey est est à la treizième place de l’Est. Un choc on vous dit. On s’attend donc à une vieille rencontre entre deux équipes qui se cherchent encore et personne ne peut alors se douter que l’ailier turc floqué du numéro 7 va réaliser ce soir-là… le meilleur match de sa carrière. On commence tranquillement le premier quart en se chauffant légèrement, Ersan est en former et les paniers rentrent. Une sympathique soirée s’annonce, et elle commence avec 8 points et 11 rebonds en quelques minutes seulement. Arsène reviendra dans le second acte histoire de prendre un petit rebond, mettre un tir du parking et quelques lancers. Au retour des vestiaires, l’actuel coéquipier du Greek Freak n’est pas rassasié. Le match est relativement serré jusque-là, et les Bucks doivent le gagner pour espérer pouvoir recoller aux équipes qui sont alors qualifiables pour les Playoffs. C’est le soir d’Ilyasova, c’est écrit, et le garçon ne vas pas s’arrêter en si bon chemin. La franchise du Wisconsin va d’ailleurs mettre la machine en route. Ils créent l’écart dès le début de la seconde mi-temps et ne seront jamais rejoint. Dans cette période ? L’ailier fort va encore chopper 13 rebonds et foutre 15 pions, mais il sortira finalement en prenant une sixième faute. Stats finales ? 29 points et… 25 rebonds. Pour se rendre compte du délire, disons que depuis la saison 1999-00, il n’y a eu que 25 prestations en 25-25. Et Ersanito est en compagnie de garçons très sérieux. On parle par exemple de Chris Webber, Anthony Davis, Kevin Garnett, Dwight Howard, le gros Shaq, Dikembe Mutombo pou encore Rudy Gobert. Et dans cette liste, Ersan Ilyasova est au passage celui qui a le plus chipé de ballons dans la raquette adverse avec 13 rebonds offensifs. De plus, pour ce genre de perf’, il fait partie de ceux qui ont passé le moins de temps sur le parquet. En effet, avec 36 minutes jouées, il se classe troisième en termes de minutes jouées pour taper ce fameux 25/25. Ça classe un homme. Le problème ? C’es peut-être celui de sa vie. Car le même soir Russell Westbrook fout 40 points sur la tronche des Nuggets, KD en met 51, et Serge Ibaka est en triple-double avec 11 contres. De quoi éclipser une prestation bien costaud, une performance remarquable mais qui à l’image du joueur reste méconnue ou sous-cotée. Alors on se permet : mais qui est donc le forward des Bucks ?

Quand on évoque en long et en large un joueur, on en revient souvent à son enfance. Où a grandi le joueur, dans quelle ville, quelle était la situation de la famille, aimait-il la purée, etc etc. Parfois, l’enfance et le contexte familial d’un gamin permet de comprendre l’homme qu’il est devenu, et parfois on aime juste les belles histoires. Pour Ersan… disons que ce sera un peu plus compliqué que ça. Pourquoi ? Car la première fois que l’on entend parler du poste 4, ce dernier dispute le championnat turc Junior avec son équipe d’Ulkerspor, et s’il le gagne ce ne sont pas ses performances sportives qui vont faire parler de lui. Non, pas vraiment. En réalité, c’est plutôt une polémique qui l’entoure. Après le championnat remporté, il s’apprête à enchaîner avec les Championnats d’Europe U16 avec la Turquie, dont il a été au passage MVP de la phase de qualification. On est en juin 2003 et la compétition arrive à grand pas. Ersan n’attend que de pouvoir en découdre à Madrid et confirmer sa domination en phase de qualification. Mais la fédération ouzbeke porte réclamation sur le joueur. Pour eux, Ersan n’est pas Turc mais il est Ouzbek. De plus, il n’aurait pas 16 ans mais 19. Les Ouzbeks avancent également qu’en août de l’année précédente un dénommé Arsen Ilyasov, né en 84, passait la frontière turque. Mais depuis… plus rien. En septembre 2002, soit un mois plus tard, un habitant d’Eskisehir, une ville de la province nord-ouest de la Turquie, vient déclarer son fils Ersan Ilyasova, né en… 87 dans cette même ville. Il y a ceux qui oublient de mettre le lave-vaisselle, qui oublient de répondre à un message puis… il y a ceux qui oublient de déclarer le fiston et s’en rendent compte quinze ans plus tard. Papa avait sûrement beaucoup d’autres choses à faire, les activités du quotidien, on pardonne. Toujours est-il que la FIBA donnera raison à la Turquie et ne validera pas la requête ouzbeke, et Ersan jouera donc le Championnat d’Europe. Le futur Buck domine la compétition mais… il se blesse. Sadik Iliman rapporte alors dans son profil sur DraftExpress que le Turc s’est fait une entorse avec une… fracture de la cheville. Un combo un peu sale. Son équipe ira tout de même jusqu’en finale mais s’inclinera cependant face à la Serbie puis face au Monténégro. Ersan rentre en fauteuil au pays, attendu par des journalistes voulant une photo de l’équipe mais le pauvre Ilyasova est abattu, il ne parle à personne, craignant que cette blessure mette déjà fin à sa carrière.

Le finaliste du Championnat d’Europe retournera tout de même sur les parquets la saison suivante. Son club l’enverra en prêt en seconde division turque pour qu’il fasse ses premières armes en professionnel. Il jouera dans l’élite la saison suivante mais à cause d’une opération à la cheville, Ersan Ilyasova ratera pas mal de matchs et grattera seulement quelques minutes par-ci et d’autres par-là. Il gagnera tout de même la Coupe de Turquie et découvrira l’Euroleague à seulement 17 ans, sans oublier qu’il s’illustrera avec la sélection U18 où il sera notamment élu MVP du tournoi Albert Schweitzer. Wow. Il est alors jugé comme l’un des plus gros talents sorti du pays. Injury prone et peut-être pas toujours régulier sont ses plus gros points faible, mais sa mobilité, sa dangerosité dans le périmètre et un handle plus que correct pour son profil font de lui un joueur extrêmement intéressant. Ersan est prêt à passer une étape. Il s’inscrit à la Draft. Choisi en 36e position les Bucks l’envoient avec un aller-simple en D-League, où il y passera la saison entière. Toutefois, il poursuivra sa saison avec un été de plus en équipe nationale, lors du Championnat d’Europe U20 où il ira chercher une médaille d’argent et un titre de MVP. Sympa. Pour la saison 2006-07 les Bucks feront face à une avalanche de blessure et ils donneront alors sa chance à Ilyasova. Le rookie jouera 14 minutes de moyenne sur ses 66 apparitions et tournera à 6,1 points et 2,9 rebonds par match. Une production pas assez suffisante néanmoins pour se voir proposer de vrais contrats alors qu’il se retrouve free agent. Peut-être est-il arrivé trop jeune, trop tendre dans la Ligue, mais le joueur retournera finalement en Europe.

Il prend alors la direction du Barça à l’été 2007. Si sa première saison se révèle être plutôt médiocre, la seconde est d’un autre acabit. Au côté du meilleur pote de Nicolas Batum, Juan Carlos Navarro, Ersan se régale, il réalise de grosses prestations, étant même élu MVP du mois d’octobre d’Euroleague, compétition dans laquelle son équipe va finir troisième en mai. Il gagnera apar ailleurs le championnat national. Ersan Ilyasova a été bon, assez pour que des franchises NBA viennent à nouveau le courtiser. Il a pris en maturité dans le jeu, il est prêt à revenir et ce sera aux… Bucks. La suite ? Vous la connaissez. Bon joueur, QI basket au-dessus de la moyenne, bon défenseur, shooteur dans le périmètre, croqueur aussi parfois, inconstant lorsqu’il s’agit d’enchaîner les matchs à son meilleur niveau. Il n’hésite pas non plus à donner son corps à la science, et personne n’a ainsi provoqué plus de passages en force que lui depuis dix ans, Ersan finissant quatre fois au sommet de ce classement. Et c’est tout ce qui va faire d’Ersan le joueur NBA qu’il est actuellement. Un joueur qui a démarré sa onzième saison de suite dans la plus grande des ligues, un joueur précieux en sortie de banc pour les franchises dans lesquelles il est passé. Et ce n’est pas anodin si après sa période de journeyman (en passant aux Pistons, Magic, OKC, Philly Atlanta, puis à nouveau Philly) où il a parfois joué titulaire, Ersan a finalement retrouvé de la stabilité. Si des lecteurs qui sont d’anciens joueurs ou entraîneurs à de presque-bon niveaux, ou moins bon même, ils savent à quel point un joueur que l’on n’entend pas parler, qui exécute les consignes, se sacrifie pour l’équipe et peut prendre un coup de chaud (Game 2 de la finale de Conférence face aux Raptors, en sortie de banc) peut faire du bien à une équipe. Alors on n’est pas bien sûr, on ne sait pas s’il a 32 ou 35 ans, mais il galope encore bien pour son âge. Ce qui lui manque dans sa carrière ? Un petit titre qui pourrait lui donner un peu de considération. Avec un petit Ilyasova game pendant les Finales, tout ce qui pourrait le mettre – enfin – en avant.

Ce n’est peut-être qu’un pick du second tour de Draft, ce n’est peut-être pas le joueur le plus flashy du circuit, et on ne connait pas toute son histoire. Ce n’est peut-être pas non plus le genre de joueur qui fait que son équipe va faire une grande saison, mais mon dieu quel plaisir de voir son intelligence de jeu sur un parquet et la manière avec laquelle il se donne. Apprécions un peu plus ce genre de garçon et, surtout, parlons-en plus souvent.