Gagner un titre par association de stars ou par construction progressive d’un collectif : enquête sur deux visions qui s’opposent

Le 19 janv. 2020 à 12:17 par Adrien Cortot

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Ces dernières années, on a la sensation de voir de plus en plus de superstars s’associer pour essayer de remporter des titres, et de moins en moins de collectifs qui grandissent ensemble. On se demande donc si le collectif ne deviendrait pas secondaire dans une NBA moderne où les associations de superstars sont en quelque sorte devenues la norme. Est-ce une simple impression ? Une bonne stratégie pour gagner un titre ? On va essayer d’éclaircir ces questions dans une grande analyse qui va nous ramener jusqu’au début du siècle. 

À travers cette réflexion, on ne va pas essayer de trouver une vérité définitive ou de dire qu’une méthode est meilleure que l’autre, on cherche simplement à comprendre les mécanismes qui les différencient.

Deux visions différentes pour construire un candidat au titre

Alors, par où pourrait-on bien commencer notre réflexion ? Les points de départ sont nombreux mais il faut bien trancher sur une date. On va donc entamer notre propos avec la Free Agency 2019. Pourquoi ce moment plus qu’un autre ? Car c’est probablement l’une des intersaisons les plus folles de l’histoire en ce qui concerne les mouvements de superstars, et qu’il va nous permettre d’illustrer deux catégories dans la manière de construire une équipe compétitive. En effet, cet été, beaucoup de gros poissons ont changé de maillot pour se réunir sous la même bannière. Kawhi Leonard a fait le nécessaire pour emmener Paul George avec lui aux Clippers, Kyrie Irving et Kevin Durant ont signé aux Nets, et puis il y a aussi eu des transferts importants comme celui d’Anthony Davis, qui a rejoint LeBron James aux Lakers. On a donc été servis niveau associations de stars. Nous observons ainsi une démocratisation de la mise en relation des grands joueurs de la Ligue. Généralement, ces associations se font dans des franchises qui évoluent dans de gros marchés, dans des villes qui attirent les stars et avec une couverture médiatique importante. Cependant, certains collectifs, certaines bases, résistent encore et toujours à l’envahisseur, en affichant un jeu bien huilé et une progression collective globale s’étalant sur plusieurs saisons, jusqu’à arriver au statut de prétendant au titre suprême. Souvent, ça passe par un style de jeu bien propre qui est imposé par un coach stable et présent depuis des années. Ces équipes se construisent en premier lieu par la Draft et à travers le développement des joueurs à leur disposition. Après, ces franchises ne seraient pas contre l’acquisition d’une star, personne ne dirait non à un LeBron. Mais ce sont souvent des marchés assez petits qui ne font pas rêver, et c’est donc plus compliqué d’attirer de grands noms lors de la Free Agency. Au final, on voit donc que deux catégories se dégagent. Cependant, on peut se demander si ces dernières sont vraiment si tranchées que cela.

Les associations de stars et les collectifs dans la NBA actuelle 

Maintenant qu’on a défini les deux catégories, on va continuer notre petite enquête en illustrant tout ça avec quelques franchises actuelles. Commençons par les équipes qui se sont construites en recrutant des stars. Principal exemple, les Los Angeles Lakers. En effet, les arrivées successives de LeBron James et Anthony Davis, couplées aux départs de la majorité des jeunes joueurs qui symbolisaient la reconstruction post-Kobe ont clairement changé la direction de la franchise. Comme il ne restait plus grand-chose dans l’effectif après le transfert d’AD, il a fallu entourer le duo et les Lakers ont recruté beaucoup de vétérans l’été dernier avec la marge salariale qui leur restait. Une entente est donc à construire et c’est clairement le genre d’équipe qui illustre la stratégie de constituer un nouveau groupe en associant notamment des stars. Vu les résultats, ça marche plutôt bien avec une première place de la Conférence Ouest. Ce type de cas, c’est-à-dire des stars avec des vétérans autour pour remporter le titre, c’est loin d’être une première et on va sortir d’autres exemples plus bas. Est-ce viable ? On essayera de trouver la réponse à travers cette enquête. Maintenant, passons à ces équipes qui ont construit progressivement leur collectif. Deux exemples nous viennent en tête. Tout d’abord, on va parler des Milwaukee Bucks. Leaders de la Ligue, les Daims reviennent de loin notamment grâce à la Draft de Giannis Antetokounmpo en 2013. Ajoutez à cela le coaching de Mike Budenholzer, qui a transformé l’équipe en mettant en place une vraie philosophie de jeu autour des qualités de Giannis, avec des joueurs comme Khris Middleton, Brook Lopez, Eric Bledsoe & Cie. Les joueurs évoluent ensemble depuis pas mal de temps et se connaissent très bien, et ça se voit. La balle circule, ça cartonne à trois points, ça cavale et les Bucks se trouvent les yeux fermés. Ils prennent même le temps de nous offrir des combats dignes de la WWE juste avant leurs matchs. Autre illustration de cette catégorie : les Denver Nuggets. Les Pépites occupent la seconde place à l’Ouest et sont en constante progression depuis plusieurs saisons. Bien surveillés par Mike Malone, les jeunes draftés par Denver ont grandi ensemble pour devenir de très bons joueurs, voire des stars pour certains. Les mecs prennent du plaisir à jouer et on sent une véritable identité en tant que groupe. En résumé, c’est du très solide et c’est le fruit d’une évolution en tant que collectif, ce qui illustre parfaitement notre catégorie.

Un coup d’œil dans le rétro

Nous avons donc des exemples actuels illustrant nos catégories, mais en avons-nous parmi les anciens Champions NBA ? Pour voir cela, nous allons remonter jusqu’en 2000. Pourquoi 2000 ? Parce que déjà, vingt ans ça commence à faire long, et parce que se concentrer sur les années 2000 c’est suffisant pour nous faire une idée des tendances. On va d’abord chercher à trouver des exemples de purs collectifs qui ont gagné des titres. L’exemple sans doute le plus marquant, c’est celui des Champions NBA 2004, on a nommé les Detroit Pistons. Cette équipe est devenue championne par surprise, en s’appuyant sur un collectif exceptionnel et l’une des meilleures défenses de l’histoire. Une vraie équipe de guerriers avec Rasheed Wallace, Ben Wallace, Chauncey Billups, Rip Hamilton ou encore Tayshaun Prince. Les Pistons 2004 sont d’ailleurs connus pour avoir gagné sans la moindre superstar au sein de leur effectif, mais faut dire qu’ils font un peu figure d’exception. L’autre exemple qu’on veut mettre en avant, c’est une franchise texane qui a su construire une dynastie autour de son premier choix de Draft 1997, Tim Duncan. On parle des San Antonio Spurs évidemment, champions en 1999, 2003, 2005, 2007 et 2014. San Antonio a drafté Timmy, Manu Ginobili et Tony Parker pour en faire des légendes sous les ordres de Gregg Popovich. Philosophie à la Spurs, développement de joueurs, collectif, longévité… Une franchise modèle, tout simplement. Autre équipe qui est allée au bout sans associer des stars dans leur prime, les Mavericks de Dirk Nowitzki en 2011. Dirk a toujours été fidèle à Dallas et après des échecs répétés en Playoffs, il a enfin pu arriver au sommet. On peut également placer dans cette catégorie les Golden State Warriors version Splash Brothers, champions en 2015 grâce à un collectif très bien huilé, une philosophie de jeu nouvelle basée notamment sur les qualités de sniper de leur backcourt, et une belle ascension sur plusieurs années.

Passons désormais chez les équipes qui se sont construites par association de stars parmi les anciens Champions NBA. On va commencer avec les Boston Celtics de 2008. Voulant aller chercher une bague le plus rapidement possible, Danny Ainge a mis en place deux trades pour récolter de gros poissons, à savoir l’ancien MVP Kevin Garnett et l’un des meilleurs shooteurs de l’histoire Ray Allen, qui sont venus épauler Paul Pierce. On a donc ici un exemple d’une association de stars, entourées de vétérans et de jeunes joueurs comme Rajon Rondo par exemple. Ça a marché tout de suite avec ce titre lors de la toute première année. Et comment parler de Big Three sans parler du monstre à trois têtes qui a offert les titres 2012 et 2013 au Heat de Miami ? Ce trio est aujourd’hui légendaire : Chris Bosh, LeBron James et Dwyane Wade. Les deux premiers ont rejoint Flash dans la franchise qui l’a drafté, en plein dans leur prime. Ça avait fait beaucoup de bruit à l’époque. À leurs côtés, Erik Spoelstra avait à sa disposition les jeunes Mario Chalmers et Norris Cole ainsi que des vétérans comme Shane Battier, Udonis Haslem, Mike Miller puis Ray Allen et d’autres encore. On retrouve donc un peu le même schéma : des stars entourées de vets et de jeunes. Autre exemple de Big Three : les Cleveland Cavaliers, champions 2016 grâce à leur triplette composée de Kyrie Irving, LeBron James et Kevin Love. Toutes les équipes qu’on vient de citer ont réussi à atteindre leur objectif, à savoir remporter un titre NBA, mais leur domination n’a pas duré plus de cinq ans. Le Big Three des Celtics était déjà âgé quand il s’est mis en place, tandis que Miami a souffert du départ de LeBron, et Cleveland a perdu Kyrie Irving en 2017, lui qui voulait sortir de l’ombre du King (qui a fini par quitter l’Ohio un an plus tard). On voit donc à travers ces exemples qu’associer des stars pour quelques années dans le but de gagner une bague n’a rien de nouveau. Mais alors, d’où vient cette impression globale qui règne au sein de la communauté NBA, à savoir que les stars s’associent de plus en plus pour une bague ? On va essayer d’y répondre plus bas.

Cependant, avant d’y répondre, restons encore un peu dans le passé, parce qu’il reste quelque chose à souligner concernant nos différentes catégories. En effet, nous avons placé seulement onze titres sur les vingt derniers. Quid des neuf titres restants ? Et bien les autres Champions NBA sont un peu à la frontière entre association de stars et collectif. Par exemple, les Lakers de 2000-2002 et 2009-2010. En effet, il est très difficile de classer ces équipes dans nos deux catégories. Pour le repeat, Kobe est resté aux Lakers pendant quelques années de misère avant de retrouver les sommets suite à l’arrivée de Pau Gasol, mais un collectif s’était déjà construit sous les ordres de Phil Jackson. Pour le three-peat, on pourrait se dire que cette équipe était l’association des stars Kobe et Shaq, mais Kobe était tout jeune quand il est arrivé en 1996 en compagnie d’O’Neal, et pas encore une star à l’époque. En parlant de Shaq, c’est lui qui a aidé le Heat de Miami à décrocher une bague en 2006 derrière un jeune Dwyane Wade en pleine ascension. Le transfert d’O’Neal dans une équipe qui avait fait les Playoffs la saison précédente a permis à celle-ci de devenir un poids lourd de l’Est, avant de remporter le titre grâce à un Wade stratosphérique ainsi qu’un grand nombre de vétérans. En ce qui concerne les titres restants, nous avons les Warriors en 2017 et 2018 et les Raptors en 2019. L’arrivée de la superstar Kevin Durant dans une équipe de Golden State qui restait sur une saison à 73 victoires est un cas à part dans l’histoire de la NBA (on en reparlera plus bas), et elle a permis aux Dubs de décrocher deux bagues de plus. Quant aux Raptors, ils ont recruté Kawhi Leonard en transférant DeMar DeRozan pour enfin percer en Playoffs, sans casser leur collectif et ce qu’ils avaient construit les années précédentes. L’arrivée de superstars dans des collectifs déjà établis, c’est le thème qu’on va désormais aborder car c’était la tendance l’été dernier.

Un phénomène nouveau : des stars qui rejoignent des collectifs 

En réalité, on peut voir que ces deux catégories de contenders ont existé, existent et vont continuent d’exister. Cependant, il est vrai que la NBA a changé. En effet, deux phénomènes assez récents ont modifié la hiérarchie ainsi que le fonctionnement même de la NBA. Tout d’abord, une notion apparaît de plus en plus parmi les joueurs eux-mêmes, le player empowerment. Alors, qu’est-ce que c’est que ce dialecte barbare me direz-vous. Derrière ce terme se cache en réalité une tendance en augmentation ces dernières années (notamment depuis The Decision en 2010) et qui pourrait justifier les impressions que nous avons relevées précédemment. Donc, le player empowerment, c’est tout simplement le fait que les joueurs tiennent à contrôler leur carrière sur comme en dehors du terrain, ce qui se traduit souvent pas moins d’attachement à leur franchise d’origine. Et quand on y pense, il est vrai que ce phénomène prend de l’ampleur. On a l’impression que les joueurs pensent plus à leur héritage et à leur postérité qu’à leur franchise. Ainsi, il est de plus en plus rare qu’un joueur passe toute sa carrière dans la franchise qui l’a drafté, il va être compliqué de retrouver des Tim Duncan, des Kobe ou des Dirk qui se sont accrochés avec leur équipe pendant deux décennies. Ce qu’on peut observer maintenant, ce sont des stars qui rejoignent la franchise de leur choix pour maximiser leur carrière, d’un point de vue sportif mais aussi business.

Et aujourd’hui, cela peut se traduire par le fait que des superstars rejoignent des collectifs déjà établis lors de la Free Agency. Des exemples ? Tout d’abord, on va parler des Brooklyn Nets. Après une saison 2018-19 réussie et une place en Playoffs acquise grâce à un collectif étonnant, les Nets ont pu signer un duo de All-Stars : Kyrie Irving et Kevin Durant. On a donc là des megastars qui ont rejoint une vraie culture de franchise et un collectif, avec un coach reconnu comme Kenny Atkinson et un excellent management. Autre exemple de franchise ayant parfaitement su préparer le terrain pour accueillir un duo de stars l’été dernier : les Los Angeles Clippers. Avec son collectif et sa grinta, l’autre équipe de Los Angeles a clairement surpris du monde en emmenant les Warriors jusqu’au Game 6 lors du premier tour des derniers Playoffs. Cette surprenante campagne et cette solidarité en tant qu’équipe ont forcément joué dans le recrutement de Kawhi Leonard et Paul George. Autre illustration cette saison, le très solide Miami Heat, toujours influencé par la patte d’Erik Spoelstra et rejoint par Jimmy Butler à l’intersaison. Ce dernier est un amoureux de la culture locale et s’est parfaitement adapté pour former un groupe qui fait clairement office de prétendant dans la Conférence Est. Cependant, ces exemples suivent un autre cas, une signature qui a fait couler beaucoup d’encre et de larmes : celle de Kevin Durant aux Warriors en 2016, possible grâce à un alignement des planètes extrême (en 2016, le salary cap a augmenté de façon spectaculaire grâce aux droits TV, permettant ainsi sa signature). Sans KD, les Golden State Warriors étaient un collectif pur, bien en place et qui s’est construit notamment par la Draft et avec un développement des joueurs exceptionnel. En rejoignant une équipe déjà championne, Kevin Durant a créé une armada quasiment intouchable, l’une des équipes les plus dominantes de l’histoire de la Ligue.

Notre verdict 

Finalement, on peut donc voir que même si nos deux catégories correspondent à un certain nombre d’équipes actuelles comme d’anciennes équipes championnes, elles ne sont pas représentatives de tout ce qui se fait dans la NBA. En effet, certaines équipes se trouvent à la frontière entre les deux et certains champions sont un juste équilibre entre construction progressive d’un collectif et association de stars. La solution ne serait-elle pas là au final ? Créer une identité forte de groupe pour attirer des individualités exceptionnelles ? On peut croire que oui au regard des deux grosses équipes mentionnées plus tôt : les Clippers et les Nets. Cependant, on voit aussi avec ces deux équipes qu’il faut se montrer patient avant de voir le collectif tourner à plein régime, car l’arrivée de deux stars chamboule forcément un peu l’équilibre.